Ce serait comme…

Daniel Grenier, l’Année la plus longue, 2015, couverture

Ce serait comme une histoire de l’Amérique du Nord (de la Nouvelle-France, pendant la guerre de Sécession, en 2047), avec des voyages et du sang, des histoires d’horreur et des histoires d’amour, des guerres et des souvenirs de famille, du réalisme et du fantastique.

Ce serait comme du Mordecai Richler, celui de Barney’s Version (1997). Des gens meurent, mais on ne vous explique pas comment. Vous êtes assez grand pour comprendre. (Et il y a les Gursky qui font une visite.)

Ce serait comme du Jonathan Frantzen, pour la possibilité de s’indigner, notamment du sort des Noirs et des Amérindiens, mais sans le côté premier de classe si fâcheux chez l’auteur de Freedom (2010).

Ce serait comme du Michel Houellebecq, surtout à la fin, par la dimension science-fictionnesque, sans la nécessité de lire des descriptions de tous les orifices humains et de leurs usages.

Ce serait comme du William S. Messier (Dixie, 2013), passionné lui aussi par les archives et par les frontières.

Ce serait comme du Daniel Grenier, avec le sens de l’ironie fine qu’on trouvait dans Malgré tout on rit à Saint-Henri (2012).

Ça tombe bien parce que c’est du Daniel Grenier. Ça s’appelle l’Année la plus longue (2015). C’est magnifiquement construit. C’est raconté par on ne sait qui, et ce n’est pas du tout grave.

C’est à lire.

P.-S. — Ce serait aussi comme du Catherine Leroux, du Maxime Raymond Bock et du Jean-François Chassay, à qui Daniel Grenier s’est permis d’«emprunter certains de leurs personnages» (p. [425]).

 

Références

Franzen, Jonathan, Freedom. A Novel, Toronto, HarperCollins, 2010, 562 p.

Grenier, Daniel, Malgré tout on rit à Saint-Henri. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 07, 2012, 253 p.

Grenier, Daniel, l’Année la plus longue. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 10, 2015, 422 p.

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.

Richler, Mordecai, Solomon Gursky Was Here, Harmondsworth, Penguin Books, 1990, 557 p. Édition originale : 1989.

Richler, Mordecai, Barney’s Version. With Footnotes and an Afterword by Michael Panofsky, Toronto, Alfred A. Knopf, 1997, 417 p. Paru en français sous le titre le Monde de Barney. Accompagné de notes et d’une postface de Michael Panofsky, Paris, Albin Michel, coll. «Les grandes traductions», 1999, 556 p. Traduction de Bernard Cohen. Édition originale : 1997.

Accouplements 34

Mordecai Richler, Barney’s Version, 1997, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

C’était mal vu de la mère du chroniqueur Pierre Foglia :

À la table, au grand désespoir de son épouse, [le père de Pierre Foglia] garde son béret et sifflote, bras croisés, bien appuyé sur le dossier, heureux malgré tout (Foglia l’Insolent, p. 21).

C’était mal vu de la mère de la seconde deuxième femme de Barney Panofsky, «the second Mrs. Panofsky», le personnage de Mordecai Richler :

«And, whatever you do, no whistling at the table. Absolutely no whistling at the table. She can’t stand it

«But I’ve never whistled at the table in my life

[…]

In fact, my behaviour was four-star exemplary until she told me how she had adored Exodus, by Leon Uris, and, all at once, I began to whistle «Dixie».

«He’s whistling at the table.»

«Who ?» I asked.

«You

«But I never. Shit was I ?»

«He didn’t mean to, Mother

«I apologize», I said, but when the coffee came I was so nervous I found myself suddenly whistling «Lipstick on Your Collar», one of that year’s hit numbers, stopping abruptly. «I don’t know what’s got into me» (Barney’s Version, p. 197).

Siffler, c’est parfois plus fort que soi.

 

Références

Bernier, Marc-François, Foglia l’Insolent, Montréal, Édito, 2015, 383 p.

