Huit sur dix pour l’Oreille tendue

Fête nationale oblige, le gouvernement du Québec a mis en ligne une vidéo de trente secondes à saveur linguistique. On y entend dix expressions du français populaire québécois.

«Sans s’péter les bretelles, au Québec, on sait lâcher notre fou. Qu’y fasse beau ou qu’y mouille à sciaux, on se r’vire sur un dix cents. On s’fait des soirées pas pire pantoute ou des plus broche à foin. Des fois on est sur notre trente-six ou habillé comme la chienne à Jacques. Et la cerise sur le sundae, c’est voir nos étoiles briller sur toutes les scènes du Québec. Bonne fête nationale !»

À part «lâcher notre fou» (s’éclater) et «se revirer sur un dix cents» (promptement), l’Oreille tendue a déjà abordé toutes ces expressions.

8 sur 10, bref.

Verbes filiaux

«Rouler tranquille, c’est chill», Belgique, 2019, panneau routier

Fête des Pères oblige, l’Oreille tendue recevait hier ses fils (n=2). La discussion a porté, entre autres sujets, sur la non-conjugaison de certains verbes anglais dans le français familier des jeunes du Québec, qui que soient «les jeunes». Exemples : «J’vais chill au parc» (j’vais glandouiller au parc) et «J’l’ai pas snitch» (j’l’ai pas dénoncé) — là où une personne âgée comme l’Oreille aurait dit «J’vais chiller au parc» ou «J’l’ai pas snitché».

Jérôme 50 abordait en 2023 la question dans sa balado Ainsi soit chill, balado consacrée au «néofrançais» parlé au Québec, au «français québécois chilleur», au «français québécois des jeunes», au «nouveau français québécois», au «sociolecte chilleur», au «français québécois chilleur», au «français parlé par les jeunes en contexte informel».

Dans l’épisode «La conjugaison des verbes», il donne l’impression que cette façon de (non) conjuguer serait généralisée au Québec, alors qu’elle ne serait pas utilisée en Acadie.

La linguiste Marie-Ève Bouchard arrive à des conclusions légèrement différentes. Dans son étude «J’va share mon étude sur les anglicismes avec vous autres ! : A Sociolinguistic Approach to the Use of Morphologically Unintegrated English-Origin Verbs in Quebec French», elle affirme que le phénomène serait d’abord montréalais. On le repérerait aussi un peu à Sherbrooke, mais guère à Québec.

Tendons l’oreille : ces choses-là peuvent changer rapidement, se répandre ou disparaître.

 

Référence

Bouchard, Marie-Ève, «J’va share mon étude sur les anglicismes avec vous autres ! : A Sociolinguistic Approach to the Use of Morphologically Unintegrated English-Origin Verbs in Quebec French», Journal of French Language Studies, 33, 2023, p. 168-196. https://doi.org/10.1017/S0959269523000054

Le zeugme du dimanche matin et de François Hébert

François Hébert, Histoire de l’impossible pays, 1984, couverture

«On rapporta ses propos, ainsi que ses bras et ses jambes au roi. On enterra l’Ouaaa, son tronc dans un cercueil ordinaire, ses membres dans quatre petits coffres faits sur mesure et disposés de part et d’autre du plus grand.»

François Hébert, Histoire de l’impossible pays. Nommé Kzergptatl, de son roi Kztatzk premier et dernier et de l’ennemi de celui-ci le sinistre Hiccope 13 empereur du Hiccopiland. Roman, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, 187 p., p. 83.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Pierre Nepveu

Pierre Nepveu, Intérieurs du Nouveau Monde, 1998, couverture

«Les Amérindiens nourrissent de ce point de vue, même dans leur absence, le chant profond du continent : basse continue de l’anéantissement, présence fantomatique qui anime le moindre paysage et lui donne sa déchirante mélancolie. Parler des Amériques, c’est forcément, tôt ou tard, en venir à parler d’eux, mais aussi à eux, comme s’ils tendaient éternellement l’oreille à nos discours et nos chants, comme s’ils étaient le foyer auditif du Nouveau Monde.»

Pierre Nepveu, Intérieurs du Nouveau Monde. Essais sur les littératures du Québec et des Amériques, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1998, 378 p., p. 210-211.