N’escaladez pas cette mère

Bar à pics, rue de l’Arbalète, Paris 5e

Selon le Petit Robert (édition numérique de 2018), la locution adverbiale à pic aurait deux sens : «Verticalement» («Rochers qui s’élèvent à pic au-dessus de la mer. Route qui dévale à pic»), «À point nommé, à propos» («Vous arrivez à pic»).

Aucun de ces sens ne s’applique à la phrase suivante, tirée du roman Bondrée :

«Depuis que Gilles Ménard avait été arrêté et qu’elle avait sorti la bouteille de gros gin, ma mère était devenue une vraie furie, plus à pic que jamais.»

Si cette mère est désormais à pic, c’est qu’il faut la prendre avec des pincettes.

Synonyme, selon Léandre Bergeron : «Malcommode» (p. 367).

Vous aurez été prévenus.

P.-S.—Ce n’est pas la première fois, en effet, que nous croisons cette expression.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Michaud, Andrée A., Bondrée. Roman, Montréal, Québec Amérique, 2014, 296 p. Format numérique.

La clinique des phrases (115)

La clinique des phrases, Charles Malo Melançon, logo, 2020

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit cette phrase, tirée d’un roman policier québécois :

Il lui arrivait d’aller prendre un verre avec des collègues, de participer à un tournoi de baseball ou à une partie de pêche, mais il ne se sentait proche d’aucun des fêtards qui remplissaient son verre ou lui criaient de se grouiller le cul afin d’atteindre le deuxième but avant le champ arrière de l’équipe adverse.

Les amateurs de sport le savent : il n’existe pas de champ arrière au baseball; c’est un terme de football. En revanche, en langue de balle, on connaît le champ extérieur.

On pourrait donc imaginer la phrase suivante :

Il lui arrivait d’aller prendre un verre avec des collègues, de participer à un tournoi de baseball ou à une partie de pêche, mais il ne se sentait proche d’aucun des fêtards qui remplissaient son verre ou lui criaient de se grouiller le cul afin d’atteindre le deuxième but avant le champ extérieur de l’équipe adverse.

Elle resterait bizarre. Il faudrait la modifier plus profondément :

Il lui arrivait d’aller prendre un verre avec des collègues, de participer à un tournoi de baseball ou à une partie de pêche, mais il ne se sentait proche d’aucun des fêtards qui remplissaient son verre ou lui criaient de se grouiller le cul afin de ne pas être retiré au deuxième but par le champ extérieur de l’équipe adverse.

À votre service.

L’oreille tendue de… Simenon

Georges Simenon, la Tête d’un homme, couverture

«Et le prisonnier tâtait le mur, s’arrêtait parce qu’il avait heurté un caillou, tendait l’oreille, tellement blême, tellement saugrenu, avec ses bras interminables qui battaient le vide, que partout ailleurs on l’eût pris pour un ivrogne.»

Georges Simenon, la Tête d’un homme, dans les Essentiels de Maigret, Paris, Omnibus, coll. «Tout Simenon», 2011, p. 99-200, p. 104. Présentation de Benoît Denis. Édition originale : 1931.

Portrait électrique du jour

Ancien ampèremètre

«Radek n’était pas maigre, et pourtant il était maladif, peut-être parce qu’on sentait que ses chairs n’étaient pas fermes. De même le bourrelet des lèvres avait-il quelque chose de malsain.

Il s’énervait d’une façon toute particulière, curieuse pour un psychologue; pas un trait de son visage ne bougeait, mais ses prunelles semblaient soudain recevoir un ampérage plus fort, qui donnait au regard une intensité gênante.

— Que va-t-on faire de Heurtin ? questionna-t-il après cinq minutes de silence.

— Le décapiter ! grogna Maigret, les deux mains dans les poches du pantalon.

Et ce fut l’ampérage maximum. Radek émit un petit rire grinçant.»

Georges Simenon, la Tête d’un homme, dans les Essentiels de Maigret, Paris, Omnibus, coll. «Tout Simenon», 2011, p. 99-200, p. 177. Présentation de Benoît Denis. Édition originale : 1931.