Nature morte

Benoit Bordeleau, Rosettes, 2025, couverture

Soit cette «nature morte» (p. 130), tirée de Rosettes (2025), de Benoit Bordeleau :

Une fois le seuil franchi, nous déposons les trouvailles dans un tas de brindilles lâchement assemblé sur le plancher de la cuisine pour former une sorte de nid : des fleurs de tapis, des pattes d’oie, un tout petit flacon de sang de cochon et un autre rempli d’huile de coude. J’observe Pomme qui se tient, perplexe, dans la lumière crue. Elle ouvre les bras et j’y vois deux mains pleines de pouces, au moins un pouce vert et des doigts croches. Elle a les pieds de celles ayant perdu pied (p. 129).

Certaines expressions, en français de référence, n’ont pas besoin d’explication : «pattes d’oie», «huile de coude», «ayant perdu pied».

D’autres, familières au Québec, demandent peut-être à être définies.

Nous avons déjà croisé les «fleurs de tapis», le «sang de cochon» et le «pouce vert». Les «mains pleines de pouces» désignent la maladresse : un par main, ce devrait être assez. Les «doigts croches» sont tordus.

À votre service.

P.-S.—«Rosettes» ? Il y a notamment celle-ci.

 

Référence

Bordeleau, Benoit, Rosettes, Montréal, Les éditions de la maison en feu, 2025, 159 p.

Où faire le pli ?

Albert Chartier, Onésime, août 1981, case comportant les mots «Ça m’fait pas un pli !»

Le français de référence connaît l’expression ne pas faire un pli : «être sûr, assuré ou fatal» (Larousse). Le français populaire du Québec propose un autre sens : «laisser complètement indifférent» (Usito).

Exemples du premier usage :

«Deviennent-ils insolents ? il est aisé d’y remédier. On leur donne quelques coups de bâton; on les paie, et on les renvoie : cela ne fait pas le moindre petit pli» (Fougeret de Monbron, Margot la ravaudeuse, p. 98-99).

«Mais quand même en cinquième maison, Vénus conjointe, en principe ça ne faisait pas un pli» (Jean Echenoz, l’Équipée malaise, p. 50).

Exemples du second usage :

«Ça ne lui fait pas un pli. C’est drôle, quand ça ne la concerne pas ça l’ennuie» (Réjean Ducharme, Dévadé, p. 96).

«Il aurait pu m’enduire la tête de morve de bison, ça ne m’aurait pas fait un pli» (Suzanne Myre, Humains aigres-doux, p. 152).

Compliquons un peu les choses. Le pli québécois peut toucher diverses parties du corps.

Le pis, s’agissant de vaches : «Qu’on leur pique leur lait pour l’envoyer chez Provigo plutôt que de le donner à leur veau, ça ne leur fait pas un pli sur le pis» (Pierre Foglia, «Un vrai job, enfin», la Presse, 16 octobre 2010, cahier Plus, p. 2).

Le ventre : «À bien y penser, il n’est pas un restaurant dans Manhattan, in ou pas, où Lafleur ne pourrait pas dîner en paix avec sa femme, sans que son voisin de table ne se doute une seconde de qui il est et s’en douterait-il que ça ne lui ferait probablement pas un pli sur le ventre» (Pierre Foglia, «Flower Loves New York», la Presse, 22 octobre 1988).

La différence : «C’est juste que ma mère dit qu’il existe deux types de monde dans le monde : les ceuses qui se sentent solidaires avec un fugitif juste parce qu’il a échappé aux bœufs, même si c’est un criminel ou s’il a blessé ou volé du monde, pis les ceuses pour qui ça fait pas un pli sur la différence» (William S. Messier, Dixie, p. 136).

La poche : «Je pense à tous les astres en chute libre vers leur étoile et que ça ne fait pas un pli sur la poche à personne» (Marie-Andrée Gill, Uashtenamu, p. 16); «“Ça m’fait pas un pli su’a poche” / ça veut dire que quelque chose ne nous dérange / ne nous perturbe pas» (Fabien Cloutier, Trouve-toi une vie, p. 70).

À votre service.

P.-S.—Rappelons la polysémie québécoise de la poche.

P.-P.-S.—L’Oreille tendue a présenté Dixie en 2015 et Trouve-toi une vie en 2016.

 

Illustration : Albert Chartier, Onésime, août 1981 (éd. de 2011, p. 216)

 

Références

Chartier, Albert, Onésime. Les meilleures pages, Montréal, Les 400 coups, 2011, 262 p. Publié sous la direction de Michel Viau. Préface de Rosaire Fontaine.

Cloutier, Fabien, Trouve-toi une vie. Chroniques et sautes d’humeur, Montréal, Lux éditeur, 2016, 140 p. Dessins de Samuel Cantin.

Ducharme, Réjean, Dévadé. Roman, Paris et Montréal, Gallimard et Lacombe, 1990, 257 p.

Echenoz, Jean, l’Équipée malaise. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1986, 251 p.

Fougeret de Monbron, Margot la ravaudeuse, Cadeilhan, Zulma, coll. «Dix-huit», 1992, 119 p. Édition originale : 1750. Présentation de Michel Delon.

Gill, Marie-Andrée Gill, Uashtenamu. Allumer quelque chose, Saguenay, La Peuplade, 2025, 102 p.

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.

Myre, Suzanne, Humains aigres-doux. Nouvelles, Montréal, Marchand de feuilles, 2004, 157 p.

Une poule en forme

La poule en shape, Montréal, 2025, logo

L’image ci-dessus annonce l’ouverture d’un restaurant à Montréal. On y servirait, si l’Oreille tendue comprend bien, du poulet (poule) en forme (en shape). On imagine, sans en être tout à fait sûr, que c’est une bonne chose.

Tant d’interrogations (culinaires), si peu d’heures.

P.-S.—Ce pourrait être pire (ou mieux) : La poule en top shape.

Du fligne et du flagne

«“Fling-flang” syndical», le Journal de Montréal, 28 janvier 2014, titre d’article

Soit la phrase suivante, tirée de la Presse+ du jour : «L’UPAC a (re)lancé l’enquête policière sur tous les fling flangs dans la saga de SAAQclic, enquête où des employés de la SAAQ pourraient être accusés au criminel.»

Fling flang ? Dans le français populaire du Québec, le mot existe en plusieurs graphies : fling flang, fling-flang, fligne-flagne. Il évoque une forme de malversation.

Le 6 juin 2012, dans sa rubrique «Mots et maux» du Devoir, Antoine Robitaille faisait de fligne-flagne son «Mot du jour», alors qu’il venait d’être utilisé (et critiqué) à l’Assemblée nationale du Québec. Sa définition de ce «formidable mot» ? «Procédé malhonnête.»

À votre service.

P.-S.—Dans l’exemple tiré de la Presse+, on peut s’interroger sur le pluriel : un seul fling, plusieurs flangs ?

P.-P.-S.—Avec son imagination habituelle, Léandre Bergeron, en 1981, sous «fligne-fagne», donnait deux synonymes : «Flasage. Fla-fla» (p. 101).

 

Référence

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.