Le zeugme du dimanche matin et d’Alexandre Vialatte

Alexandre Vialatte, Un abécédaire, 2014, couverture

«Décembre voit entrer le soleil dans le solstice d’hiver par la porte du Capricorne et l’enrhumé à l’officine par la porte du pharmacien.»

Alexandre Vialatte, Un abécédaire, Paris, Julliard, 2014, 266 p., p. 49. Choix des textes et illustrations par Alain Allemand.

 

[Complément du 16 février 2015]

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 16 février 2015.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Portrait couci-couça

Alexandre Vialatte, Un abécédaire, 2014, couverture

«La Grammaire est une belle personne, un peu sèche, un peu tatillonne, autoritaire, et chichiteuse, un peu osseuse, un peu chameau, mais enfin, pour un jeune homme pauvre et qui n’a pas trop d’ambition c’est un parti qui mérite un coup d’œil.

[…]

Elle distille l’ennui distingué. Après tout elle a le profil grec, et des endroits moins secs que d’autres; ceux qui la connaissent bien disent que c’est une fausse maigre. Bref, il y aurait plaisir à rompre en son honneur quelques lances dans les tournois.»

Alexandre Vialatte, «Chronique du dernier ronchonnement», la Montagne, 13 mars 1962, repris dans Un abécédaire, Paris, Julliard, 2014, 266 p., p. 82. Choix des textes et illustrations par Alain Allemand.

 

[Complément du 16 février 2015]

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 16 février 2015.

Accouplements 10

Alexandre Vialatte, Un abécédaire, 2014, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

La correspondance d’Abélard et Héloïse date du Moyen Âge. Son prestige était tel que, sous la Révolution française, Alexandre Lenoir, qui devait protéger de la destruction les sculptures funéraires de la basilique de Saint-Denis, n’hésitait pas à marchander les reliques des amants, rapporte Anthony Vidler : «Les squelettes d’Abélard et d’Héloïse l’intéressaient davantage comme souvenirs que comme reliques sépulcrales. Lenoir en faisait cadeau à des ministres et à des protecteurs, quand il ne les vendait pas. […] Lenoir lui-même estimait que les dents d’Héloïse valaient au moins 1 000 francs pièce sur le marché» (p. 147).

Dans «Démographies» (la Montagne, 26 juin 1956), Alexandre Vialatte rapporte une histoire semblable, mais s’agissant de cinéma :

À quoi rêvent-elles ? À un acteur célèbre. Elles mettent son image sur les murs de leur chambre, dans leur cœur et leur sac à main. Elles se disputent ses cheveux, elles s’arrachent ses molaires.

Et c’est ainsi qu’un antiquaire d’Hollywood vendait celles de Clark Gable. Deux dollars pièce. Sous le sceau du secret. Clark Gable, disait-il, se les faisait arracher pour avoir le visage plus maigre, plus long, plus creusé, plus fatal, plus cabossé, en un mot plus gidien.

Il en avait vendu quatre-vingt-dix-huit paires quand la police vint l’inquiéter. Elle prétendait qu’il y en avait certainement de fausses.

Mais qu’entend le sergent de ville aux vrais besoins des jeunes filles ? L’antiquaire savait mieux leur cœur. Il lui restait encore en stock cinquante-huit paires de dents de sagesse (Abécédaire, p. 42).

On imagine de tels vendeurs sourire à pleine bouche.

 

[Complément du 16 février 2015]

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte de Vialatte le 16 février 2015.

 

Références

Vialatte, Alexandre, Un abécédaire, Paris, Julliard, 2014, 266 p. Choix des textes et illustrations par Alain Allemand.

Vidler, Anthony, «Grégoire, Lenoir et les “monuments parlants”», dans Jean-Claude Bonnet (édit.), la Carmagnole des Muses. L’homme de lettres et l’artiste dans la Révolution, Paris, Armand Colin, 1988, p. 131-154.

Les zeugmes du dimanche matin et de Sylvain Tesson

Sylvain Tesson, S’abandonner à vivre. Nouvelles, 2014, couverture

«En une seule saison, il venait d’ouvrir une voie dans la face nord de l’Eiger, de décrocher un record de vitesse sur le granit du Yosemite, une victoire sur le Fitz Roy, en Patagonie, et la main de Marcella Della Monti, mannequin toscan de vingt-deux ans, au corps truffé de surplomb» (p. 112).

«En attendant une éclaircie, il lisait Milarepa dans de lourds hôtels suisses à boiseries où des mères de famille germaniques et sportives noyaient leur ennui dans le brandy en confiant leur progéniture à des nannies anglaises et leur cul au premier champion de ski croisé entre la terrasse et le lobby» (p. 112).

«Napoléon : les boulets lui caressaient le bicorne et lui ne cillait pas, la main au poitrail, caressant doucement ses rêves — ou son téton ?» (p. 168).

Sylvain Tesson, S’abandonner à vivre. Nouvelles, Paris, Gallimard, 2014, 220 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Les zeugmes du dimanche matin et de Franz Bartelt

Franz Bartelt, le Bar des habitudes, 2005, couverture

«Il m’est arrivé d’envier les autres hommes, avec leur tête qui fait rire ou qui fait peur, avec leur bouche qui mâche la grossièreté et la rillette dans une même mouvement, avec leurs yeux qui ne leur servent qu’à voir» (p. 238).

«Trois jours plus tard, le chat miaula à la porte. Il traînait ses boyaux derrière lui. Il avait eu le ventre transpercé par une fourche. En province, l’incident n’est pas aussi rare qu’on le croit, mais, dans le quartier, il ne s’était jamais produit. Pedro porta ses soupçons sur le voisin et son chat chez le vétérinaire» (p. 246-247).

Franz Bartelt, le Bar des habitudes. Nouvelles, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 4626, 2007, 292 p. Édition originale : 2005.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)