C’est tout, bis

Au Québec, pour dire que quelque chose est fini, et bien fini, on peut employer l’expression final bâton.

C’est (pas mal) ça qui est ça a un sens semblable. (Exemple ici.)

C’est pas mal ça qui est ça.

 

[Complément du 8 mai 2014]

Sur son album Kiki bbq, Martin Léon a deux chansons qui intéresseront les amateurs de cette expression : «C’est ça qui est ça (1)» et «C’est ça qui est ça (2)». Merci à @revi_redac pour le tuyau.

 

[Complément du 18 décembre 2020]

Exemple romanesque : «D’accord, donc pas de GD si le temps manque. Ben, c’est pas mal ça qui est ça, monsieur. Merci de m’avoir écouté» (Esprit de corps, p. 192).

 

[Complément du 5 janvier 2021]

Autre exemple romanesque : «Nos discussions se terminaient toutes par une tautologie du genre “c’est ça qui est ça” ou “en tout cas”» (Épique, p. 226).

 

Références

Messier, William S., Épique. Roman, Monréal, Marchand de feuilles, 2010, 273 p.

Vaillancourt, Jean-François, Esprit de corps. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 149, 2020, 302 p.

L’économie du hockey

Soit les phrases suivantes, toutes les deux tirées de la Presse+ du 19 avril 2014 :

«J’ai aimé la façon dont on a géré la rondelle autant que la façon dont on s’est défendus» (Michel Therrien).

«On savait qu’ils sortiraient en force, et il a fallu gérer la tempête au début» (Carey Price).

Le hockey est devenu affaire de gestion. Le phénomène est récent : on n’aurait pas parlé ainsi il y a quinze ou vingt ans.

C’est particulièrement clair dans le vocabulaire du joueurnaliste Marc Denis au Réseau des sports (RDS). Un de ses verbes favoris est gérer (la rondelle, le «traffic» devant le filet, l’attaque à cinq) et il n’hésite pas à parler du mandat confié à l’entraîneur des gardiens (match du 20 avril 2014).

Dans une société où l’économie occupe autant de place, cela ne devrait pas étonner les spectateurs.

P.-S. — Exemple romanesque, dans Chanson française (2013) de Sophie Létourneau, qui montre bien l’ampleur de la pénétration du vocabulaire de la gestion dans l’ensemble du langage : «La classe était dissipée, il y avait du chahut, mais tu gérais jusqu’à ce que Julien ouvre la porte» (p. 130).

 

[Complément du 27 avril 2014]

Que doivent faire les Canadiens de Montréal, selon le propriétaire de l’équipe, Geoff Molson ? «Il faut gérer les attentes» (la Presse, 11 avril 2014, cahier Sports, p. 3).

 

[Complément du 28 mai 2014]

Trois autres exemples du vocabulaire de la gestion appliqué au hockey.

Il fut un temps où chaque équipe avait des entraîneurs adjoints; ils ont été remplacés par des entraîneurs associés. Ils sont devenus des partenaires. Comme dans les grandes surfaces de rénovation, le personnel hockeyistique a changé de statut.

On ne parle plus de la responsabilité des joueurs, mais de leur imputabilité.

Une équipe doit générer des occasions de marquer ou générer de l’attaque, comme d’autres génèrent des revenus.

 

[Complément du 3 juillet 2018]

Entendu hier, au Réseau des sports, le joueurnalyste Patrick Leduc parler du «capital de chance» des joueurs japonais dans leur huitième de finale à la Coupe du monde de football 2018 : de la langue de puck à la langue de ballon rond.

 

[Complément du 3 juillet 2018]

La mémoire est la faculté qui va oublier. L’Oreille tendue reparlera de ceci… le 19 juillet 2016.

 

[Complément du 2 juin 2019]

L’autre jour, Marc Denis était interrogé par la Presse+ sur les raisons de la faible présence des anciens gardiens de but parmi les entraîneurs de la Ligue nationale de hockey. Sa réponse :

«C’est vrai que notre tempérament est plus proche de celui d’un gestionnaire», ajoute Marc Denis. Actionnaire des Saguenéens de Chicoutimi, il n’a pas l’intention de devenir entraîneur-chef. Mais un poste dans les opérations hockey ? «Ce n’est pas impossible que je me dirige de ce côté-là un jour. La gestion, ça m’intéresse. C’est drôle, quand tu y penses, parce que sur la glace, le gardien est un des seuls joueurs qui peut gérer le match. Il peut décider d’arrêter l’action, par exemple. Ou décider de quel côté ira la mise en jeu. Il est capable de prendre du recul face au jeu et de l’analyser.» (L’Oreille souligne.)

