Chantons le hockey avec Vincent Vallières

Vincent Vallières, album Chacun dans son espace, 2003, pochette

(Le hockey est partout dans la culture québécoise et canadienne. Les chansons sur ce sport ne manquent pas, plusieurs faisant usage de la langue de puck. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Vincent Vallières, «1986», Chacun dans son espace, 2003

 

Oh c’était en 1986 le Canadien v’nait d’la gagner en six
Cont’ les Flames de Calgary
Moi j’ai huit ans et demi pis chus assis dans l’divan avec mon père
J’bois mon 7up et pis lui y boit sa bière
Pis on est ben ben contents ouin on vit on vit des grands moments
Le Canadien ramène la coupe à Montréal
Les gars ça l’a des moustaches
Ça joue au hockey avec du cœur comme ça se voit pus pantoute aujourd’hui
C’est écœurant y a même Bobby Smith entre la première pis la deuxième
Qui parle à Lionel Duval pis qui dit :
«Ah ! c’est difficile ! Ah ! c’est difficile !»
Y a Mats Naslund le p’tit Viking le numéro 26
Pogne la puck fait l’tour du Forum avec
Pis y s’en va t’la t’la crisser dans l’net
Y a Patrick Roy dans l’temps qui a un beau nez drette
Et pis des belles pads brunes
Larry Robinson les piliers Mike McPhee
Brian Skrudland Ryan Walter
Anyway c’est ce soir-là qu’j’ai d’mandé à mon père
C’que j’avais toujours toujours toujours rêvé d’avoir
J’ai dit : «Eille popa qu’est-ce tu dirais de d’ça d’m’achter une belle guitare ?»
Y dit : «Fait là tit-gars ça c’est juste pour les drogués
Viens-t-en au Rona m’a aller t’acheter un criss de beau hockey»
J’ai dit : «Wowowowo youpi youpi papa !»

Oh six ans plus tard j’ai 14 ans 3/4 pis chus assis encore dans l’divan tranquille
Et mon père vient m’voir y dit :
«Eille Vincent qu’est-ce tu fais là ?»
J’dis : «Héhéhéhéhé»
Y dit : «Eille Vincent qu’est-ce tu fais là ?»
J’ai dit : «Hihihihihi»
Y dit : «Eille Vincent qu’est-ce tu dirais de d’ça avoir une belle guitare ?
Me semble qu’ça t’changerait un peu ’es idées»
J’ai dit : «Ok ! Ok !»
Y dit : «Viens-t-en tit-gars on s’en va au Rona
M’a aller te gosser te taponer une belle guitare dans le bois»
J’ai dit : «Wowowowowowo youpi youpi papa !»

 

P.-S.—Le narrateur du roman Ça sent la coupe (2003), de Matthieu Simard, écoute beaucoup cette chanson :

Et moi dans tout ça ? Moi rien. Je regarde presque tous les jours la fissure dans le mur, j’ai des amis fuckés, je ne comprends pas toujours ce qui se passe, mais je vous le raconte pareil, j’écoute le dernier album de Vincent Vallières sans arrêt, vraiment sans arrêt, surtout Blues Baby, et aussi la dernière toune, qui parle de hockey, de 1986, de Mats Naslund et de Bobby Smith, les souvenirs, petits et grands, proches et éloignés, et je pense beaucoup, c’est ça que je fais, je pense beaucoup, trop peut-être, et c’est une estie de longue phrase, ça (p. 132).

 

 

Références

Melançon, Benoît, «Chanter les Canadiens de Montréal», dans Jean-François Diana (édit.), Spectacles sportifs, dispositifs d’écriture, Nancy, Questions de communication, série «Actes», 19, 2013, p. 81-92. https://doi.org/1866/28751

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Édition revue et augmentée, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 159 p. Préface d’Olivier Niquet. Illustrations de Julien Del Busso. ISBN : 978-2-925079-71-2.

