Dissonance cognitive du jour

Article «Féminisation des noms de métiers en français», Wikipédia, titreL’Oreille tendue lit un livre sur la littérature numérique.

L’ouvrage est savant. Dans les notes de bas de page, il y a des ressources imprimées et des ressources numériques. Parmi celles-ci, l’auteur n’hésite pas à inclure des articles de Wikipédia. Voilà quelqu’un qui reconnaît l’évolution des pratiques.

Ailleurs, cet auteur est à la traîne. C’est le cas quand il désigne une créatrice par l’expression «le même auteur». Pourquoi pas «la même auteure» ?

Comment concilier ces deux attitudes ?

Penser la thèse à trente

Collectif Devenir chercheur. Écrire une thèse en sciences sociales, 2013, couverture

«Quelqu’un qui souhaite écrire une thèse
n’a en fait que trois problèmes à résoudre :
comment commencer,
comment terminer
et que faire entre les deux.»
(Howard S. Becker)

Pour réfléchir à la thèse, on peut travailler seul (Umberto Eco, Tis, Marie-Lambert-Chan, Geneviève Belleville, Tiphaine Rivière), se mettre à deux (Catherine Duffau et François-Xavier André), conjuguer ses efforts pour actualiser un ouvrage souvent réédité (Michel Beaud, Magali Gravier et Alain de Tolédo). On peut aussi constituer une équipe : c’est ce qu’ont fait Moritz Hunsmann et Sébastien Kapp pour Devenir chercheur. Écrire une thèse en sciences sociales (2013). Leur ouvrage est né d’un séminaire de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris), «Les aspects concrets de la thèse» (p. 22-23).

Présenter les vingt-cinq chapitres de ce recueil, signés par trente chercheurs, serait barbant. L’Oreille tendue a choisi ceux qui lui paraissent d’un intérêt particulier.

La préface d’Howard S. Becker, «Écrire une thèse, enjeu collectif et malaise personnel» (p. 9-16), se distingue doublement. Elle contient la remarque suivante :

je vais vous livrer un autre secret qui m’a permis de finir ma thèse rapidement et sans souffrance inutile. J’écrivais deux pages par jour, sans exception. C’était ma tâche quotidienne. Si j’avais fini mes deux pages à neuf heures du matin, je m’accordais le reste de la journée. Quand c’était nécessaire, je travaillais pendant des heures. Mais je finissais toujours la journée avec deux nouvelles pages. Un ami avait fait le calcul à ma place : si l’on écrit deux pages par jour, à la fin de l’année, on disposera de 730 pages, c’est-à-dire assez pour au moins deux thèses.

Voici ma dernière injonction à tous ceux qui ont du mal à écrire : commencez à écrire ! Ne restez jamais à regarder votre écran blanc. Écrivez quelque chose, peu importe ce que vous écrivez. Continuez à écrire jusqu’à ce que vous trouviez quelque chose qui a l’air utile, puis travaillez ce passage (p. 15).

Et elle se termine par une citation de Satchel Paige.

Lamia Zaki («Rédiger sa thèse comme on assemble un puzzle. Mieux articuler écriture et réécriture», p. 171-183) rejoint en quelque sorte les propos de Becker, par le biais de souvenirs :

J’aurais trouvé rassurant de savoir qu’une thèse ne se termine pas toujours ni pour tous par une longue période d’écriture frénétique (les récits des jeunes initiés racontant leur dernière année de thèse «coupée du monde», «sans vie sociale», «infernale», accréditent cette conception classique, agréée par le milieu académique, de la nécessaire écriture d’une seule traite). Savoir que l’on peut aussi rédiger sa thèse progressivement, ou plutôt par à-coups, m’aurait davantage motivée que de redouter et d’attendre une phase ultime de souffrance initiatique (p. 175).

«La communication orale. Partie intégrante du processus scientifique» (p. 217-228), de Luc Van Campenhoudt, est, aux yeux de l’Oreille, la meilleure contribution de l’ouvrage. Il s’agit d’une réflexion bienvenue et tout à fait juste sur la prise de parole publique dans la vie des thésards. Des citations ? «Sous diverses formes, la communication orale mais aussi la discussion qui s’ensuit généralement font partie intégrante du processus de recherche» (p. 220). «Ne pas respecter ces règles [de durée des interventions] représente une faute professionnelle, ni plus ni moins» (p. 225). Celle-ci, surtout : «La clarté et la cohérence rendent évidemment vulnérable à la critique car elles permettent aux interlocuteurs de saisir la signification des propos» (p. 225).

