Accouplements 266

Don DeLillo et Sue Buck, Amazons, 1980 et Benoît Melançon, Bangkok, 2009, collage de couvertures

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

DeLillo, Don et Sue Buck, Amazons. An Intimate Memoir by the First Woman Ever to Play in the National Hockey League, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1980, 390 p. Sous le pseudonyme de Cleo Birdwell. https://archive.org/details/amazonsintimatem00deli/page/n5/mode/2up

«Our driver kept racing down side streets from one traffic jam to another» (p. 227).

Melançon, Benoît, Bangkok. Notes de voyage, Montréal, Del Busso éditeur, coll. «Passeport», 2009, 62 p. Quinze photographies en noir et blanc. https://doi.org/1866/32401

«Les rues de Bangkok sont bondées. Les feux sont interminables. Heureusement qu’il y a les autoroutes. Elles permettent de filer d’un bouchon à l’autre» (p. 16).

 

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté Amazons le 16 juin 2025.

Sagesse de puck

Jack Falla, Saved, 2007, couverture

Lire Saved (2007), de Jack Falla, pour ses qualités romanesques serait une erreur : c’est surcousu de fil blanc.

En revanche, il y a nombre de phrases parfaitement justes sur le monde du hockey, dans la bouche d’un narrateur gardien de but. Ci-dessous, un florilège (incomplet).

«Every shot is a snowflake. No two are alike» (p. 62).

«The first rule of life, love, and hockey is the same rule — you’ve got to play hurt» (p. 27).

«Goalies don’t see goals. We hear them» (p. 75).

«We’re [les gardiens] united in a brotherhood of apartness and fear» (p. 86).

«The family metaphor in pro sports is ridiculous. Family members don’t get cut, traded, waived, benched, or sent to the minors» (p. 93).

«The shelf life on loyalty to a goaltender is about twenty minutes or three goals, whichever comes first» (p. 129).

«In most businesses people get better as they age. But not in pro sports» (p. 171).

«In this game friendship lasts, allegiance doesn’t» (p. 206).

«A goalie coach is a head coach» (p. 243).

 

Référence

Falla, Jack, Saved. A Novel, New York, Thomas Dunne Books, St. Martin’s Press, 2007, ix/276 p.

Le latin de Cleo Birdwell

Cleo Birdwell, Amazons, 1980, couverture

«I don’t know who wrote it.
Who writes these things ?
Does anybody know ?
»

En 1980 paraît à New York Amazons. An Intimate Memoir by the First Woman Ever to Play in the National Hockey League. Ces Mémoires (majuscule, masculin, merci) fictifs sont signés Cleo Birdwell, mais leurs auteurs sont en fait Don DeLillo et Sue Buck. (DeLillo a mis du temps à reconnaître sa copaternité; voir, par exemple, l’entretien donné à David Marchese pour le New York Times en 2020.)

Ceux qui s’attendraient à des propos sportifs soutenus seront déçu : «La première femme à jamais jouer dans la Ligue nationale de hockey», à sa première saison, à 23 ans, score beaucoup plus souvent sexuellement que sur la glace, d’où le «Intimate» du sous-titre.

Le roman est très souvent désopilant. La satire du charlatanisme médical réjouit. L’Oreille tendue ne connaissait pas les vertus anti-érectiles du mot «Watergate». Quand son père explique à la jeune Cleo le sens des expressions vulgaires qu’elle va sûrement entendre dans les vestiaires et sur la glace, on se croirait chez François Blais. Les relations tentaculaire de la mafia et de la motoneige sont inattendues. Certain duel, pas seulement à l’épée, dans l’église en ruine d’une plantation du vieux Sud vaut le détour. Quand son équipe change de main et passe sous le contrôle de mystérieux «men in the Gulf», Cleo donne un nouveau sens à l’expression «tir voilé». L’ailière des Rangers de New York est un aimant à confession : tout un chacun se confie à elle; c’est le cas de son entraîneur, Jean-Paul Larousse (!), qui insiste pour lui parler en français, langue qu’elle ne maîtrise pourtant pas. Cela se termine souvent au lit, ce qui ne fait que rarement taire la hockeyeuse : écouter ne l’empêche jamais de parler. Bémol : la fin du roman est complètement bâclée.

