Ami ami, bis

Portrait de Michel de Montaigne

«Un ami est un ami.»
Laurent Ruquier

Au Québec, l’amitié est une chose subtile.

On peut être l’ami de quelqu’un. On peut être son chumau-delà du raisonnable —, peu importe le sexe : un chum de gars, une chum de fille. On peut aussi se mettre chummy avec quelqu’un.

Il existe au moins deux graphies de la chose.

«Trump se fait chummé avec la Russie», écrit Olivier Niquet dans son excellente lettre d’information, Tourniquet Express.

Même graphie chez Christophe Bernard dans la Bête creuse : «C’était la fête, du monde en masse, et de tous les âges, chummés, l’âge comptait pas» (p. 597).

«Enweille chummy suis-moi, emboîte-moi le pas», chante Mad’MoiZèle GIRAF.

Le é final de Niquet et Bernard doit évoquer une prononciation distincte de celle du duo québécois de raggamuffin.

Vous faites bien comme vous voulez.

P.-S.—Bis ? Parce que.

 

Réféfence

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Raideur inattendue

Arseniq33, Dansez, bande de caves, 2008, pochetteArseniq33, Dansez, bande de caves !, 2008, pochette

Soit les deux exemples suivants :

«J’te parle foule pine à ’planche ben raide
J’te parle dans ’face
Paye moué une bière si j’en ai plein mon cass
D’la langue de bois, celle d’Ottawa»
(Arseniq33, «J’use d’la langue», Dansez, bande de caves ! 15 ans d’arseniq33 [1992-2007], 2008)

«De toute évidence, une telle performance de [Marie-Philip] Poulin ne surprend plus personne. On a d’ailleurs compris, après la partie, qu’elle avait joué malgré un vilain rhume. “Je suis congestionnée ben raide !”, a-t-elle lâché en fin de conférence de presse. Ça ne l’a pas empêchée d’inscrire un tour du chapeau» (la Presse+, 30 janvier 2025).

Ben raide ? Dans le français populaire du Québec : complètement, totalement, mais aussi, selon Pierre DesRuisseaux, brusquement, abruptement (p. 36).

À votre service.

 

Référence

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Pas grand-chose, version locale

«Des mesurettes et des pinottes», tweet de Marc Cassivi, 13 septembre 2018

Deux fois, durant la journée d’hier, l’Oreille tendue a rencontré, dans le même sens, l’expression des pinottes : «Ça représente peut-être des pinottes, dans le grand ordre des choses, mais les gouvernements ne pourraient-ils pas prêcher par l’exemple, en cessant de s’approvisionner sur la plateforme d’Amazon ?» (la Presse+, 28 janvier 2025); «La fin des musées gratuits pour économiser des pinottes» (Tourniquet, 28 janvier 2025).

Dans le français populaire du Québec, des pinottes, c’est bien peu, pas grand-chose, presque rien, dérisoire.

Pinottes, comme dans l’anglais peanuts (arachides, cacahuètes).

À votre service.

P.-S.—Nous avons, en effet, déjà croisé le chemin de la pinotte : dans un virelangue; sur la route.

Danger !

Image de glaçons

Il peut arriver, au Québec, qu’il fasse froid (frette); c’est le cas ces jours-ci.

En pareille période, des choses, souvent liées à l’habitation, peuvent péter au frette, des clous, par exemple. Elles explosent.

Les emplois figurés de l’expression ne manquent pas. Deux exemples :

«Je lis donc beaucoup plus : des essais, des romans qui éclairent les enjeux actuels avec le recul nécessaire pour ne pas péter au frette» (la Presse+, 3 octobre 2023).

«Les notes de bas de page [dans Dis-moi Céline]devraient également provoquer des roulements d’yeux au Québec, plus précisément celles qui viennent expliquer chaque expression locale. Ainsi, on souligne que “beurrer épais” signifie “exagérer, en faire trop”, que “travailler fort en titi” veut dire “beaucoup, en grande quantité”, que “péter au frette” signifie “mourir, tomber d’épuisement”, qu’“avoir les yeux dans graisse de bines” veut dire “se lever fatigué”, et qu’une “toune” est synonyme de “chanson”» (la Presse+, 5 octobre 2023).

Pierre DesRuisseaux multiplie les synonymes : «Mourir subitement, crever de froid, abandonner, avoir perdu la raison, être éliminé» (p. 238).

Le Dictionnaire des francophones va dans le même sens que lui : «Se briser, cesser de fonctionner à cause du froid»; «Mourir, faire une crise cardiaque ou une crise de nerfs ou tomber d’épuisement à cause d’émotions fortes ou de surmenage»; «Projet, entreprise, objet qui cesse de fonctionner en raison d’une pression ou d’une tension trop grande.»

À votre (frigorifique) service.

 

Référence

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.