Dans «Le canon à idées. Les opportunités du numérique pour les jeunes chercheurs» (p. 251-268), puis dans «Maîtriser son identité numérique» (p. 269-270), Martin Dacos et Pierre Mounier, reprenant des travaux antérieurs, rappellent qu’il est désormais essentiel, pour un thésard, d’envisager la diversité des modes de diffusion du savoir et d’assurer son identité numérique.

Tous les objets abordés ne sont pas originaux — comment l’être ? —, ce qui ne les rend pas moins nécessaires : «Que faire des conseils (ou de l’absence de conseils) de son directeur de thèse ?» (Monique de Saint Martin, p. 63-79); «Le projet de thèse. Un processus itératif» (Jean-Pierre Olivier de Sardan, p. 107-124); «L’apprentissage du xiangqi ou l’ethnographe comme auteur» (Thierry Wendling, p. 201-214); «Le travail des revues» (Nicolas Barreyre, p. 245-249); «Le moment de la soutenance de thèse» (Laurence Zigliara et Rémi Hess, p. 271-280) et «Soutenir le poids de la thèse» (Claudine Dardy, p. 281-287).

Bref, à boire et à manger.

P.-S.—Jean-Louis Fabiani a un texte tout à fait stimulant, «Faire son choix théorique en science sociales» (p. 47-62), qui propose un état présent des débats théoriques en sociologie. Ça n’a malheureusement rien à voir avec le travail de thèse tel qu’il est abordé dans les autres textes du collectif. Fabiani n’est pas le seul dans ce cas.

P.-P.-S.—Lecteur, si tu n’aimes pas le mot posture, n’ouvre pas ce livre. Tu souffriras, et beaucoup.

 

Référence

Hunsmann, Moritz et Sébastien Kapp (édit.), Devenir chercheur. Écrire une thèse en sciences sociales, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, coll. «Cas de figure», 29, 2013, 358 p. Préface de Howard S. Becker.

L’Association internationale des études québécoises

En 2006, l’Oreille tendue publiait les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle. Par l’intermédiaire de son Programme de soutien à la diffusion des connaissances sur le Québec, l’Association internationale des études québécoises avait alors distribué une cinquantaine d’exemplaires de l’ouvrage à des centres de recherche un peu partout dans le monde. (Merci encore.)

Le gouvernement du Québec souhaite réduire la subvention qu’il accorde à l’AIEQ, menaçant de ce fait même son existence.

Pour appuyer cette association indispensable, on peut signer une pétition en ligne et la défendre sur les réseaux sociaux.

L’Oreille vous y invite.

 

Référence

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Benoît Melançon, les Yeux de Maurice Richard, éd. de 2006, couverture

Autopromotion 343

Marcello Vitali Rosati, Navigations, 2015, couverture

L’Oreille tendue a des collègues et elle a des amis. Parfois, il s’agit des mêmes personnes. C’est le cas de Marcello Vitali-Rosati, avec qui elle a longuement discuté lors de la parution de la 3000e entrée de ce blogue.

Ledit ami et néanmoins collègue vient de mettre en ligne un texte intitulé «Production de l’auteur et éditorialisation». L’Oreille est au menu. Elle rougit et elle est un peu étourdie; vous verrez pourquoi.

Vœux universitaires pour 2018

Martine crée un moratoire, (fausse) couverture

Les professeurs d’université — l’Oreille tendue en est — sont comme tout le monde : ils aiment les expressions toutes faites. À force d’être répétées, elles perdent complètement leur sens, si tant est qu’elles en aient déjà eu un.

On a déjà vu que les collègues de l’Oreille, voire l’Oreille elle-même, ne résistent pas aux charmes de la posture, du dispositif, de la subversion, de la modernité (qui n’est pas la tradition) ou des titres en chiasme. Ils aiment beaucoup rebondir.

Proposons, pour bien commencer 2018, quelques ajouts à notre liste de moratoires : plaisir du texte; société du spectacle; les composés en post; les titres en x est un sport de combat (merci à @AnthonyGlinoer et à @Dorialexander); votre thèse, qui est une vraie thèse.

On peut toujours rêver.

Illustration : Merci à Générateur de couverture Martine !

P.-S.—Nous serions donc dans l’ère post-post ? Cela a été dit, ici et .