Histoires de marde

Commençons par ce tweet de @machinaecrire.

Tweet de @machinaecrire, 25 juin 2017

Enchaînons avec deux lectures récentes de l’Oreille tendue.

La première est celle du roman Autour d’elle (un autre livre sur l’adoption) de Sophie Bienvenu. On y trouve un «petit frère qui fait de la marde» (p. 16). On y sacre : «Ostie de câlisse de sacrament de vie de marde» (p. 62). Le syntagme de marde est présent plusieurs fois : «Tu voulais pas t’attacher, parce que c’est trop dangereux, à cause de ta famille de marde» (p. 91); «C’est encore un plan de marde dont j’ai le secret» (p. 149); «Ce n’était qu’une pensée fugace comme j’en ai beaucoup d’autres, un autre plan de marde mort dans le cocon» (p. 157); «Elle sait que si elle prend la main qui se tend vers elle, elle sera aspirée dans un vortex intersidéral de marde» (p. 204). Notons encore cette interrogation : «Ostie de guerrière à marde, tu continues à te battre contre qui ?» (p. 91)

La seconde lecture est celle du recueil de poésie Arroser l’asphalte de Philippe Chagnon (voir ici). Citons trois vers : «illusion de marde bien sûr» (p. 21); «les drosophiles ne se prennent pas pour de la marde» (p. 28); «sinon dans la marde jusqu’au cou» (p. 68).

Terminons avec cette diapositive, tirée d’une conférence que donnait l’Oreille devant des professeurs de cégep il y a six semaines.

Benoît Melançon, diapositive PowerPoint, 6 juin 2017

De quoi s’agit-il ? D’un passage où l’Oreille soulignait, Canadian French for Better Travel à l’appui, la polysémie du mot marde, mais où elle déplorait aussi son utilisation de plus en plus fréquente, notamment sur les ondes de la radio d’État, Radio-Canada, comme si ce mot pouvait désormais faire partie du registre relevé.

Oui, @machinaecrire a raison : la banalisation de (de) marde est chose faite.

Non, ce n’est pas la première fois qu’il est question de marde en ces lieux.

 

Références

Bienvenu, Sophie, Autour d’elle. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 206 p.

Chagnon, Philippe, Arroser l’asphalte. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2017, 91 p.

Corbeil, Pierre, Canadian French for Better Travel, Montréal, Ulysse, 2011, 186 p. Ill. Troisième édition.

Accouplements 92

Jean-Simon DesRochers, les Inquiétudes, 2017, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Simenon, le Train, dans Romans. II, Paris Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 496, 2003, p. 807-916 et 1604-1620. Édition établie par Jacques Dubois, avec Benoît Denis. Édition originale : 1961.

«J’ai mis du temps à identifier un troisième visage, plus près de moi pourtant, parce qu’il m’était caché la plupart du temps par un homme à la carrure double de la sienne. Il s’agissait d’une grosse fille d’une trentaine d’années, déjà en train de manger un sandwich, une certaine Julie, qui tenait un petit café près du port.
Elle portait une jupe de serge bleue trop serrée qui fronçait le long de ses cuisses et un chemisier blanc, cerné de sueur, à travers lequel on voyait son soutien-gorge.
Elle sentait la poudre, le parfum et je revois son rouge à lèvres déteindre sur le pain» (p. 827).

DesRochers, Jean-Simon, les Inquiétudes. L’année noire – 1. Roman, Montréal, Les Herbes rouges, 2017, 591 p.

«Soleil couché, lumière pauvre. Bruno a bu trop vite. Il a le tournis. Le parc refroidit de minute en minute. Bruno reste assis sur son banc. Le bras gauche posé sur un sac de canettes consignées, un panini à demi mangé dans la main droite. Un repas trouvé dans les poubelles à l’arrière du Petit Café. Malgré l’obscurité croissante, il voit des marques de rouge à lèvres sur le pain blanc. Bruno songe à ces lèvres, à l’âge de leur propriétaire. C’est comme embrasser quelqu’un avec un peu de retard. Le panini est rempli de légumes et de fromage durcis par le froid. Une végétarienne… A devait être mince… Bruno lève les yeux. Un enfant du quartier passe à toute vitesse sur un vélo. Il file en direction de la rue Watson» (p. 34).

In

Sophie Bienvenu, Autour d’elle, 2016, couverture

Qu’en est-il du mot out au Québec ? S’il faut en croire les narrateurs du roman Autour d’elle de Sophie Bienvenu (2016), il est commun.

«Faudrait que je déménage aussi, que Montréal passe au feu, que je me tape la tête contre tout ce qui passe pour que les chocs me fassent oublier, que plus jamais je dessaoule, parce que les seuls moments où j’ai pas pensé à toi, depuis que t’es plus là, les seuls moments où j’ai pas eu mal comme si on m’avait retourné la peau et vidé de mes tripes, c’est quand j’ai passé out à cause de l’alcool» (p. 88).

«Heille, guys, guys. Le plan de la soirée, c’était que mon chum se rappelle plus de rien le lendemain, pis là le soleil se lève, on est demain, et on dirait ben que c’est moi qui vas blacker out. C’est hot pareil» (p. 131).

P.-S.—Dans un cas comme dans l’autre, on notera que out est lié à une consommation excessive d’alcool.

 

Référence

Bienvenu, Sophie, Autour d’elle. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 206 p.