La langue de la shoppe

Résultat de recherche pour le mot «washeur» sur le site de Rona

Depuis quelques semaines, l’entreprise Rona diffuse une publicité bricololinguistique :

Au Québec on parle la réno
Mais quand on magasine en ligne
C’est comme parler à un mur
Rona présente
La langue de la réno
Rona a donné un cours de langue à son site
Pis maintenant on se comprend
Et si y’en manque on va les ajouter

On y entend des clients formuler des recherches à haute voix, recherches qui ne mènent à rien d’utile dans les moteurs de recherche. En effet, les mots washeur, gun à cauking ou long nose (les pinces, bien sûr) ne sont guère utiles pour qui travaille en français (oui, ces personnes travaillent en français, même si elles utilisent des anglicismes).

Rona a donc programmé son site Web pour aider ses utilisateurs qui ne connaissent pas le nom d’un produit en français. On voit même défiler du code HTML à l’écran !

Et ça marche : washeur mène à plusieurs types de rondelle, gun à cauking à pistolet à calfeutrer et long nose à pince à bec long. On tient même compte de la prononciation québécoise et de l’orthographe qu’on lui associe (washer => washeur).

On pourra reprocher à Rona de favoriser l’anglicisation du Québec ou, au contraire, de permettre à ses utilisateurs de trouver des mots français qu’ils ignorent.

Il s’agit d’un cas classique de bucket à moitié vide ou à moitié plein.

P.-S.—Vous avez raison : ce n’est pas la première fois que l’Oreille tendue parle de rénovation.

 

Accouplements 247

Canadiens de Montréal, Club 1909, «Unissons les fidèles», publicité

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Dans le dix-septième chapitre de son livre le CH et le peuple, Brendan Kelly se demande «Qui se souvient des Glorieux ?» (Les Glorieux est une des nombreuses façons de surnommer les Canadiens de Montréal — c’est du hockey et de la langue de puck.) Réponse : de moins en moins de gens.

Au même moment, la RBC, qui commandite les chandails des Canadiens, diffuse une publicité dans laquelle on peut entendre ceci, dans un bar : «Parce que faire du bruit en encourageant ton équipe, ça c’est glorieux.»

On est glorieux là où l’on peut.

 

Références

Kelly, Brendan, le CH et son peuple. Une province, une équipe, une histoire commune, Montréal, Éditions de l’Homme, 2024, 211 p. Ill. Préface de Claude Legault.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Édition revue et augmentée, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 159 p. Préface d’Olivier Niquet. Illustrations de Julien Del Busso.

Melançon, Benoît, Langue de puck, édition revue et augmentée de 2024, couverture

Le fumeur musical expérimenté

Publicité des cigarettes Buckingham avec le joueur de hockey Pit Lépine, la Presse, 11 février 1928

Dans la Presse+ d’hier, cette phrase : «Vivre avec une étiquette. Jonathan Sénécal connaît le tabac.» (Sénécal joue au football pour les Carabins de l’Université de Montréal.)

Au Québec, qui connaît le tabac est réputé avoir de l’expérience et tirer des leçons de celle-ci.

Autre exemple, chez Michel Tremblay : «C’est alors que Santuzza fit son entrée. Vêtue, elle, de noir, des pieds à la tête. La special guest connaissait le tabac !» (p. 84)

On l’aura compris : ce tabac est de même nature que la musique dans connaître la musique.

 

Référence

Tremblay, Michel, Offrandes musicales. Récits, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 2021, 165 p.

Hasards linguistiques

Tweet de Jean-François Roberge, 15 mars 2023

Le hasard fait (malheureusement) bien les choses.

La semaine prochaine, l’Oreille tendue sera à Halifax pour y présenter une conférence intitulée «Le français : une langue menacée ?» Parmi les menaces (supposées) qu’elle commentera, il devrait y avoir les nouvelles technologies, l’écriture inclusive, la domination mondiale de l’anglais et l’insécurité linguistique. Il sera aussi question du franglais. (Sur cette question, voir ici et .)

Hier, le ministre québécois de la Langue française, Jean-François Roberge, a mis en ligne une vidéo de trente secondes, accompagnée du texte suivant :

Au Québec, le français est en déclin. Ensemble, renversons la tendance.

Voici la nouvelle publicité du Ministère de la Langue française pour susciter une prise de conscience des Québécois au déclin du français au Québec.

L’objectif de la vidéo — qui associe la langue française à un oiseau de proie vulnérable — est clairement de s’en prendre à l’utilisation par les jeunes de mots anglais quand ils parlent français. En linguistique, on parlerait d’alternance codique (code-switching), mais, depuis un pauvre livre d’Étiemble, on utilise souvent le mot franglais pour désigner ce phénomène. Exemple : «Mais malgré que ses skills de chasse soient insane, l’avenir du faucon pèlerin demeure sketch

Il y aurait beaucoup de choses à dire de cette campagne publicitaire. Retenons-en trois.

Postuler que «le français est en déclin» au Québec est un discours alarmiste. L’est-il sur tous les plans ? Partout au Québec ? Pour toutes les tranches d’âge ? Dans toutes les situations de la vie privée et publique ? Le ministre ne pèche pas par excès de nuance. (Il n’est pas le seul.)

Laisser entendre que les phrases (évidemment inventées) de la publicité ne sont pas du français, ou sont du mauvais français, bute sur un écueil : ce sont des phrases en français — mais d’un registre tout à fait particulier. L’Oreille tendue a longtemps enseigné; elle n’a jamais lu de phrases semblables dans une copie d’étudiant. Autour d’une table, dans un repas familial, au stade ? C’est autre chose.

Penser que les jeunes Québécois vont changer leurs pratiques linguistiques parce que leur gouvernement s’attaque à celles-ci ne paraît pas être la stratégie la plus sûre pour qu’ils les transforment, si tant est qu’il soit impératif qu’ils le fassent.

 

P.-S.—Cela vous rappelle une publicité électorale du Parti québécois en 2022 ? Vous n’avez pas tort.

P.-P.-S.—Autre hasard : l’Oreille découvre cette vidéo au moment où elle lit un ouvrage d’Annette Boudreau, Dire le silence (2021). L’autrice y cite notamment deux extraits de chroniques rédigées pour le journal acadien l’Évangéline par Alain Gheerbrant en… 1967 et 1968 : «si personne ne se réveille, dans quinze ou vingt ans on ne parlera plus de l’Acadie comme d’une région de langue française» (20 novembre 1967, p. 164); «Personne ne peut nier de bonne foi que l’anglicisation ne galope — surtout dans certains secteurs comme les écoles — et c’est dans ce cas-là la faute des élèves» (10 septembre 1968, p. 165). Plus ça change…

 

Référence

Boudreau, Annette, Dire le silence. Insécurité linguistique en Acadie 1867-1970, Sudbury, Prise de parole, coll. «Agora», 2021, 228 p.