Est-ce clair ?

Daniel Grenier, Françoise en dernier, 2018, couverture

Soit quelques citations, tirées du très recommandable Françoise en dernier de Daniel Grenier (2018) :

1. «Elle aurait pu mourir probablement des centaines, des milliers de fois, c’est clair, mais de cette fois-là elle se souvenait» (p. 50).

2. «— C’est la même chose que le Labyrinthe. Ils ont des pipes à eau ?
— C’est clair» (p. 70).

3. «C’est clair qu’on pouvait passer la journée ici, qu’on pouvait se perdre» (p. 71).

4. «Pas besoin d’en rajouter, c’était clair» (p. 100).

5. «— Les gars, la peinture est pas encore sèche. C’est clair qu’elle est pas loin» (p. 124).

6. «— Ça te fait de la peine ?
— Ben, c’est clair» (p. 170).

Dans tous les cas, clair a le sens d’évident. Dans le deuxième et le sixième — des dialogues —, on pourrait aussi dire que c’est clair a valeur d’adverbe d’affirmation : oui.

C’est clair serait alors à rapprocher, dans l’usage québécois, de sérieux et de mets-en.

P.-S.—Dans le Devoir des 9-10 février, ceci : «D’un point de vue personnel, c’est clair qu’on a tous vécu des choses incroyables qui nous ont changés, observe Jonas Fortier.»

 

Référence

Grenier, Daniel, Françoise en dernier. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 16, 2018, 217 p.

L’oreille tendue de… Daniel Grenier

Daniel Grenier, Françoise en dernier, 2018, couverture

«François les a laissés continuer pour aller refermer et verrouiller la porte du patio. Elle a tendu l’oreille. Ils se parlaient tout bas, elle disait : t’as vu la peinture, là, tu penses-tu que ça vaut de quoi ? Et il a répondu : prends-la, on sait jamais. Non, fuck that, c’est sûrement une reproduction cheap du Ikea.»

Daniel Grenier, Françoise en dernier. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 16, 2018, 217 p., p. 38.

Accouplements 129

Couvertures de William S. Messier et Daniel Grenier, montage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.

«Mon père répétait une parole, que son propre père lui répétait quand il jouait du banjo. C’est une parole que mon grand-père tenait de son père à lui. La parole parle du diable pis elle commence comme ça : “J’ai entendu l’obsession de mon peuple pour le diable chantée de ben des façons. Je sais que le diable a été évoqué par du monde qui ont vécu des choses ben effroyables, par des fous comme par des charlatans qui ont le diable facile. C’est pourquoi, yâb’, je joue plus fort qu’eux. C’est pourquoi, yâb’, je joue plus fort qu’eux”» (p. 72).

Grenier, Daniel, Françoise en dernier. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 16, 2018, 217 p.

«On lui avait raconté ça, et aussi qu’un vieux bonhomme qui jouait du banjo pour éloigner le diable habitait dans le coin, avant de le déposer devant une boutique de souvenirs et de filer dans la noirceur tombante, en faisant crisser les pneus dans le gravier sans faire exprès» (p. 50).

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté Dixie durant l’hiver 2014.

Pas grand-chose

Jean-Christophe Réhel, Ce qu’on respire sur Tatouine, 2018, couverture

Rien est un bien étrange mot. Si l’Oreille tendue en croit son Petit Robert (édition numérique de 2014) — elle n’a pas de raison de ne pas le croire —, ce mot désignerait aussi bien quelque chose qu’aucune / nulle chose.

Au Québec, c’est peut-être encore un brin plus compliqué.

Le mot apparaît dans une formule conclusive, en un sens parfois proche de y a pas de quoi : y a rien là devrait mettre un terme à une conversation, en marquant la modestie (réelle ou feinte) de la personne qui parle, le peu d’importance du geste qu’elle vient de faire ou l’absence de gravité de ce qui s’est passé. Bref, n’en parlons plus, ce n’est rien. (Il est de notoriété publique que les Québécois aiment .)

«Jean-Luc revient une trentaine de minutes plus tard pour m’injecter l’autre antibiotique en s’excusant du retard. “Y a rien là”» (Ce qu’on respire sur Tatouine, p. 211).

«Il a changé le plan de table pour que Max puisse s’asseoir à côté de lui, fit Stéphane. Y a rien là» (Cauchemar à Nagano, p. 118).

On peut même faire plus concentré :

«Le skidoo encore dans le milieu de la cour, le voisin du dessous allait chialer, rien là» (Mailloux, p. 137).

Rien, c’est peu; pas rien, c’est moins.

«Aujourd’hui, il fait soleil. Un ciel bleu, pas de nuage, pas d’âme, pas rien» (Ce qu’on respire sur Tatouine, p. 6).

Il existe encore un adage du cru : rien qu’à voir on voit bien.

«Rien qu’à voir, on voyait bien que nous entrions dans un lieu sacré où tout respirait l’école, les élèves, les souvenirs des anciens, le passage du temps, le timbre de la cloche» (les Yeux tristes de mon camion, p. 23).

Qui commence une phrase par j’veux rien dire va nécessairement parler. C’est une forme commune de la prétérition.

«J’veux rien dire, mais ton blogue est poche

Tout ça vaut bien quelque chose, non ?

 

[Complément du 25 janvier 2019]

Un peu de Raymond Devos ? «Rien, c’est rien. Deux fois rien, non plus; mais avec trois fois rien, on peut déjà s’acheter quelque chose» (cité dans Défense et illustration de la langue française aujourd’hui, p. 47).

 

Références

Bouchard, Serge, les Yeux tristes de mon camion. Essai, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 303, 2017, 212 p. Édition originale : 2016.

MacGregor, Roy, Cauchemar à Nagano, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 8, 2003, 149 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 1998.

Mailloux, histoires de novembre et de juin racontées par Hervé Bouchard citoyen de Jonquière, Montréal, L’effet pourpre, 2002, 190 p.

Réhel, Jean-Christophe, Ce qu’on respire sur Tatouine. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2018, 283 p.

Serres, Michel et Michel Polacco, Défense et illustration de la langue française aujourd’hui, Paris, Le Pommier, coll. «Le sens de l’info !», 2018, 127 p.