Ce qui nous amène au latin. La mère de Cleo enseignait cette langue dans la ville où elle a élevé sa famille, Banger (Ohio). Sa fille a bien suivi ses enseignements : «“That’s my penis.” / “I know what it is. It’s from the Latin”» (p. 27); «“Does it have a Latin name ?” […] “Frenulum,” I said. “And that technique isn’t for impotence, it’s for premature ejaculation”» (p. 65); «Sanders licked me everywhere, nuzzled my labia, from the Latin […]» (p. 72); «I guess he felt that an intake of air would give his silhouette a touch of extra sveltness, from the Latin» (284).

Cleo Birdwell a plus d’une langue dans son sac.

P.-S.—En papier, Amazons est rare comme de la marde de pape, et donc cher : Don DeLillo en a toujours refusé la réédition. Heureusement, il est disponible gratuitement en ligne grâce aux bienfaiteurs de l’humanité d’Internet Archive.

 

Références

DeLillo, Don et Sue Buck, Amazons. An Intimate Memoir by the First Woman Ever to Play in the National Hockey League, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1980, 390 p. Sous le pseudonyme de Cleo Birdwell. https://archive.org/details/amazonsintimatem00deli/page/n5/mode/2up

Marchise, David, «We All Live in Don DeLillo’s World. He’s Confused by It Too», The New York Times, 11 octobre 2020.

Une leçon de Jacques Plante

Jack Falla, Saved, 2007, couverture

Au hockey, les gardiens de but — les cerbères, en langue de puck — sont souvent des êtres à part. Parmi ceux-ci, Jacques Plante ne donnait pas sa place : il était connu tant pour avoir imposé le port du masque chez ses confrères que pour ses excentricités (il tricotait, il souffrait d’étranges troubles respiratoires, il lisait, etc.).

On lui attribue une excellente synthèse de ce qu’il faisait pour gagner sa vie : «À quel point aimeriez-vous un métier où chaque fois où vous faites une erreur, une grosse lumière rouge s’allume et 18 000 personnes vous huent ?»

Le narrateur du roman Saved (2007) de Jack Falla admire Plante : «Anyone who ever plays goals owes something to Jacques Plante, the most important goaltender of all time» (p. 73). Au «plus important gardien de tous les temps», il va même emprunter sa phrase peut-être la plus célèbre : «I wonder how they’d like it if every time they made a mistake at work a red light went on and people booed» (p. 178).

On n’emprunte qu’aux riches.

 

Références

Falla, Jack, Saved. A Novel, New York, Thomas Dunne Books, St. Martin’s Press, 2007, ix/276 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Édition revue et augmentée, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 159 p. Préface d’Olivier Niquet. Illustrations de Julien Del Busso.

Melançon, Benoît, Langue de puck, édition revue et augmentée de 2024, couverture

Le pistolet de Philip Roth et de l’Oreille tendue

Philip Roth, Nemesis, éd. canadienne de 2011, couverture

L’Oreille tendue est sortie émerveillée de la lecture de Nemesis (2010) de Philip Roth. En général, les sentiments, bons ou mauvais, la touchent peu en littérature, mais elle fait volontiers une exception pour ce très grand roman.

Elle y lit ceci :

«The ten-year-old Kopferman boy, Danny, had a cap gun made of metal and modeled to look like a real revolver which he carried in his pocket, even when he was in the field playing second base. The cap gun produced a small explosive sound and smoke when the trigger was pressed. Danny liked to come up behind the other boys and try to frighten them with it. Mr. Cantor tolerated these hijinks only because the other boys were never really frightened» (p. 57).

Du passé (linguistique) de l’Oreille surgit alors une expression : ce «cap gun» est, bien sûr, un gun à pétards.

 

Référence

Roth, Philip, Nemesis, Toronto, Penguin Canada, 2011, 280 p. Édition originale : 2010.