Ceci (le passé du joueur) expliquerait-il cela (le choix d’un mot) ?

 

Références

Létourneau, Sophie, Chanson française. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 70, 2013, 178 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Accouplements 04

Nicholson Baker, The Fermata, 1994, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Baker, Nicholson, The Fermata, New York, Random House, 1994, 303 p. Traduit par Jean Guiloineau sous le titre le Point d’orgue, Paris, Christian Bourgois, 1995, 308 p.

Le personnage principal a le pouvoir d’arrêter le temps. À quelle fin usera-t-il de ce pouvoir ? Il déshabillera les filles à leur insu. (Il est difficile d’oublier celle dont le sexe a la forme d’une selle de vélo.)

Rousseau, Jean-Jacques, les Rêveries du promeneur solitaire, Paris, Garnier, coll. «Classiques Garnier», 1960, civ/234 p. Ill. Texte établi, avec introduction, notes et relevé de variantes par Henri Roddier. Édition originale : 1782 (posthume).

Dans la 6e promenade, à propos de l’anneau de Gygès, qui rend invisible, Rousseau écrit : «Maître de contenter mes désirs, pouvant tout sans pouvoir être trompé par personne, qu’aurais-je pu désirer avec quelque suite ? Une seule chose : c’eût été de voir tous les cœurs contents» (p. 84).

L’Oreille tendue a plus de mal à croire Jean-Jacques Rousseau que Nicholson Baker.

D’ailleurs, Rousseau lui-même revient rapidement sur la phrase citée : «Il n’y a qu’un seul point sur lequel la faculté de pénétrer partout invisible m’eût pu faire chercher des tentations auxquelles j’aurais mal résisté, et une fois entré dans ces voies d’égarement où n’eussé-je point été conduit par elles ? […] Sûr de moi sur tout autre article, j’étais perdu par celui-là seul» (p. 85).

 

[Complément du 29 juin 2017]

Chacun chercherait ce dont il a le plus immédiatement besoin.

DesRochers, Jean-Simon, les Inquiétudes. L’année noire – 1. Roman, Montréal, Les Herbes rouges, 2017, 591 p.

Le feu rouge qui le sépare de son point de rencontre monopolise l’attention des piétons qui l’entourent. Bruno compte près de vingt têtes tournées vers ce cercle illuminé et cette main rouge. Il aimerait réaliser un arrêt sur image, utiliser une télécommande pour figer le présent des autres. Un jour de pluie où il avait réussi à s’introduire en douce dans une vieille salle de cinéma, il avait vu un film qui mettait en scène cette idée. Moi, j’ferais ça dans un buffet… Pèse sur pause, entre dans la place, mange trois assiettes, sors dehors, pèse sur l’autre piton… Gras dur. Le feu tourne au vert (p. 508).

Raconter le Rocket

Maurice Richard et Jim Henry, 8 avril 1952

«That beautiful bastard scored semi conscious»
(Elmer Ferguson).

8 avril 1952. En troisième période, durant les séries éliminatoires, au Forum de Montréal, Maurice «Le Rocket» Richard, le célèbre ailier droit des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, marque un but, qui deviendra le but gagnant du match et de la série, contre Jim «Sugar» Henry, des Bruins de Boston, après avoir été sérieusement blessé auparavant dans le match, au point de perdre conscience. Pour Jack Todd, en 1996, il s’agit du «greatest [goal] in the history of the game»; pour Roch Carrier, en 2000, du «plus beau [but] de l’histoire du monde». Rien de moins. Depuis, on voit partout une photo prise après le match d’un Richard ensanglanté serrant la main du gardien des Bruins, qui s’incline devant lui.

Ce but est devenu légendaire.

