La langue de puck (de tous les jours)

Fanny Britt, les Maisons, 2015, couverture

Certaines expressions propres au hockey trouvent difficilement à s’exprimer ailleurs : il est rare que l’on évoque le style papillon hors des patinoires.

En revanche, on peut donner son 110 % en tous lieux, avant de raccrocher ses patins ou de déplorer que la puck ne roulait pas pour nous autres.

L’Oreille tendue ne s’était jamais interrogée sur l’expression agent libre et son extension. Elle aurait dû.

Dans le monde du sport, l’agent libre est un joueur qui peut s’associer à l’équipe de son choix, sans que qui que ce soit ait à en souffrir (du moins monétairement).

Cela se pratiquerait aussi en matière amoureuse. C’est du moins ce que laisse entendre un passage du roman les Maisons de Fanny Britt (2015) :

— Oh. Je pensais que t’étais un agent libre.
Rappelle-toi de ses hosties d’expressions débiles, rappelle-toi qu’on n’a pas envie d’un homme qui utilise un terme comme «agent libre» pour nous décrire quand il veut couvrir sa couardise.
— Oui, oui, c’est pas faux (p. 160).

L’agent libre amoureux n’aurait pas d’attaches. Tout le monde n’apprécie pas pareilles «hosties d’expressions débiles».

 

Références

Britt, Fanny, les Maisons. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2015, 221 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Es-tu game ?

Fanny Britt, les Maisons, 2015, couverture

Soit les deux phrases suivantes, tirées du roman les Maisons de Fanny Britt (2015) :

Ce rituel remontait à loin, à l’époque où Sophie s’évadait sur des coups de tête, en autobus ou sur le pouce, pour des fins de semaine d’aventure, tantôt avec un garçon d’intérêt, tantôt avec une amie plus game que moi, me demandant de couvrir ses arrières auprès de ses parents (p. 177).

«Mehdi et Paul ont dit que j’étais pas game de sauter du troisième tremplin, et c’était peut-être vrai mais comment on fait quand on n’est pas game de faire quelque chose, je pensais que j’avais pas le choix, je me suis cogné le genou sur le tremplin, je sais même pas quand j’ai touché l’eau, je m’excuse, je m’excuse vraiment» (p. 215).

Donc, l’expression être game (à prononcer guém’). Son sens ? Est game celui qui est prêt à faire une chose (souvent) présentée comme un défi (c’est particulièrement clair dans la deuxième citation).

«Prêt. Disposé», écrit le Dictionnaire de la langue québécoise de Léandre Bergeron (p. 242). «Se sentir de taille (à faire qqch)», propose le Trésor des expressions québécoises (p. 163).

Venue de l’anglais, cette expression n’est par particulièrement récente. On la trouve à la fin du XIXe siècle dans les Mystères de Montréal d’Hector Berthelot : «Merci, monsieur, dit le Petit Pite. Vous êtes la pratique la plus “game” que j’aie rencontrée aujourd’hui» (p. 123).

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Berthelot, Hector, les Mystères de Montréal par M. Ladébauche. Roman de mœurs, Québec, Nota bene, coll. «Poche», 34, 2013, 292 p. Ill. Texte établi et annoté par Micheline Cambron. Préface de Gilles Marcotte.

Britt, Fanny, les Maisons. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2015, 221 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Le sexe des langues ?

Raymond Bock, Atavismes. Histoires, 2011, couverture

Hier, l’Oreille tendue tombe sur ceci :

Le subjonctif
se fait
traiter
de fif

C’est de Francis Monty, dans le spectacle collectif la Fête sauvage (2015, p. 39).

Cela lui a fait penser à cette (fine) définition du (malheureux) Dictionnaire de la langue québécoise de Léandre Bergeron :

Étudiant en lettres n.m — Homosexuel (1980, p. 215).

À ceci encore, chez André Belleau, en 1981, dans «Parle(r)(z) de la France» :

Il ne faut pas oublier qu’il existe au Canada un courant de haine envers nous (il y a plusieurs courants au Canada) qui se nourrit de la conviction que nous avons quelque chose de français. Lors de la guérilla linguistique à Saint-Léonard [en 1969], un groupe d’anglophones marcha sur Ottawa. Ils furent reçus par le ministre Gérard Pelletier. Une photo en page trois de la Presse le montrait souriant, détendu, devant des porteurs de pancartes dont l’une, au tout premier plan, disait : “NO FLOWERY FRENCH, ENGLISH THE LANGUAGE OF MEN !” Le français, notre langue, une langue de tapette… (éd. de 1986, p. 35-36).

À cette déclaration d’un personnage d’Atavismes de Raymond Bock :

une moumoune pas à peu près qui lisait des livres et qui enseignait des affaires niaiseuses et inutiles (2011, p. 130).

Et enfin à ceci, du grand Réjean Ducharme :

La poésie et tous ces fifis qui en font, il ne bavera plus dessus (Gros mots, 1999, p. 186-187).