Richler, Mordecai, Barney’s Version. With Footnotes and an Afterword by Michael Panofsky, Toronto, Alfred A. Knopf, 1997, 417 p. Paru en français sous le titre le Monde de Barney. Accompagné de notes et d’une postface de Michael Panofsky, Paris, Albin Michel, coll. «Les grandes traductions», 1999, 556 p. Traduction de Bernard Cohen. Édition originale : 1997.

Accouplements 26

Patrick Nicol, la Nageuse au milieu du lac. Album, 2015, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Dans ses Notules dominicales de culture domestique, Philippe Didion évoque un ami «mort au champ d’Alzheimer» (2008, p. 119).

Dans la Nageuse au milieu du lac (sous-titre : Album), un des personnages de Patrick Nicol dit : «Quand je la nomme, François, cette maladie, c’est pour dire que ma mère vaut plus cher au Scrabble que dans la vie» (2015, p. 82).

À chacun sa façon de dire l’oubli et la perte.

P.-S. — Dans un autre registre, sur la même maladie, on lira l’extraordinaire Barney’s Version de Mordecai Richler (1997).

 

[Complément du 6 novembre 2016]

Autre lecture suggérée sur le même sujet : On n’est pas là pour disparaître d’Olivia Rosenthal (2007). Extrait : «Si on vous demandait de porter le nom de votre conjoint, aimeriez-vous que ce nom soit Alzheimer ? Aimeriez-vous vous appeler comme ça, signer comme ça, répondre comme ça quand on vous demanderait de décliner votre identité : je m’appelle Alzheimer. Alzheimer est mon nom» (p. 115).

 

[Complément du 5 janvier 2022]

Un adjectif ? «Si j’en crois vos gourous nombre d’entre vous finiront alzheimerisés, ce qui ne vaut pas mieux que dingues» (le Dernier Bain de Gustave Flaubert, p. 158).

 

Références

Didion, Philippe, Notules dominicales de culture domestique, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2008, 355 p. Édition numérique.

Jauffret, Régis, le Dernier Bain de Gustave Flaubert. Roman, Paris, Seuil, 2021, 328 p.

Nicol, Patrick, la Nageuse au milieu du lac. Album, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 85, 2015, 154 p.

Richler, Mordecai, Barney’s Version. With Footnotes and an Afterword by Michael Panofsky, Toronto, Alfred A. Knopf, 1997, 417 p. Paru en français sous le titre le Monde de Barney. Accompagné de notes et d’une postface de Michael Panofsky, Paris, Albin Michel, coll. «Les grandes traductions», 1999, 556 p. Traduction de Bernard Cohen. Édition originale : 1997.

Rosenthal, Olivia, On n’est pas là pour disparaître, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 4890, 2007, 235 p.

MR et MR

Une photo de Maurice Richard dans les archives de Mordecai Richler (Université Concordia)

«Hockey, after all, is our game. The game.»
(Mordecai Richler, «Soul on Ice», 1983)

«Once, if the Canadiens won a Stanley Cup,
something of a habit in the old days,
the players who had turned the trick
were either from Montreal or Thurso
or Trois-Rivières or Chicoutimi,
which is to say they were Quebeckers
like the rest of us.»
(Mordecai Richler, «Cheap Skates», 1986)

 

Aux yeux de l’Oreille tendue, Mordecai Richler est, avec Réjean Ducharme, un des deux plus grands romanciers du Québec. L’un et l’autre, comme il se doit, s’intéressent au hockey (pour Ducharme, voir ici).