Simard, Matthieu, Ça sent la coupe. Roman, Montréal, Stanké, 2004, 270 p. Rééd. : Montréal, 10/10, 2008, 256 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck, édition revue et augmentée de 2024, couverture

L’oreille tendue de… Andrée A. Michaud

Andrée A. Michaud, Baignades, 2024, couverture

«Puis l’idée saugrenue qu’il puisse s’agir de rôdeurs, de voleurs, de vandales, lui avait traversé l’esprit, et elle avait encore crié à l’aide de sa voix devenue rauque, s’écorchant la gorge comme elle s’écorchait les chevilles, à l’aide ! cassez les vitres, défoncez la porte, je vous en prie, préférant se trouver face à des truands que d’avoir à affronter Hank Simard. Et Charlie, voyant bien que sa mère s’adressait à quelque présence anonyme, s’était jointe à elle, de sa voix d’enfant devenue rauque aussi, au secours ! au secours ! puis elles avaient tendu l’oreille, la mère et la fille, espérant entendre revenir les pas, mais elles n’avaient perçu que le bruit de la pluie s’égouttant des arbres sur le toit.»

Andrée A. Michaud, Baignades, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2024. Édition numérique.

Curiosités voltairiennes (et pédestres)

François Hébert, Holyoke, 1978, couverture

«Donc, mon auto ayant brûlé, je me suis retrouvé sur mes jambes et… eh bien, j’ai marché. Et si je n’avais pas marché / j’ai l’air de faire des petites prouesses logiques comme le Pangloss de Voltaire / mais ce n’est pas ça / pas du tout / m’est avis que Pangloss ne savait rien / que c’était un snob / pas un Noble / enfin… / si donc je n’avais pas marché, je n’aurais pas / peut-être pas / trouvé la métaphore du

CHEMIN
DES PETITS RIENS.»

François Hébert, Holyoke. Les ongles noirs de Pierre. Roman, Montréal, Quinze, coll. «Prose entière», 1978, 300 p., p. 283.

Candide, dans le conte éponyme (1759), a un précepteur : «Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie. Il prouvait admirablement qu’il n’y a point d’effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux, et madame la meilleure des baronnes possibles» (chapitre premier).

Voltaire est toujours bien vivant.

9 œuvres pour le numéro 9

Murale de Maurice Richard, rue Fleury, Montréal, 27 novembre 2024

Il peut arriver — à l’occasion — que l’Oreille tendue s’intéresse à Maurice Richard, le plus célèbre joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey. Pour commémorer le 25e anniversaire de la mort du Rocket, elle vous propose ci-dessous neuf œuvres le concernant et particulièrement dignes d’intérêt.

Roman

Deux romans des années 1950 font une place particulière à l’émeute du 17 mars 1955 au Forum de Montréal, à la suite de la suspension de Richard par le président de la Ligue nationale de hockey, Clarence Campbell. En 1956, Eugène Cloutier, dans les Inutiles, dit du joueur des Canadiens qu’il est un «mythe» (p. 196). Trois ans plus tard, Pierre Gélinas (les Vivants, les morts et les autres) décrit l’émeute comme s’il s’agissait d’une guerre. Une place dans la mythologie québécoise est déjà faite à Richard, alors qu’il n’a pas encore prise sa retraite.

Théâtre

En 1976, dans sa pièce Un pays dont la devise est je m’oublie, Jean-Claude Germain imagine le dialogue entre Louis Cyr (mort en 1912) et Maurice Richard (né en 1921). Cyr a parfaitement compris ce que Richard va représenter : «T’es Mau-ri-ce Ri-chard !… Ç’avait jamais été… pis ça sra jamais !… Çé !… Pis çé là astheure pour tout ltemps !» (p. 136)

Journalisme

Louis Chantigny était à la fois un journaliste sportif et un amateur de littérature. Le style ronflant ne lui faisait pas peur. Voyez «Une fin tragique pour le Rocket», dans Le Petit Journal, en 1959. Richard devient un personnage de la mythologie grecque et il est comparé à… Icare ! «Il est des hommes sur lesquels pèse dès leur naissance la malédiction de la grandeur…»

Poésie

«Homage to Ree-shard», le meilleur poème sur Maurice Richard, a paru, en anglais, en 1976. On y trouve, sous la plume d’Al Purdy, cet étonnant vers : «[he] made Quebec Canadian» (p. 39). Le Numéro 9 est évidemment un mythe québécois; il est aussi un héros canadien.

