Le zeugme du dimanche matin et de Mikella Nicol

Mikella Nicol, Mise en forme, 2023, couverture

«J’ai toujours voulu croire que j’avais l’esprit libre. Croire à cette version de moi qui lit plusieurs ouvrages à la fois sans jamais en perdre le fil, qui écrit des poèmes ou des romans après un verre de vin qui l’a rendue triste. Cette image me plaît, mais la vérité est que je finis souvent à quatre pattes, à obéir aux ordres d’une fille éternellement plus jeune que moi. Je l’écoute me dire qu’il faut des sacrifices pour obtenir des fesses rondes, ou ce qu’on veut de la vie, et son autorité repose sur sa perfection, son costume professionnel duquel rien ne dépasse : un soutien-gorge sport, un minishort et beaucoup de peau lisse. Cette autre image de moi, j’aime moins y penser.»

Mikella Nicol, Mise en forme, Montréal, Le Cheval d’août, 2023, 154 p., p. 133-134.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

In memoriam. François Hébert (1946-2023)

François Hébert, «Michel Beaulieu», assemblage, 2004

«Tout m’intéresse, me fait signe»,
Frank va parler

Le 28 mai, l’Oreille tendue mettait en ligne quelques zeugmes tirés du roman Frank va parler de François Hébert.

Ce roman, comme ses autres romans et récits et ses recueils de poésie, ne correspond guère à ce que l’on attend en matière de création. C’est joyeux, inattendu, libre, irrévérencieux, pas sérieux, assez broche à foin, du moins en apparence. Ce texte se passe dans une pyramide il y a plusieurs siècles, dans des bars de danseuses, dans une maison jaune à Saint-Lambert, dans un condo à Rosemont, sur la plateforme Zoom. C’est, entre autres choses, une réflexion sur l’amour, le temps qui passe (ou pas), la littérature et la mort.

À la pagne 179 se trouve une liste de morts : amis, collègues ou proches. Tout au long de Frank va parler, le romancier revient aussi sur la mort de ses parents, comme il le faisait au sujet d’eux et de sa sœur dans le recueil Des conditions s’appliquent (2019). Il faudra maintenant ajouter le nom de François Hébert à ces tombeaux : il est mort ce mardi.

Il avait été, il y a quelques décennies, le professeur de l’Oreille tendue dans un cours de poésie québécoise (quelles cravates !), puis ils étaient devenus collègues («Le comité va tout mettre ça dans un vrac»). Appelé à se définir, plutôt qu’«universitaire», il se disait «critique littéraire» (De Mumbai à Madurai, p. 24, p. 29, p. 40). Il créait des «assemblages», faits de matériaux rassemblés de-ci de-là : il y en a un en couverture du livre de l’Oreille intitulé Écrire au pape et au Père Noël (2011). Il citait volontiers Gaston Miron et Tintin. Il avait parcouru le monde, mais il aimait Montréal (Montréal, 1989; Signé Montréal, 2010) et la nature québécoise («Quand t’achètes un terrain, c’est la première acre qui coûte le plus cher»). François Hébert était le poète québécois que lisait le plus régulièrement l’Oreille : cela doit vouloir dire quelque chose, sur lui, sur elle. Il est cité une cinquantaine de fois ici : voir, par exemple, ceci, sur les gougounes, ou cela, sur un roman à clés.

Pas plus tard que lundi dernier, l’Oreille tendue écrivait à François au sujet d’un passage de Frank va parler. Ce courriel restera sans réponse.

 

Illustration : François Hébert, «Michel Beaulieu», assemblage, 2004

 

Références

Hébert, François, Montréal, Seyssel, Champ vallon, coll. «Des villes», 24, 1989, 103 p.

Hébert, François, De Mumbai à Madurai. L’énigme de l’arrivée et de l’après-midi. Récit, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Romanichels», 2013, 127 p. Ill.

Hébert, François, Des conditions s’appliquent. Poèmes, Montréal, L’Hexagone, 2019, 75 p., p. 45.

Hébert, François, Frank va parler. Roman, Montréal, Leméac, 2023, 203 p.

Melançon, Benoît, Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires, Montréal, Del Busso éditeur, 2011, 165 p.

Signé Montréal, Montréal, Pointe-à-Callière. Musée d’archéologie et d’histoire de Montréal, 2010, 159 p. Ill. François Hébert : auteur. Moment Factory : visuels. Avec la collaboration de Sylvie Dufresne, Paul-André Linteau et Raymond Montpetit. Existe aussi en version anglaise.

Le zeugme du dimanche matin et de Charlotte Biron

Charlotte Biron, Jardin radio, 2022, couverture

«De l’autoroute jusqu’à la ville, de l’extérieur jusqu’à mon appartement, de grands roseaux, des oiseaux de proie et des chevreuils déjouent les bourrasques et les accidents avant que n’apparaissent des immeubles, des entrepôts et un bar de danseuses.»

Charlotte Biron, Jardin radio. Récit, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 166, 2022, 126 p., p. 85.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Secours indispensable

Michel Tremblay, Bonbons assortis, éd. de 2017, couverture

De l’anglais au français de référence, le spare tire devient un pneu de rechange / de secours. En français populaire du Québec, on entendra aussi spare ou tire / pneu de spare, prononcé à l’anglaise (spère / spére).

Spare n’a pas qu’un sens automobile. Deux exemples.

Dans Morel (2021), Maxime Raymond Bock évoque une famille recomposée et son «grand-père de remplacement fort convenable, le grand-spare» (p. 193).

Dans Bonbons assortis (2002), Michel Tremblay décrit une mauvaise plaisanterie de Noël :

— Le père Noël avait peut-être une brique de spare
— Une brique de quoi ?
— J’voulais dire une deuxième brique. Une brique au cas où y perdrait la première… (éd. de 2017, p. 102).

Vous le voyez : il est bon d’être prévoyant.

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté Morel le 12 janvier 2022.

 

Références

Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.

Tremblay, Michel, Bonbons assortis. Récits, Montréal, Leméac, coll. «Nomades», 2017, 152 p. Édition originale : 2002.