Dans «The Fall of the Montreal Canadiens» (1984), Richler a fait de Guy Lafleur un portrait en homme solitaire, «presque mélancolique» («almost melancholy figure», éd. de 2003, p. 255). Selon lui, dans le même texte, Jean Béliveau est un «artiste consommé» («the consummate artist», éd. de 2003, p. 251); voilà peut-être pourquoi il lui arrive d’être nostalgique, à 3 heures du matin, à Londres, en pensant à ce joueur de centre («Home Is Where You Hang Yourself», p. 6). S’intéressant aux relations entre «Writers and Sports», il constatait que Lorne Worsley était son gardien de but favori («My all-time favourite hockey goalie», 2003, p. 96) et qu’il aimait son esprit. Alors que d’autres se souviennent avoir dû remplacer la rondelle avec du crottin gelé, Richler se contentait de charbon (2003, p. 250). Comme n’importe qui, en 1986 et en 1999, il déplore l’absence de grands livres sur le hockey, lui qui lui a consacré des articles : sur l’équipe des Trail Smoke Eaters (1963) ou sur Wayne Gretzky (1985), entre autres textes journalistiques.

Tout cela n’est rien à côté de la vénération de Richler pour Maurice Richard, l’ailier droit des Canadiens de Montréal de 1942 à 1960.

Celui-ci est présent dans ses romans, par exemple Joshua Then and Now (1980) et le fabuleux Barney’s Version (1997); relisez la scène de la réception post-mariage dans les cinquième et sixième chapitres de la section intitulée «The Second Mrs. Panofsky». (Relisez bien sûr en anglais : le surnom de Maurice Richard est «Rocket», pas «La Fusée».) Traçant un portrait de Gordie Howe pour Inside Sports (1980), il lui faut nécessairement parler longuement de l’autre numéro 9 (Howe et Richard portaient le même numéro et ils ont fait l’objet d’innombrables comparaisons). Comme Béliveau, qu’il le veuille ou non, Richard était un artiste — «the exploding Rocket, whether he appreciated it or not, was an artist» (éd. de 2003, p. 170).

En matière de représentation richlérienne de Richard, la scène cruciale se passe peut-être à Eilat, en Israël, au mois de mars 1962; Richler la raconte dans un essai intitulé «This Year in Jerusalem. The Anglo-Saxon Jews» (1962). Au bar de l’Hôtel Eilat, Richler est en discussion avec un pêcheur israélien ivre. Or ce pêcheur, Bernard, n’aime pas les Canadiens, et il prend la peine de le répéter. Richler ne peut lui répliquer que ceci : «Well, I’m a Canadian. […] Like Maurice Richard» («Je suis un Canadien. […] Comme Maurice Richard», éd. de 1968, p. 153). Ce qui pourrait n’être qu’humour absurde — il est peu crédible que Bernard connaisse le joueur de hockey — tourne aussitôt à l’interrogation identitaire. De Richard, Richler passe à la définition de ce que c’est qu’un Juif canadien («I’m a Canadian Jew»), puis à la défense de tous les Juifs canadiens. Richler ne convaincra ni Bernard (qui l’accuse d’être assimilationniste) ni le barman de l’hôtel; la soirée sera «altogether unsatisfactory» («entièrement insatisfaisante»). Ce qui importe est la quête identitaire de Richler, et sa source.

On ne s’étonnera donc pas de voir deux photos des Canadiens — l’une de l’équipe au complet, l’autre du Rocket (ci-dessus) — dans les archives Richler conservées à l’Université Concordia (Montréal).

Ça va de soi, comme MR et MR.

P.-S. — Comme d’autres fans avant lui, Richler a parfois du mal avec les faits. Au début de «Québec oui, Ottawa non» (1964), il affirme que Richard a été suspendu en 1955 pour les trois premiers matchs de la finale de la Coupe Stanley. C’est faux : il a été suspendu pour les trois derniers matchs de la saison régulière et pour l’ensemble des matchs éliminatoires.

P.-P.-S. — Une partie de ce texte est reprise de l’ouvrage de l’Oreille tendue intitulé les Yeux de Maurice Richard (2006).

P.-P.-P.-S. — Parmi les MR, il y a aussi Maurice Roy et Martin Roy.

(Merci à Martine-Emmanuelle Lapointe pour la photo ci-dessus.)

