Néologisme du mois

Portrait de Bernardin de Saint-Pierre

Bernardin de Saint-Pierre, 22 avril 1775 : «Petite pluie fine par grumeaux très féconde. Quand on voir tomber ces pluies, on dit qu’il avrile» (éd. de 2015, p. 140).

 

[Complément du jour]

Grâce à @machinaecrire et au Centre national de ressources textuelles et lexicales, l’Oreille tendue découvre l’existence du blé avrillé / avriller / avriller, «semé en avril».

 

Référence

Bernardin de Saint-Pierre, Voyage en Normandie. 1775, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, coll. «Lumières normandes», 2015, 231 p. Ill. Texte établi, présenté et annoté par Gérard Pouchain.

Le zeugme du dimanche matin et de Paul Lejeune

Un Français au «royaume des bestes sauvages», 2009, couverture

«il se fit une ouverture qui donna entrée à l’eau dans nostre canot & à la crainte dans nostre cœur»

Paul Lejeune, Relation de 1634, dans Un Français au «royaume des bestes sauvages», édition préparée par Alain Beaulieu avec la collaboration d’Alexandre Dubé, Montréal, Lux, coll. «Mémoire des Amériques», 2009 (seconde édition revue et augmentée), 256 p., p. 244.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Les zeugmes du dimanche matin et de Nicolas Bouvier

«Nous avions deux ans devant nous et de l’argent pour quatre mois» (p. 10).

«Beaucoup d’entre eux [les revenants des beaux quartiers], revenus au pays après l’amnistie d’octobre 1951, occupaient la plus petite pièce de leur ancien logis et les situations les plus imprévues» (p. 20).

«Le désarroi, la solitude sont des choses que les Serbes reconnaissent au premier coup d’œil, et ils sont là tout de suite avec une bouteille, quelques petites poires meurtries et leur bonne présence à vous offrir» (p. 28).

«À des allures d’animaux de trait ils cheminent [des camions], parfois pendant des semaines, vers un bazar perdu, vers un poste militaire, et tout aussi sûrement vers des pannes et des ruptures qui les immobilisent pour plus longtemps encore» (p. 206).

«Bien loin de l’outrager, nous lui faisons fête, compliment de son français, offrande de cigares baloutchs tandis qu’il chantonne, l’air absent, battant la mesure sur sa chaise» (p. 320).

Nicolas Bouvier, lUsage du monde, Montréal, Boréal, 2014, 375 p. Édition originale : 1963.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Chronique de circulation

En 2009, l’Oreille tendue publiait quelques notes de voyage en Thaïlande sous le titre Bangkok.

Elle y écrivait ceci :

Les rues de Bangkok sont bondées. Les feux sont interminables. Heureusement qu’il y a les autoroutes. Elles permettent de filer d’un bouchon à l’autre (p. 16).

L’Oreille ne se doutait pas qu’elle décrivait alors la situation de Montréal aujourd’hui.

 

Référence

Melançon, Benoît, Bangkok. Notes de voyage, Montréal, Del Busso éditeur, coll. «Passeport», 2009, 62 p. Quinze photographies en noir et blanc.

Benoît Melançon, Bangkok, 2009, couverture

Banal comme la mort

Bernardin de Saint-Pierre, Voyage de Normandie. 1775, éd. de 2015, couverture«Terre n’est faite que pour y voyager.»

En mars 1775, Bernardin de Saint-Pierre quitte Paris pour la Normandie; il est de retour en mai. Entre-temps, il a parcouru 600 kilomètres, un peu à cheval et en bateau, surtout à pied : «Ma douleur au pied m’ôte une partie du plaisir de voyager» (p. 149); «J’avais terriblement mal aux pieds» (p. 181). Il rapporte de cette excursion un récit de voyage inachevé, fait de courts textes bruts, à la syntaxe bousculée, volontiers énumératifs, parfois incomplets.

Le voyageur note ce qu’il voit, ce qu’il entend («quel chant grégorien vaut la musique des rossignols ?», p. 192), ce qu’il mange et boit (et combien ça coûte). Il est sensible au temps qu’il fait, à la faune et à la flore, au commerce et à l’industrie, aux formes multiples de la pauvreté («Tant d’objets d’affliction», p. 151). Il passe quelques jours à Dieppe (chez sa sœur Catherine), à Sainte-Marguerite-des-Loges, au monastère de La Trappe. Il propose des mesures politiques, par exemple la création d’un ministère de l’Agriculture. Il compare la province — «Tout n’est pas plaisir et dissipation à la campagne» (p. 119) — à la capitale, Paris, «cette grande ville qui dévore ses environs» (p. 43), ce «grand arbre dont les racines s’étendent dans toutes les provinces» (p. 119). Il tend l’oreille : «Les gens du pays appellent ces ravins des cavins» (p. 99); «Je trouvai petit garçon monté dans des pommiers pour cueillir du gui pour des agnats, me dit-il, pour agneaux» (p. 146).

Sous sa plume, la mort est très souvent présente, mais banalisée. Certains meurent de mort naturelle, notamment de la «maladie de Livarot» (p. 132-133), d’autres de mort violente, sans que cela paraisse sortir de l’ordinaire. Un jeune homme tombe à l’eau et se noie : «Ce spectacle attrista. Nous arrêtâmes à Mantes, près du pont, où, en entrant dans une petite écurie, je vis un spectacle, genre différent, mais non moins triste : une jument mourante» (p. 44). On assassine à coups de hache (p. 45), on arrache la tête (p. 151), on s’interroge, au milieu d’une description lyrique, sur la possibilité de «tuer un père de famille ou un amant» (p. 192). À l’exception du récit du crime d’«un fou dont la folie était de s’habiller en femme et de vouloir être appelé madame» (p. 160), aucune de ces «histoires funèbres» (p. 46) ne mérite de développement. C’est ainsi que les hommes meurent.

Fort sentiment d’étrangeté.

P.-S. — Les goûts vestimentaires de Bernardin de Saint-Pierre peuvent étonner : «Traversant le taillis de Saint-Germain avant de monter la hauteur, je vis beaucoup de bouleaux dont le tronc couleur blanc de plâtre était tigré de mousse jaune. Pourquoi était-il ainsi tigré ? Pourquoi la mousse ? Cet effet était fort agréable et je me promis que, quand j’habillerais ma femme, de lui donner une robe blanche tigrée de chenilles orange» (p. 38).

 

Référence

Bernardin de Saint-Pierre, Voyage de Normandie. 1775, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, coll. «Lumières normandes», 2015, 231 p. Ill. Texte établi, présenté et annoté par Gérard Pouchain.