Le zeugme du dimanche matin et de Serge Bouchard

Bernard Arcand et Serge Bouchard, Quinze lieux communs, 1993, couverture

«D’abord, cela [le baseball] se joue en pyjama. Bien sûr, avec les années, la mode est passée au collant, pour le plus grand plaisir des voyeurs et des voyeuses qui ne tarissent pas d’éloges sur les fesses des frappeurs ou sur les cuisses des voltigeurs. Mais qu’à cela ne tienne, l’uniforme de ces athlètes n’a rien à voir avec les accoutrements guerriers des joueurs de football ou de hockey. C’est le chandail léger de la détente où rien, hormis la tradition, ne saurait vous intimider. Les Yankees, en effet, revêtent un pyjama sacré qui transcende les saisons ainsi que les mentalités.»

Serge Bouchard, dans Bernard Arcand et Serge Bouchard, «Le sport», dans Quinze lieux communs, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1993, p. 11-22, p. 20.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Il y a zigner et zigner

Le meilleur ami de l’homme
Le meilleur ami de l’homme

L’Oreille tendue vit dans une maison quasi centenaire. Au moment d’y emménager, elle s’est ouverte à son électricien favori d’un souci : l’intensité des appareils d’éclairage variait considérablement dans certaines pièces. «Les lumières zignent ? Je vais vous arranger ça.» Il le fit, au grand plaisir d’une maisonnée qui retrouva ses lumières chéries.

Ce n’est pas à ce sens du verbe zigner que pensait le critique de cinéma Marc Cassivi dans un article récent, quand il écrivait ceci : «Et la scène finale (avertissement au divulgâcheur) met en scène un chien incontinent qui zigne un pingouin sans défense. Vous avez bien lu.»

L’Oreille doit l’avouer : elle ne savait pas qu’il était possible de zigner un animal. Le Wiktionnaire est venu — Dieu merci — à sa rescousse : «Simuler l’accouplement, en parlant d’un animal, plus précisément un chien.» L’Oreille vous laisse aller apprécier les exemples; disons qu’ils ne correspondent pas tous à la définition donnée.

Avec son habituel sens de l’approximation, Léandre Bergeron propose deux fois une définition du verbe. En 1980 : «Se masturber» (p. 525). En 1981 : «Action de va-et-vient du bassin du mâle dans l’acte copulatoire. Ex. : Ton chien arrête pas de me zigner contre la jambe» (p. 168).

À votre service.

P.-S.—On ne confondra pas un chien qui zigne et fucker le chien.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

La langue de

«Souvenir du Ier Congrès de la langue française en Amérique», 1912, carte en couleurs

En matière de langue, les clichés ont vie dure. Le français ? «La langue de Molière.» L’anglais ? «La langue de Shakespeare.» Etc.

Le français du Québec, là-dedans ? Première collecte, pas du tout exhaustive.

En chanson : «la langue de [Félix] Leclerc» (la Presse+, 4 mai 2023); «la langue de Malajube» (la Presse+, 24 juin 2023); «la langue de Pauline Julien» (la Presse+, 2 juillet 2023); «la langue de Plume Latraverse» (la Presse+, 16 juillet 2023); «la langue de [Gilles] Vigneault» (la Presse+, 28 août 2023).

En littérature : «la langue de Réjean Ducharme» (la Presse+, 14 mars 2009); «la langue de Molière, Tremblay ou Senghor» (le Devoir, 10 mai 2023); «la langue de Gaston Miron» (la Presse+, 18 juin 2023).

En science : «la langue de Marie-Victorin» (le Devoir, 22 février 2023).

Tendons l’oreille.

P.-S.—Oui, cela fait partie de la famille des P.Q.

 

[Complément du 11 juin 2024]

Deuxième récolte.

Vigneault est une valeur sûre : la Presse+, 10 octobre 2023; la Presse+, 10 mars 2024.

En chanson, ajoutons Mononc’ Serge : la Presse+, 26 septembre 2023.

Le sport n’est pas en reste : Maurice Richard (la Presse+, 4 décembre 2017); Guy Lafleur (la Presse+, 13 janvier 2024); Gabriel Grégoire (la Presse+, 25 novembre 2023); Marc Denis (la Presse+, 24 septembre 2023).

Un comédien s’ajoute : Pierre Curzi (la Presse+, 9 mai 2024).

Deux perles, enfin.

L’anglais ? La langue de lord Durham, selon Tourniquet.

Le français du Québec ? La langue de Michel Tremblay, selon Wikipédia.

 

[Complément du 20 décembre 2024]

Ajoutons deux paires :

«la langue de Corneille (le chanteur ou le dramaturge, c’est comme vous voulez)» (le Devoir, 29 novembre 2024, p. B1);

«Michael [Hage] est allé à l’école française au primaire et converse encore avec ses grands-parents dans la langue de Guy Bertrand (celui de votre choix)» (la Presse+, 29 juin 2024).

 

[Complément du 16 juillet 2025]

Y a-t-il moyen de trouver les motifs derrière ces choix ? Tentons une esquisse de typologie, qu’il s’agisse du français (du Québec) ou de l’anglais.

On peut s’appuyer sur l’actualité : le musicien venant de mourir, il est question de «la langue de Fiori» dans le Devoir (8 juillet 2025, p. A7).

Le chroniqueur de soccer du quotidien la Presse+ lie ses choix au sport qu’il couvre : «la langue de Thierry Henry» (19 décembre 2024; 25 mars 2025; 14 juin 2025), «la langue de sir Alex Ferguson (1er mars 2025; 11 juillet 2025) et «la langue d’Arsène Wenger» (18 janvier 2025; 10 mars 2025; 28 mars 2025) évoquent trois anciens joueurs devenus entraîneurs. Ses collègues qui couvrent le football parlent de «la langue de Marc-Antoine Dequoy» (10 mai 2025), un joueur, et de «la langue de Pierre Karl Péladeau», le propriétaire des Alouettes (13 avril 2025).

Dans d’autres cas, le mystère règne : «la langue de Jean Garon» (la Presse+, 12 juin 2025) ?

 

[Complément du 21 octobre 2025]

Vous n’aimez pas «La langue de» ? Cette périphrase est trop banale à vos oreilles ? La Presse+ du jour propose une variation sur le même thème : «l’accent de Gilles Vigneault».

 

[Complément du 21 octobre 2025]

Certains voudraient opposer le français hexagonal («la langue de Molière») et celui du Québec («la langue de Tremblay»). Pas François Hébert qui, dans De Mumbai à Madurai (2013), parle de «la langue de Molière et de Michel Tremblay» (p. 101).

 

Illustration : «Souvenir du Ier Congrès de la langue française en Amérique», 1912

 

Référence

Hébert, François, De Mumbai à Madurai. L’énigme de l’arrivée et de l’après-midi. Récit, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Romanichels», 2013, 127 p. Ill.