A trasher ou pas ?

Son utilisation en français n’est pas nouvelle : on en trouve des exemples depuis plus de dix ans.

«Avec ses scènes de sexe explicites et ses meurtres carabinés, cette espèce de Thelma & Louise version hardcore, qui se situe entre road movie sanguinolent et film de cul trash-qui-fesse-dans-le-dash, est à déconseiller aux âmes sensibles» (la Presse, 15 septembre 2000).

«Trad, néo-trad, trash-trad et trad trad» (le Devoir, 29 décembre 2003).

«album trash extrême» (le Devoir, 20-21 novembre 2004, p. E5).

«Bougon, colon ou trash. Nous sommes tous affreux, bêtes, sales et méchants» (le Devoir, 26 mars 2004, p. B8).

Cette utilisation n’est pas propre au français du Québec. Allez sur le site du magazine français les Inrocks et tapez «trash» dans le moteur de recherche; vous aurez des heures de lecture. Téléchargez la huitième livraison du Bulletin de la coopérative d’édition publie.net et vous lirez ceci, sous la plume de François Bon : «Allez, je laisse ça tout à trash comme je l’ai reçu !»

Pourquoi alors écrire sur un mot si banal ? Simplement parce que sa popularité ne se dément pas. Cinq exemples, repérés au cours des dernières semaines :

«Trash dramaturgie» (le Devoir, 17 octobre 2012, p. B9).

«Une autofiction trash qui rentre dedans, qui secoue le lecteur» (la Presse, 20 octobre 2012, cahier Arts, p. 3).

«“Portrait intime de la chanteuse folk trash Lisa LeBlanc”, propose MusiMax» (le Devoir, 20-21 octobre 2012, p. E7).

«Yeah! J’ai reçu mon catalogue de Noël 2012 du Rossy !!! #NoelTrash http://t.co/PaHUi5tt» (@mcgilles).

«Un couple de jeunes (20 ans environ) gothiques-trash s’approche de moi […]» (la Presse, 16 novembre 2012, cahier Arts, p. 5).

Le trash ne se démode pas. À cet égard, il est comme son antonyme, le vintage.

Les zeugmes du dimanche matin et du Devoir

«Maka Kotto a ensuite épousé la cause indépendantiste et la mairesse de Longueuil» (le Devoir, 24 septembre 2012, p. B7).

«En forme, en voix, en total contrôle de son public, Neil Diamond en imposait comme en 1993» (le Devoir, 22 juin 2012, p. B4).

«En tambours, en images, en poésie, en mémoire et en devenir» (le Devoir, 19 juin 2012, p. B8).

Il était «non seulement en état de nature, mais aussi d’ébriété» (le Devoir, 26 mai 2012).

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Les protes du paradis

Elle meurt. Sa notice nécrologique paraît dans le Devoir des 20-21 octobre 2012 : elle «est décédée chez elle entourée de plusieurs de ses porches» (p. C11). Voilà une mort bien architecturale.

 

[Complément du 23 octobre 2012]

Coquille corrigée le 22 octobre : les «porches» étaient des «proches» (p. B6).

La tendance s’est maintenue

Le 7 septembre, l’Oreille tendue s’amusait à rassembler les détestations des uns et des autres en matière de langue. Parmi celles-ci, sans y réfléchir plus avant, elle avait inclus le mot épique.

Le jour même, @OursAvecNous lui faisait parvenir la photo suivante.

Un solde épique ?

 

Depuis, l’Oreille voit le mot partout. Trois exemples.

Dans la Presse du 20 septembre : «Des patients victimes d’une dispute épique entre médecins» (p. A19).

Dans celle du 25 : «Dans un texte épique publié dans le Devoir samedi […]» (p. A16).

Hier, sur Twitter : «À voir- prendre le bus: c’est vraiment, vraiment cool / Bus épique?»

C’est bien comme s’il y avait là une tendance, et qu’elle se maintenait.

P.-S.—Consciencieuse, l’Oreille se promet de lire le roman Épique (Montréal, Marchand de feuilles, 2010) de William S. Messier.

 

[Complément du 30 octobre 2021]

C’est fait.

 

[Complément du 11 juillet 2023]

En chanson ? Bien sûr, chez Les Cowboys fringants, avec «Épique Éric» (2020).

Pudeur journalistique

Il peut parfois être difficile, pour les médias, de savoir comment citer les personnes dont ils rapportent les propos. Si ces personnes font des fautes, faut-il les corriger ? De la même façon, que faire si elles ont recours à des registres de langue jugés «familiers», voire «vulgaires» ? The New Yorker, dans son édition du 2 juillet 2012, racontait, par exemple, comment le mot «motherfucker» avait été d’adoption lente à ce magazine.

Le quotidien le Devoir, lui, vient, à trois reprises, de donner une réponse un brin étonnante à ces questions.

Le 20 août dernier, lors d’un face-à-face télévisé avec la chef du Parti québécois, Pauline Marois, Jean Charest, du Parti libéral du Québec, l’a accusée de vouloir faire planer «un épée de Démoclès» sur la tête des électeurs québécois. On l’a beaucoup raillé pour cette double bourde, répétée dans une conférence de presse tenue immédiatement après le face-à-face.

Le Devoir du lendemain a corrigé les propos de celui qui était encore premier ministre du Québec à l’époque à l’endroit de celle qui l’est devenue depuis, en écrivant «une épée de Damoclès».

Le Devoir -- Épée de Damoclès

Marie-France Bazzo, sur Twitter, a décrit cette façon de faire comme du «photoshop textuel».

Quelques jours plus tard, le 30 août, Martin Caron, un candidat du parti dirigé par François Legault, la Coalition avenir Québec, explique pourquoi il a dit du projet de loi 78, devenu loi 12, que «c’est de la marde».

Paul Journet, de la Presse, et Michel Dumais, du Journal de Montréal, rapportent la chose sur Twitter et utilisent tous les deux le mot «marde». Le Devoir est plus réservé, tant sur Twitter que sur son site Web, qui, en titre, substitue «merde» à «marde».

«Merde» dans le Devoir

Dernier cas.

Le jour des élections, le 4 septembre, Antoine Robitaille, lui aussi du Devoir, suit Jean Charest. Il twitte ceci : «Manifestants à l’arrivée de Jean Charest au local électoral libéral de Vimont. 3 manifestants, 3 affiches, une faute.» Et il reproduit l’affiche fautive, avec son «s» de trop à «dégages» :

Trois pancartes dans le Devoir

Le Devoir du lendemain publie en p. A1 et A10 un texte de Robitaille, accompagné d’une photo montrant les trois mêmes manifestants avec leurs affiches. Un détail diffère cependant : la photo est cadrée de telle façon que le «s» inutile de «dégages» a disparu. Sur cette photo-là, il n’y a plus de fautes.

Que se passe-t-il donc au Devoir pour que la pudicité linguistique s’y fasse sentir de cette façon ?