Histoires d’hiver (1998) est un long métrage de fiction scénarisé par Marc Robitaille, l’auteur de Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey (1987), et réalisé par François Bouvier. Le héros du film, Martin Roy, a douze ans en 1966-1967. Le film raconte ses souvenirs d’enfance : vie scolaire, relation agitée avec ses parents, transformation de la campagne en banlieue, apparition de la contre-culture, émois amoureux, amour du sport (du hockey). On apprend à la fin qu’il est devenu adulte : son père est mort depuis quinze ans, sa mère, la veille.

Martin assouvit sa passion du hockey avec le frère aîné de son père, Maurice. Celui-ci aime le hockey et Maurice Richard. C’est souligné dans deux scènes. Les deux sont nocturnes. Dans la première, Martin s’apprête à se mettre au lit, quand Maurice lui offre une radio miniature en forme de fusée (rocket), achetée en Floride, pour qu’il suive les matchs dans sa chambre. L’enfant dit à son oncle : «Heye, mononc’, raconte-moi l’histoire du Rocket.» L’oncle Maurice racontera ce qui s’est passé au Forum de Montréal le 8 avril 1952. L’histoire de l’oncle est interrompue ce soir-là, puis reprise quand Maurice, victime d’un «infractus», se retrouve à l’hôpital. Le filleul («le kid») est étendu sur le lit de son oncle, qui continue à lui décrire «un des plus beaux jeux qui s’est jamais vu dans l’histoire des séries de la coupe Stanley». Martin et Maurice ne partagent pas qu’un moment d’intimité; ils prolongent une conversation qu’ils ont eue plusieurs fois, puisque Martin complète avec facilité le récit de son oncle. C’est la preuve qu’il l’a déjà entendu, qu’il l’a appris par cœur et qu’il ne s’en lasse pas. (Sur le plan événementiel, l’oncle Maurice se trompe partiellement dans son récit : le match se terminera 3 à 1, et non 2 à 1, comme il le croit.)

Maurice Richard est un héritage qu’on se transmet dans les familles québécoises.

P.-S. — L’Oreille tendue a consacré tout un livre au numéro 9 des Canadiens, les Yeux de Maurice Richard (2006).

 

[Complément du 5 juin 2025]

Jean Pierre Savard, le narrateur du roman Saved de Jack Falla (2007), est échangé aux Canadiens. Dans le bureau de son nouvel entraîneur, il découvre une reproduction de la photo de la poignée de main entre Richard et Henry, «the most revealing hockey photograph ever taken» (p. 196). Il décrit longuement ce qui s’est passé le 8 avril 1952, avant de conclure sur ces mots : cette photographie «captures the dignity, chivalry, violence, and bravura of our game as does no other» (p. 197).

 

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

 

Références

Carrier, Roch, le Rocket, Montréal, Stanké, 2000, 271 p. Réédition : le Rocket. Biographie, Montréal, Éditions internationales Alain Stanké, coll. «10/10», 2009, 425 p. Version anglaise : Our Life with the Rocket. The Maurice Richard Story, Toronto, Penguin / Viking, 2001, viii/304 p. Traduction de Sheila Fischman.

Falla, Jack, Saved. A Novel, New York, Thomas Dunne Books, St. Martin’s Press, 2007, ix/276 p.

Histoires d’hiver / Winter Stories, film de fiction de 105 minutes, 1998. Réalisation : François Bouvier. Production : Aska Film.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey. Récit, Montréal, VLB éditeur, 1987, 142 p. Ill. Nouvelle édition : Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

Todd, Jack, «The Lion in Winter», The Gazette, 9 mars 1996, p. C1 et C6.

Histoires d’hiver / Winter Stories, film de fiction de 105 minutes, 1998

Accouplements 02

Alain Farah, Matamore no 29. Mœurs de province, 2008, couverture

 

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés. Dans ce cas-ci, trois.)

Auteur, Alain Farah est professeur à l’Université McGill.

Farah, Alain, Matamore no 29. Mœurs de province, Montréal, Le Quartanier, 2008, 208 p.

Professeur à l’Université McGill, François Ricard est auteur.

Ricard, François, Mœurs de province. Essais et divagations, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2014, 230 p.

Auteur, Gustave Flaubert n’est pas professeur à l’Université McGill.

Flaubert, Madame Bovary. Mœurs de province, 1857.