Aide à la prononciation demandée

Robert Cadotte, Lettre aux enseignantEs, 2012, couverture

Chez M éditeur, Robert Cadotte vient de publier un livre intitulé Lettre aux enseignantEs. Le E majuscule serait là, féminisation mécanique oblige, pour indiquer que le livre s’adresse «aux enseignants et aux enseignantes», mais qu’il y a plus d’enseignantes que d’enseignants.

Question un peu bête (l’Oreille en convient) : comment demande-t-on ce titre à son libraire ? Doit-on tenir compte de la majuscule ? Faut-il y faire sentir l’accent tonique ?

Ça ne va pas de soi. La preuve ? Entendu à la radio hier soir, l’auteur lui-même ne sait pas quoi faire avec son propre titre.

 

Référence

Cadotte, Robert, Lettre aux enseignantEs. L’école publique va mal ! Les solutions dont on ne veut pas parler, M éditeur, coll. «Mobilisations», 2012.

Propos de bouche

Manuel de diction. Parlons bien, 1950, couverture

En 1950, aux Éditions de la bonne chanson de Saint-Hyacinthe (Québec), J.-H. Bernard, ptre, «professeur de diction», fait paraître Parlons bien. Ce Manuel de diction est précédé d’une dédicace (à «M. Eugène Lassalle, directeur-fondateur du Conservatoire Lassalle de Montréal»), d’une note de l’auteur («En diction, comme en chant, le meilleur traité ne vaut pas grand’chose, sans la voix et l’oreille du maître»), de six citations démontrant l’«Importance de l’élocution» (on y trouve notamment un M. Mallarmé, mais il s’agit du ministre de l’Éducation nationale de France, pas du poète de la «disparition élocutoire») et d’un avant-propos («Cet ouvrage n’est pas un traité complet […]»). Le lecteur aura été prévenu : avant de commencer à parler, il y de nombreuses étapes à franchir.

Pour aider ses utilisateurs (pas «les tout-petits, mais […] ceux qui ont déjà certaines connaissances en français»), l’auteur a divisé son ouvrage en quatre parties : la phonétique («Se faire entendre»), la phraséologie («Se faire comprendre») et le geste, cela suivi d’un supplément («Fables et exercices») fait de textes à lire, tirés d’auteurs surtout français (au premier rang desquels La Fontaine), plus rarement québécois (Henri Bourassa, Lionel Groulx, Félix-Antoine Savard).

S’il est vrai que les exercices sont massivement regroupés dans le «Supplément», on en trouve aussi dans la première partie. En voici deux exemples.

Le premier se présente sous la forme d’un texte truffé de difficultés, à la fin de la rubrique «La voyelle o et au» :

Où sont aujourd’hui nos Jérôme et nos Chrysostôme ? Si des hommes frivoles, ô Sauveur, osent nier l’autorité de ta parole, n’est-ce pas beaucoup notre faute, la nôtre, à nous, tes orateurs ? Orateurs monotones et mornes auditeurs, tout dort. Ô Nautonnier, rends-nous l’orage ! Flots profonds, tonnerres sonores, vous réveillez jusques aux morts. — D’un pôle à l’autre et de l’aurore jusqu’au couchant, à Toronto, comme aux Comores, à Nogvorod comme aux Açores, l’homme honore les Apôtres et les héros. — Par ce temps chaud, au bord de l’eau, dans les roseaux dort le crocodile. — Près du tombeau de son héros, Laocoon offre à Chronos en holocauste un bon taureau aux cornes d’or. — Gondal (p. 13).

Attribuées à Ignace Louis Gondal, l’auteur de Parlons ainsi de la voix et du geste (1900) et du Mécanisme de la parole (1895), mais sans références précises, ces phrases sont proches, involontairement, du surréalisme, version cadavre exquis, voire de la prose d’Éric Chevillard.

Elles ont pourtant une signification plus immédiate qu’une litanie comme celle de la p. 23 :

J.-H. Bernard, Manuel de diction. Parlons bien, 1905, p. 23

Quoi qu’il en soit de la nature des exemples retenus, tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de s’y livrer ne suffirait probablement pas. On détrompera peut-être l’Oreille tendue là-dessus.

 

Référence

Bernard, J.-H., ptre, Manuel de diction. Parlons bien, Saint-Hyacinthe (Québec), Les éditions de la bonne chanson, 1950, 102 p. Ill.

J.-H. Bernard, Manuel de diction. Parlons bien, 1905, p. 9

Hein ?

Langue sauce piquante, le blogue des correcteurs du Monde.fr, offrait récemment un texte à partir de l’illustration suivante :

Publicité pour «Insurgé»

Pour une oreille de Québécois, brève hésitation : «un sur gé» ?

Hésitation de même nature à l’écoute de la chanson «Deutsche Grammophon» de Vincent Delerm : «Nous nous sommes embrassés / Sur une étude en ré / Trouvé des points communs / Dans une pièce pour clavecin.» Tiens donc : «commun» et «clavecin» riment.

Pourquoi ces hésitations ? Parce qu’au Québec lundi ne se dit pas lindi, ni brun, brin. Il faut donc y réfléchir avant de reconnaître insurgé dans 1 / g, ou de saisir la rime delermienne.

Le son un, remplacé par in, serait-il, dans l’Hexagone, une espèce en voie de disparition ?

 

[Complément du jour]

Des sources conjugales proches de l’Oreille tendue lui rappellent — ô mémoire défaillante ! — l’existence de cette note des «Principes de la transcription phonétique» de l’édition de 1993 du Petit Robert : «La distinction entre [?] [brin, plein, bain] et [œ] [lundi, brun, parfum] tend à disparaître au profit de [?]» (p. xxii). Pour le dire avec le vocabulaire de la télévision, «la tendance se maintient».

 

[Complément du 3 janvier 2016]

Autre exemple, tiré des Notules de Philippe Didion, livraison du jour. (Les Notules ? Par ici.)

«Invisible», Philippe Didion, 3 janvier 2016

Invisible comme dans 1visible, donc.

 

Référence

Delerm, Vincent, «Deutsche Grammophon», Kensington Square, 2004.