«Le fameux baiser dans la pierre froide de Rodin n’est rien en comparaison du nôtre, le sien manquant de cassonade, de couleur, d’humidité, de tannins, de tout en somme, à cause de l’absence de Camille Claudel notamment, la folle de lui, et ça l’aurait peut-être sauvée, un tel baiser profondément charnel, tandis que le frérot d’icelle traficotait des phrases et de la religion» (p. 43).
«J’ai dû me débrouiller en m’assoyant sur les marches mouillées et en m’appuyant sur les mains en cul-de-jatte, et marche après marche je suis revenu sur terre comme un Slinky, le ciel maya se vengeant de mon escalade et de mon intrusion dans son grand rêve cosmologique, en m’infligeant une douleur aux muscles de l’intérieur des cuisses» (p. 58-59).
«J’ai réussi à ne pas m’endormir et ce serait mon plus grand exploit de la soirée, de la nuit et peut-être de ma vie, et ce n’est pas peu dire car j’ai fait des voyages, quelques enfants et des poèmes» (p. 145).
«J’ai pris froid à la sortie du motel et de la nuit chaude» (p. 148).
«J’avais besoin de reconnaissance, pis de sommeil.»
Anne-Marie Olivier, Quinze façons de te retrouver, précédé d’un «Mot de l’autrice», suivi de «Contrepoint. LOL (Dessiné dans ma vitre embuée», par Fiorella Boucher, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 34, 2023, 91 p., p. 21.
Elle se devait d’écouter le plus récent album du compositeur et contrebassiste Hugo Blouin, Sport national (2023).
Blouin n’est (n’était ?) pas un amateur de hockey : les onze pièces «de musique de chambre de hockey» qu’il vient de lancer «suivent [sa] découverte fascinée de ce sport et de cet objet culturel», à la «manière d’un documentaire» (livret de l’album). Il n’est donc pas obsédé — comme l’est parfois l’Oreille — par la langue de puck ou — comme le sont certains — par les arcanes du sport.
Il met en scène des événements largement connus : l’équipe des Canadiens de Montréal est créée en 1909, comme le rappelle «Sport national»; l’émeute du 17 mars 1955 à la suite de la suspension de Maurice Richard est évoquée dans «La soupape» et dans «Ne plus causer de trouble»; la série de 1972 (dite «du siècle») entre les Canadiens et les Soviétiques, ces «robots», se retrouve dans «Attaboy» (en français, en anglais et en russe), dans «God is Canadian» (en anglais) et dans «This is War» (en anglais et en français). Blouin sait qu’il y a eu récemment une équipe de la Ligue nationale de hockey à Québec, mais qu’il n’y en a plus : «Ce n’est pas une séparation / Ce n’est pas un divorce / C’est une mort» («Le glas»).
Relevant du jazz, les chansons sont toutes interprétées par Julie Hamelin, souvent accompagnée par un chœur, sauf la dernière, «Ne plus causer de trouble». (L’Oreille doit confesser un tout petit chagrin : au «trouble» de cette version, elle aurait préféré le «troubbe» d’origine.) La plupart des pièces s’appuient, de façon plus ou moins importante, sur des «repiquages» d’extraits sonores : reportages télévisés (Radio-Canada, CBC, etc.), documentaires, vox-pop, conférences de presse (Pierre Elliott Trudeau, Phil Esposito). On reconnaît aussi bien Marc Bergevin que Foster Hewitt, Jean St-Onge et Kim Saint-Pierre. Des paroles sont tirées de déclarations officielles, d’entrevues, de chroniques, de reportages, de tribunes téléphoniques ou d’histoires du sport. Olivier Niquet a collaboré à «Ça sent la coupe», en fournissant «les propos de nos hommes de hockey préféré», propos tous moins glorieux les uns que les autres.
Des choses sont inattendues. En néophyte, Blouin n’a pas de prévention envers le hockey féminin : «Manon» rappelle les souvenirs de la carrière de Manon Rhéaume et les niaiseries sexistes auxquelles elle a dû faire face; «Le but» fait entendre la victoire en prolongation de l’équipe féminine canadienne contre l’équipe américaine aux jeux Olympiques de Sotchi en 2014. «Sport national» s’appuie sur un court métrage assez peu connu des amateurs de sport, Un jeu si simple, de Gilles Groulx (1964). Faire chanter la violence et les bagarres par une voix féminine donne un air d’étrangeté aux propos des goons : «Lachez pas, y faut toutes les tuer» («Pas des mitaines»). Peu de joueurs sont nommés, alors que plusieurs des chansons enregistrées multiplient traditionnellement ce genre d’allusions. Tout cela est bienvenu.
Bref, foi d’Oreille, c’est à mettre entre entre toutes (les oreilles).
P.-S.—Elle est un peu perplexe devant le refrain de «Sport national» : «Bassin ! Bassin !»
Références
Melançon, Benoît, «Chanter les Canadiens de Montréal», dans Jean-François Diana (édit.), Spectacles sportifs, dispositifs d’écriture, Nancy, Questions de communication, série «Actes», 19, 2013, p. 81-92.
Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.
Dans la Presse+d’hier, rubrique «Mauvaise conduite», sept journalistes qui y couvrent le sport répondaient à la question «Quelle expression liée au sport vous irrite le plus ?» Réponses : le recours au «tu» collectif (Simon-Olivier Lorange), «éthique de travail» (Guillaume Lefrançois), «grande finale» (Mathias Brunet), «match sans lendemain» (Richard Labbé), «tir sans avertissement» (Justin Vézina), «équipe canadienne de soccer féminin» (Nicholas Richard), «vibrer les cordages» (Jean-François Tremblay).
L’Oreille tendue a beaucoup (trop) réfléchi à la langue du hockey. Que répondrait-elle à cette question ?
Elle choisirait probablement le verbe se blottir, si cher au cœur du commentateur Yvon Pedneault. Exemple : «X est allé se blottir derrière le défenseur.»
Au sens strict, cet usage peut se défendre, si l’on en croit les définitions du Petit Robert (édition numérique de 2018) : «Se ramasser sur soi-même, de manière à occuper le moins de place possible»; «Se mettre à l’abri, en sûreté.»
Cela étant, l’Oreille, quand elle entend se blottir, pense lit, couverture, confort. Le Petit Robert, encore : «Se blottir dans un coin, dans son lit, sous ses couvertures.»
Elle ne penserait jamais à cela en allant se placer derrière (l’ancien joueur) Zdeno Chára, 2,06 m, 116 kilos (souvent déposés peu délicatement sur un joueur adverse). Il y a des endroits plus accueillants dans la vie.
Bien sûr, vous vous blottissez où vous voulez sur la glace. Tous les dégoûts sont dans la nature.
Référence
Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.