Couverture de Home Sweet Home. My Canadian Album (1984)

 

[Complément du 26 août 2016]

Les murs de Montréal gardent désormais la trace du hockeyeur (rue Fleury) et de l’écrivain (rue Laurier).

Murales de Richard et de Richler

 

Références

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Richler, Mordecai, «This Year in Jerusalem. The Anglo-Saxon Jews», Maclean’s, 75, 18, 8 septembre 1962, p. 18-19, 34-44. Repris dans Hunting Tigers under Glass. Essays and Reports, Toronto et Montréal, McClelland and Stewart, 1968, p. 130-160.

Richler, Mordecai, «Bad Guys Finish Fourth — Mordecai Richler Reports from the World Hockey Tournament in Sweden», Maclean’s, 76, 9, 4 mai 1963, p. 15-17 et 45-48. Repris, sous le titre «With the Trail Smoke Eaters in Stockholm», dans Hunting Tigers under Glass. Essays and Reports, Toronto et Montréal, McClelland and Stewart, 1968, p. 37-45, dans Notes on an Endangered Species and Others, New York, Knopf, 1974 et dans Dispatches from the Sporting Life, Toronto, Vintage Canada, 2003, p. 57-67. Foreword by Noah Richler. Édition originale : 2002.

Richler, Mordecai, «Québec oui, Ottawa non», Encounter, 23, 6, décembre 1964, p. 76-84. Repris dans Home Sweet Home. My Canadian Album, New York, Alfred A. Knopf, 1984, p. 27-45.

Richler, Mordecai, Joshua Then and Now, Toronto, McClelland & Stewart, coll. «New Canadian Library», 1993, 375 p. Postface d’Eric Wright. Édition originale : 1980.

Richler, Mordecai, «Howe Incredible», Inside Sports, 2, 8, 30 novembre 1980, p. 108-115. Repris, sous le titre «Gordie», dans Dispatches from the Sporting Life, Toronto, Vintage Canada, 2003, p. 167-186. Foreword by Noah Richler. Édition originale : 2002.

Richler, Mordecai, «Soul on Ice», GQ, novembre 1983. Repris dans Dispatches from the Sporting Life, Toronto, Vintage Canada, 2003, p. 203-209. Foreword by Noah Richler. Édition originale : 2002.

Richler, Mordecai, «Home Is Where You Hang Yourself», dans Home Sweet Home. My Canadian Album, New York, Alfred A. Knopf, 1984, p. 3-9.

Richler, Mordecai, «The Fall of the Montreal Canadiens», dans Home Sweet Home. My Canadian Album, New York, Alfred A. Knopf, 1984, p. 182-209. Repris dans Dispatches from the Sporting Life, Toronto, Vintage Canada, 2003, p. 241-274. Foreword by Noah Richler. Édition originale : 2002.

Richler, Mordecai, «Gretzky in Eighty-Five», The New York Times Sport Magazine, 29 septembre 1985. Repris dans Dispatches from the Sporting Life, Toronto, Vintage Canada, 2003, p. 105-119. Foreword by Noah Richler. Édition originale : 2002.

Richler, Mordecai, «Cheap Skates», GQ, janvier 1986. Repris dans Dispatches from the Sporting Life, Toronto, Vintage Canada, 2003, p. 141-147. Foreword by Noah Richler. Édition originale : 2002.

Richler, Mordecai, Barney’s Version. With Footnotes and an Afterword by Michael Panofsky, Toronto, Alfred A. Knopf, 1997, 417 p. Paru en français sous le titre le Monde de Barney. Accompagné de notes et d’une postface de Michael Panofsky, Paris, Albin Michel, coll. «Les grandes traductions», 1999, 556 p. Traduction de Bernard Cohen. Édition originale : 1997.

Richler, Mordecai, «Net Growth after Hockey : Great Ads», The Gazette, 28 novembre 1999.

Richler, Mordecai, «Writers and Sports», dans Dispatches from the Sporting Life, Toronto, Vintage Canada, 2003, p. 93-104. Foreword by Noah Richler. Édition originale : 2002.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture