L’oreille tendue de… Françoise de Luca

Françoise de Luca, la Jeune Fille à la tresse, 2022, couverture

«L’image revient inlassablement. Solange marche vers moi avec ce même sourire, ce même vêtement, comme dans un film qu’on remettrait infatigablement au début et ces images sont d’une précision déchirante. Elles me font du mal, mais elles me font du bien aussi. J’y entends un appel lointain, je tends l’oreille, mais rien ne me parvient.»

Françoise de Luca, la Jeune Fille à la tresse, Montréal, Marchand de feuilles, 2022, 301 p., p. 12.

Les Lumières du Devoir, prise deux

Goethe, les Souffrances du jeune Werther, éd. 1965, couverture

Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a récemment émis un avis au sujet d’un roman (posthume) de François Blais, le Garçon aux pieds à l’envers (2022) : il déconseille aux enseignants, aux bibliothécaires et aux libraires d’en faire la promotion Motif ? Ce roman pourrait inciter des adolescents à se suicider.

Le quotidien le Devoir, dans son édition du 5 janvier, commente l’affaire :

On appelle cet effet d’entraînement vers l’abîme le syndrome de Werther, à cause des effets du roman de jeunesse de Goethe. Les souffrances du jeune Werther (1774), après la mort volontaire du héros en mal d’amour, avait entraîné une épidémie de suicides.

C’est aller un peu vite en affaire. Les chercheurs sont loin de s’entendre sur la réalité de cette «épidémie de suicides». Certains y croient (Nicholas Karadaras, en 2022); d’autres sont plus réservés (Jan Thorson et Per-Arne Öberg, en 2003).

Coupons la poire en deux : «Les souffrances du jeune Werther (1774), après la mort volontaire du héros en mal d’amour, aurait entraîné une épidémie de suicides.»

P.-S.—«Prise deux» ? Il y eut, en effet, une première prise.

 

Références

Blais, François, le Garçon aux pieds à l’envers. Les chroniques de Saint-Sévère, Montréal, Fides, 2022, 320 p.

Kardaras, Nicholas, «How Goethe’s Sorrows of Young Werther Led to a Rare Suicide Cluster. Dr. Nicholas Kardaras on the Dangers of Social Contagion», article électronique, Literary Hub, 15 septembre 2022. https://lithub.com/how-goethes-sorrows-of-young-werther-led-to-a-rare-suicide-cluster/

Thorson, Jan et Per-Arne Öberg, «Was There a Suicide Epidemic After Goethe’s Werther ?», article électronique, Archives of Suicide Research, 7, 1, 2003. https://doi.org/10.1080/13811110301568

Le zeugme du dimanche matin et de Catherine Éthier

Catherine Éthier, Une femme extraordinaire, 2022, couverture

«En trois femmes grises qui, de génération en génération, s’étaient transmis le sens du spectacle, nous lui répondîmes toutes en même temps, en ne tenant absolument pas compte que “Corinne-Gazaille-Micheline-Gisèle-Trottier-votre-manteau” feraient vibrer les osselets des oreilles diaphanes du vieillard en un ramassis de syllabes et d’autorité qui donne envie d’aller se cacher derrière les rideaux.»

Catherine Éthier, Une femme extraordinaire, Montréal, Stanké, 2022, 302 p., p. 17.

C’est Noël ? Lisez !

Madame Riccoboni, Histoire de M. le marquis de Cressy, éd. de 2009, couverture

L’Oreille tendue, fouillant dans ses (re)lectures de 2022, propose quatre titres.

Baglin, Claire, En salle. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2022, 158 p.

Deux récits alternés : une jeune femme se souvient de son enfance dans un milieu modeste; la même jeune femme travaille maintenant dans un fastfood. Claire Baglin, dont c’est le premier roman, rend avec une acuité particulièrement forte ce qu’est aujourd’hui le monde du travail, sa violence, sa langue.

En savoir plus ici.

Fritz, Marianne, le Poids des choses. Roman, Montréal, Le Quartanier, «Série QR», 173, 2022, 143 p. Traduction de Stéphanie Lux. Suivi de «Marianne Fritz» par Adrian Nathan West.

Ça, c’est vraiment très fort : drôle et violent, stylistiquement déroutant

Voyer, Marie-Hélène, Mouron des champs suivi de Ce peu qui nous fonde, Saguenay, La Peuplade, coll. «Poésie», 2022, 196 p.

«je pense souvent à vous
à moi dans la continuité de vous
au curieux maillage de nos voix
dans l’écho de vous» (p. 35)

Riccoboni, madame, Histoire de M. le marquis de Cressy, Paris, Gallimard, coll. «Folio 2 €», série «Femmes de lettres», 4877, 2009, 129 p. Édition établie et présentée par Martine Reid.

Notamment, mais pas seulement, pour la malice de la scène finale.

Et trois encore, en d : Monument national. Roman, de Julia Deck; Là où je me terre. Roman, de Caroline Dawson; Cyclorama, de Laurence Dauphinais.

C’est clair, non ?

Stéphane Larue, le Plongeur, 2016, couverture

Importé de l’anglais to clear, clairer a plus d’un sens dans le français populaire du Québec.

Pour passer tout juste, le verbe est disponible : «Le Vista fait une brusque embardée au moment où l’hydravion passant en rase-mottes claire tout juste l’antenne radio» (Autour d’Éva, p. 364); «Ils montent la marche. Florence se penche en entrant afin de clairer le petit chambranle de la porte» (Correlieu, p. 181).

Se faire congédier ? «J’étais certain que j’allais me faire clairer sur-le-champ» (le Plongeur, p. 80).

Qui gagne un salaire intéressant après impôt est réputé clairer un bon salaire.

Enfin et bref, pour tout ce qui concerne le fait d’éviter, de vider ou de dégager, clairer peut être d’un bon rendement.

À votre service.

 

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté Correlieu le 14 novembre 2002.

 

Références

Hamelin, Louis, Autour d’Éva. Roman, Montréal, Boréal, 2016, 418 p.

La Rocque, Sébastien, Correlieu. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2022, 192 p.

Larue, Stéphane, le Plongeur. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 11, 2016, 568 p.