Chanson

Quelle chanson sur Le Rocket choisir ? La première, celle de Jeanne d’Arc Charlebois en 1951 ? La plus célèbre, celle de Pierre Létourneau, en 1970 ? Allons-y avec «Rocket Rock and Roll» de Denise Filiatrault (1957) et ces magnifiques rimes : «Monsieur l’placier, quel bonheur / J’ai retrouvé mon ticket / Il était là sur mon cœur / Je vais voir mon Rocket.»

Roman pour la jeunesse

La littérature pour la jeunesse, depuis des décennies, a voulu faire de Maurice Richard un modèle à imiter. François Gravel a plutôt choisi la voie du mystère, voire du fantastique. Son roman le Match des étoiles (1996) est un des textes les plus fins sur Richard, qui en signe la préface.

Peinture

En 1990, la Presse organise une rencontre entre le Rocket et Jean-Paul Riopelle. Le peintre met alors la touche finale à «Hommage à Maurice Richard». Des patins, une rondelle, des bâtons, une raquette, des mains : Riopelle représente l’esprit de Richard comme il ne l’avait jamais été, dans une œuvre en bleu, blanc et… rose.

Cinéma

Animation, fiction, documentaire : tous les genres cinématographiques ont été utilisés pour représenter Maurice Richard. Histoires d’hiver, réalisé par François Bouvier en 1998, rappelle combien l’image du plus célèbre joueur des Canadiens de Montréal est, au Québec, une affaire de famille : «Heye, Mononc’, raconte-moi l’histoire du Rocket.»

Des années 1940 à aujourd’hui, la culture québécoise n’a jamais fini de raconter cette histoire.

 

Références

Chantigny, Louis, «Une fin tragique pour le Rocket», le Petit Journal, du 18 octobre au 25 octobre 1959, p. 132.

Cloutier, Eugène, les Inutiles, Montréal, Cercle du livre de France, 1956, 202 p.

Gélinas, Pierre, les Vivants, les morts et les autres, Montréal, Cercle du livre de France, 1959, 314 p. Rééd. : Notre-Dame-des-Neiges, Éditions Trois-Pistoles, 2010, 324 p. Préface de Jacques Pelletier.

Germain, Jean-Claude, Un pays dont la devise est je m’oublie. Théâtre, Montréal, VLB éditeur, 1976, 138 p.

Gravel, François, le Match des étoiles, Montréal, Québec/Amérique jeunesse, coll. «Gulliver», 66, 1996, 93 p. Préface de Maurice Richard.

Purdy, Al, «Homage to Ree-shard», dans Sundance at Dusk, Toronto, McClelland and Stewart, 1976, p. 36-39.

Accouplements 263

Enfants montréalais d’origine thaïlandaise sur une patinoire maison, 2009

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Nepveu, Pierre, Géographies du pays proche. Poète et citoyen dans un Québec pluriel, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2022, 249 p.

À Montréal, au parc Kent : «Certaines expériences étaient nouvelles — jouer au hockey sur une patinoire hivernale avec d’habiles joueurs vietnamiens, tamouls et haïtiens […]» (p. 182).

Fortier, Mark, Mélancolies identitaires. Une année à lire Mathieu Bock-Côté, Montréal, Lux éditeur, coll. «Lettres libres», 2019, 168 p.

À Montréal, près de l’église de la Visitation : «Ce dimanche-là, sur la patinoire, il y avait deux Anglos, qui parlaient français, le jeune qui m’a accueilli en se lamentant de la défaite des Canadiens de Montréal, la veille, était d’origine haïtienne, et le petit malin qui m’enlevait sans cesse la rondelle s’appelait Sharif» (p. 123).

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 30 décembre 2019.

Verboczy, Akos, la Maison de mon père. Roman, Montréal, Boréal, 2023, 327 p.

À Montréal, dans le quartier Snowdon : «on avait une ruelle derrière la maison où je jouais au hockey — en bottines ! — avec mes voisins arabes» (p. 96).