L’oreille de Daniel Pennac

Daniel Pennac. le Cas Malaussène. I, 2017, couverture

Soit la phrase suivante, tirée du plus récent ouvrage de Daniel Pennac :

Et je me revois empruntant le vocabulaire famélique de Tobias, adoptant cette espèce de maniérisme commercialo-administratif auquel Mélimé et lui nous ont habitués dès nos premiers jours (des histoires où l’on ne «tombe» pas mais où l’on «chute», où l’on ne «fait» pas mais où l’on «effectue», où l’on ne «meurt» pas mais où l’on «décède», où les «occasions» sont des «opportunités», où les événements ne vous «touchent» pas mais vous «impactent…», où l’on ne vous «répond» pas mais où l’on «revient vers vous»).

Merci à Luc Jodoin d’avoir tendu l’oreille et d’avoir repéré cette citation. Il a eu raison de penser que l’Oreille tendue allait se régaler.

 

Référence

Pennac, Daniel, le Cas Malaussène. I. Ils m’ont menti, Paris, Gallimard, 2016. Édition numérique.

L’oreille tendue de… Louis Hamelin

Louis Hamelin, Autour d'Éva, 2016, couverture«Manon et Dubois occupent seuls la longue table en bois installée à l’avant en guise de tribune. Par les fenêtres, on aperçoit les rangs serrés d’épinettes noires cachant le lac. La paix du soir est telle que la rumeur de voix et de crissements de pieds de chaise qui monte de l’assistance n’empêche nullement de suivre, sans avoir besoin de tendre l’oreille, l’arrivée de chaque nouveau véhicule motorisé débouchant dans le parking du chalet scout, couvert, comme le chemin d’accès, de sable fauve, de fin gravier et de poussière blanche.»

Louis Hamelin, Autour d’Éva. Roman, Montréal, Boréal, 2016, 418 p., p. 66.

L’oreille tendue de… Catherine Mavrikakis

«Je ne sais pas s’il y a de l’angoisse dans mon carnet. Je dirais plutôt qu’il y a de l’inquiétude. Je suis inquiète, toujours inquiète, aux aguets, par rapport à l’avenir, par rapport à ce qui peut nous tomber dessus. C’est une forme d’écoute du monde, des autres. Je suis une oreille tendue, oui, très tendue» (Catherine Mavrikakis, entrevue par Dominique Lemieux, les Libraires, 14 septembre 2010).

L’oreille tendue de… André Belleau

André Belleau, Notre Rabelais, couverture, 1990

«Si on mettait bout à bout toutes les grossièretés, en oubliant le reste, on finirait par dessiner, au tableau noir, un corps caractérisé par une excroissance prodigieuse du nez, une ouverture abyssale de la bouche et un gonflement énorme de l’étage corporel inférieur. Et ce corps serait dépourvu d’yeux parce que ceux-ci individualisent, renvoient à une singularité. Le regard, reflet de l’intérieur, la vision introspective viendront plus tard avec la littérature bourgeoise. Le corps grotesque se signale au contraire par l’hypertrophie des organes de relation au monde : l’oreille que l’on tend, le nez qui hume.»

André Belleau, Notre Rabelais, «Présentation» de Diane Desrosiers et François Ricard, Montréal, Boréal, 1990, 177 p., p. 35.

L’oreille tendue de… Gilles Marcotte

Gilles Marcotte, la Vie réelle, 1989, couverture

«Parfois je crois entendre, venant de sa chambre, quelque chose qui ressemble à de la musique mais j’ai beau tendre l’oreille, me concentrer à l’extrême, je ne parviens pas à décider si c’est classique ou romantique, dodécaphonique ou simplement atonal, et d’ailleurs comment ferait-il jouer de la musique ?»

Gilles Marcotte, «S.», dans la Vie réelle. Histoires, Montréal, Boréal, 1989, 235 p., p. 193-213, p. 201.