L’oreille tendue de… Jo Nesbø

Jo Nesbø, Macbeth, 2018, couverture«Seyton laissa Olafson passer. Il referma violemment la porte derrière lui et resta lui-même à l’intérieur. L’oreille tendue dans l’obscurité. Jusqu’à ce que Duff pense que le danger était passé et se détende.»

Jo Nesbø, Macbeth, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 2018, 617 p., p. 359. Traduction de Céline Romand-Monnier.

Subtil distinguo du jour

Jo Nesbø, Macbeth, 2018, couverture«Duff insista sur le mot “décision”. Il aurait bien sûr pu dire “choix”. Mais un “choix”, n’importe quel imbécile était contraint de le faire, alors qu’une “décision”, c’était un processus actif, qui requérait de la réflexion, du caractère, qui était le fait d’un dirigeant.»

Jo Nesbø, Macbeth, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 2018, 617 p., p. 50. Traduction de Céline Romand-Monnier.

Parlons rhétorique

Maison natale d’Elvis Presley, Tupelo

On le sait peut-être : l’Oreille tendue collectionne les zeugmes.

Rappel de la définition de cette figure de style du Dictionnaire des termes littéraires (2001) :

Zeugme, zeugma (gr. lien) • Figure de construction qui consiste à faire dépendre d’un même mot deux termes disparates, qui entretiennent avec lui des rapports différents (dans la majorité des cas, il s’agit d’un verbe suivi de deux compléments d’objet). Le zeugme est souvent doué d’une intention humoristique. V. aussi syllepse. Ex. : «J’ai joué au tennis avec mon oncle et ma raquette» (B. Melançon); «Damoclès tira de sa poitrine un soupir et de sa redingote une enveloppe jaune et salie» (Gide) (p. 510).

Il existe en effet des cas — ce n’est pas «la majorité» — où — au lieu «d’un verbe suivi de deux compléments d’objet» — les sujets d’un verbe sont «deux termes disparates». En voici quelques-uns.

«Ces deux dames, en allant chercher leur voiture, avaient été entraînées par la foule, et séparées de leurs gens. Nous les recueillîmes, et comme il n’y avait pas moyen de faire le tour de la maison pour les faire entrer par la porte, on les hissa par la fenêtre, qui heureusement n’était pas haute; mais leur âge, leurs grands paniers et leur effroi, rendirent cet enlèvement fort difficile» (Mémoires de madame de Genlis, p. 189).

«Je serais devenu l’ignorant, et puis les jours, les rides, les petits vins auraient fait le reste» (Philippe Claudel, Meuse l’oubli, p. 23).

«Harry raccrocha et donna un tour de clé de contact tout en appelant Magnus Skarre de l’autre main. Skarre et le moteur répondirent presque simultanément» (Jo Nesbø, le Bonhomme de neige, p. 532).

«Les vannes et la rue avaient rapidement été fermées […]» (Charles Bolduc, les Truites à mains nues, p. 121).

«Le brut et le pessimisme hantent les marchés» (la Presse+, citée par @Christiane_MTL, 4 mai 2016).

«Quarante ans après son décès, un coffret vient rappeler les débuts du “garçon de Tupelo”, alors que peu à peu sa mémoire et ses fans s’éteignent» (le Devoir, 16 août 2017, p. B7).

Si peu d’heures, tant de procédés.

 

[Complément du 13 mai 2024]

Encore un : «Sa formation et ses favoris argentés lui permettaient de garder une certaine distance par rapport aux autres» (le Rendez-vous, p. 144.

 

[Complément du 16 juillet 2024]

«Snowflakes and relief cover me» (Can’t We Be Friends, p. 75).

 

Illustration : maison natale d’Elvis Presley à Tupelo, photo déposée sur Wikimedia Commons

 

Références

Bolduc, Charles, les Truites à mains nues. Nouvelles, Montréal, Leméac, 2012, 139 p.

Bryce, Denny S. et Eliza Knight, Can’t We Be Friends. A Novel of Ella Fitzgerald and Marilyn Monroe, New York, William Morrow, 2024, 374 p.

Claudel, Philippe, Meuse l’oubli, Paris, Stock, 2006, 152 p. Édition originale : 1999.

Hébert, François, le Rendez-vous. Roman, Montréal, Quinze, coll. «Prose entière», 1980, 234 p.

Mémoires de madame de Genlis, Paris, Mercure de France, coll. «Le temps retrouvé», 2004, 390 p. Édition présentée et annotée par Didier Masseau. Édition originale : 1825.

Nesbø, Jo, le Bonhomme de neige. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 575, 2008, 583 p. Traduction d’Alex Fouillet. Édition originale : 2007.

Van Gorp, Hendrik, Dirk Delabastita, Lieven D’hulst, Rita Ghesquiere, Rainier Grutman et Georges Legros, Dictionnaire des termes littéraires, Paris, Honoré Champion, coll. «Dictionnaires & références», 6, 2001, 533 p.

Marat à Bangkok

The Bangkok Asset (2015), de John Burdett, est un bien étrange livre — à la fois polar, roman de science-fiction, texte gore et délire transhumaniste —, à la fin spectaculairement bâclée.

Comme il se doit, il est difficile d’y dénombrer précisément les cadavres. Celui de Lord Sakagon, richissime avocat véreux, est l’objet d’une mise en scène élaborée, fondée sur le tableau «La mort de Marat» de Jacques-Louis David (1793).

Jacques-Louis David, «La mort de Marat», tableau, 1793

Quand il arrive sur les lieux du crime, le «héros» de Burdett, le détective Sonchai Jitpleecheep, trouve la victime nue dans sa baignoire.

I stare and stare.
The tableau is very famous, so famous I have come across it often in my endless travels through time and space on the Net. […] I open my smart phone, key in French Revolution, David, Marat, death of, and there they are : the picture on the phone and the still life, so to speak, in the bathroom.
[…]
[Krom] glances at me. «Murder as art ? The final farang decadence ?»
She is referring to the way the cadaver has been arranged to perfectly imitate the painting of the revolutionary Marat, with a few differences. For example, instead of a letter, Sakagorn is holding a barrister’s brief in his left hand. Instead of a cloth around his head the perp has wrapped his long hair up into a bun. Instead of an ink pot on a side stool, my half brother has wittily replaced it with an Apple laptop. But, as in the painting, one arm hangs out over the side of the bath, there is a light-colored towel with bloodstains under the armpit and a green towel also draped over the bath, and he is lurched to one side with his head almost resting on his right shoulder, his mouth slightly open and the fatal wound in his upper chest. As in the painting, the body has been dead just long enough to acquire a greenish tinge.

Reprises : la posture du corps de Marat, sa couleur funèbre, des tissus, dont certains tachés de sang.

Divergences : un document juridique au lieu d’une lettre, un chignon pour un turban, un ordinateur à la place d’un pot d’encre.

On n’arrête pas le progrès.

 

Illustration : Jacques-Louis David, «La mort de Marat», 1793, tableau déposé sur Wikimedia commons

 

Référence

Burdett, John, The Bangkok Asset. A Royal Thai Detective Novel, New York, Alfred A. Knopf, 2015. Édition numérique.

John Burdett, The Bangkok Asset, couverture