Fif, homosexuel, tapette, moumoune, fifi : décidément, il y en a qui ont du mal, et depuis longtemps, avec la langue et les lettres.

P.-S. — Le texte de Belleau a déjà été évoqué ici.

 

[Complément du 23 novembre 2015]

Dans son essai la Leçon de Jérusalem (2015), Monique Larue évoque son enseignement du français au cégep :

Je me souviens du cours de langue orale dans lequel il fallait observer un niveau dit «soutenu» dans un exposé formel. Je demandais par exemple à mes étudiants qu’ils suppriment complètement l’expression faque et s’exercent à prononcer «ce qui fait que». […]
Articuler quatre syllabes au lieu de deux ne requiert aucun effort mesurable, mais mon défi gênait tant mes élèves qu’ils préféraient perdre des points, eux pourtant si attachés à leur classement. Impossible de se passer de ce faque dans la ponctuation de leur laïus. […] Les garçons avaient peur de passer pour efféminés face aux filles, et les filles pour hautaines face aux garçons (p. 139).

Efféminé.

 

Références

Belleau, André, «Parle (r)(z) la France», Liberté, 138 (23, 6), novembre-décembre 1981, p. 29-34; repris, sous le titre «Parle(r)(z) la France», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 45-47; repris, sous le titre «Parle(r)(z) de la France», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 33-38; repris, sous le titre «Parle(r)(z) de la France», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 33-38. https://id.erudit.org/iderudit/60322ac

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bock, Raymond, Atavismes. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 03, 2011, 230 p.

Côté, Véronique et un collectif d’auteurs, la Fête sauvage, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 06, 2015, 125 p. Ill.

Ducharme, Réjean, Gros mots. Roman, Paris, Gallimard, 1999, 310 p.

LaRue, Monique, la Leçon de Jérusalem, Montréal, Boréal, 2015, 297 p.

Troubles du sommeil

L’Oreille tendue est de celles qui peuvent dormir partout : en voiture, sur la chaise du dentiste, au théâtre — voire dans son lit. Pour elle, le sommeil est généralement réparateur.

C’est à cela qu’elle pensait devant cette publicité du métro de Montréal :

Publicité, métro de Montréal, novembre 2015

 

Le personnage en robe de chambre, contrairement à l’Oreille, a manifestement passé une mauvaise nuit : il a dormi sur la corde à linge. La preuve : le matin venu, il y est encore accroché, le café à la main, l’air peu fringant.

On lui souhaite de connaître de meilleurs dodos, et, surtout, bien sûr, que la «literie biologique» y contribue.

 

[Complément du 22 septembre 2017]

Exemple romanesque emprunté au Michel Tremblay de la Grande Mêlée (2011) :

Elles n’avaient pas vieilli d’un seul jour alors que lui, il en était conscient, s’était détérioré au fil des années à cause des abus qu’il avait infligés à son corps — la boisson, d’innombrables nuits sur la corde à linge, les femmes faciles, le laudanum et même un peu d’absinthe, le poison des poètes, en fait tout ce que la grande ville peut offrir à un homme qui souffre et qui veut oublier (éd. de 2017, p. 673).

 

[Complément du 29 mai 2020]

Hypothèse étymologique :

 

[Complément du 19 septembre 2020]

Dès 1904, pourtant, sous la plume de Rodolphe Girard, dans le roman Marie Calumet, on pouvait lire : «Ne m’en parle pas. Je me sens les cheveux à pic comme des clous, et les côtes sur le long comme si j’avais dormi sur la corde à linge» (éd. de 2020, p. 33).

 

Références

Girard, Rodolphe, Marie Calumet. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 142, 2020, 305 p. Édition, postface & chronologie par Jean-Philippe Chabot. Édition originale : 1904.

Tremblay, Michel, la Grande Mêlée, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 659-836. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2011.

Les zeugmes du dimanche matin et de Daniel Grenier, la suite

Daniel Grenier, l’Année la plus longue, 2015, couverture

«Les serveurs se promenaient entre les tables et s’inclinaient très bas pour faire voyager les odeurs et les convives» (p. 185).

«Quiconque arrivait dans le coin avec sa pelle ou même avec rien, juste de la volonté et un peu de tabac à chiquer, pouvait trouver du travail» (p. 198).

«Avait-il déjà été cet homme bavard qu’il ressuscitait dans son esprit, ce conteur plein de bière et de récits abracadabrants à offrir à un auditoire captif ?» (p. 216)

«“Longtemps”, c’était le mot qui l’avait accompagné, comme un ami, comme un ennemi aussi parfois, au cours de sa vie, rythmé en syllabes nasales et en décades, deux mots en un seul» (p. 296).

Daniel Grenier, l’Année la plus longue. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 10, 2015, 422 p.

P.-S. — Cela est une deuxième fournée. La première est ici.

P.-P.-S. — Les «décades» de la p. 296, ce ne serait pas plutôt des «décennies» ?

P.-P.-P.-S. — L’Oreille tendue a dit tout le bien qu’elle pensait de ce roman .

 

(Une définition du zeugme ? Par .)