Mais bien sûr !

Maxime Raymond Bock, Des lames de pierre, 2015, couverture

Si les choses peuvent refluer, c’est évidemment qu’elles peuvent fluer. Exemple, tiré d’un roman de Julia Deck : «La rame entre dans la station. Les usagers s’écrasent contre les vitres jusqu’à l’ouverture des portes, fluent sur le quai, refluent docilement à l’intérieur sous l’injonction du signal sonore, et les nouveaux venus jouent des coudes pour s’immiscer dans le wagon» (p. 27-28).

Si un animal s’appelle le paon, il y a nécessairement le verbe paonner. Exemple, tiré d’une novella de Maxime Raymond Bock : «Don Alejandro fêterait sa renaissance, paonnant dans son costume d’insupportable charro, invitant sans doute les mariachis de la ville» (p. 58).

Il suffisait de prêter attention.

 

Références

Deck, Julia, Viviane Élisabeth Fauville, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 99, 2014, 166 p. Édition originale : 2012.

Raymond Bock, Maxime, Des lames de pierre. Novella, Montréal, Le Cheval d’août, 2015, 104 p.

Les zeugmes du dimanche matin et de David Goudreault

David Goudreault, la Bête à sa mère, 2015, couverture

«Je lisais, donc. Dans l’autobus, dans mon coin de la cour de récréation, dans les maisons où on me trimbalait, aux toilettes et dans mes insomnies» (p. 20).

«S’ils débusquaient un homme dans sa vie ou dans son appartement sans avoir été prévenus, ça compromettrait le retour de ses enfants» (p. 50).

«J’ai laissé ma mère abandonner ses résistances et sa petite culotte […]» (p. 92).

«Bonne idée d’aller travailler. Ça m’a remonté le moral et le budget» (p. 136).

«Et s’il avait la très mauvaise idée de m’attaquer, j’exécuterais ma menace et lui-même» (p. 150).

«Elle m’embrassait avec beaucoup de passion et de langue» (p. 168).

«J’en étais à ce stade de constatation, fomentant l’idée de l’inviter à prendre un verre et son pied» (p. 183).

«De toute manière, je devais reprendre contact avec elle, en personne et en vitesse» (p. 200).

David Goudreault, la Bête à sa mère, Montréal, Stanké, 2015, 231 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Chronique vestimentaire

T-shirt conçu par doctorak.co

L’Oreille tendue travaille ces jours-ci à son prochain livre; ça s’appellera Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue) et ça devrait paraître en octobre chez son éditeur habituel, Del Busso éditeur.

Elle (re)lit donc des masses de choses sur la langue, dont un article de Pierre Martel paru dans le Devoir du 23 juin 1992, «Contre le séparatisme linguistique» (p. B8).

Elle y (re)découvre que le mot gaminet (tee-shirt ou t-shirt), pour lequel l’Office québécois de la langue française a tant été moqué, n’est pas une invention de l’Office, mais d’un journaliste français, Jacques Cellard, dans les pages du Monde en 1974.

Noëlle Guilloton, dans le Devoir du 29 novembre 1994 (p. A8), ne disait pas autre chose que Pierre Martel.

Les légendes urbaines ont la vie dure.

P.-S. — On peut se passer du gaminet; pas du gaminetiste.

 

[Complément du jour]

 

[Complément du 16 décembre 2017]

Soit la phrase suivante, tirée du roman le Continent de plastique (2016) : «Outre deux vendeurs qui bavardaient, je m’étais trouvé seul dans le magasin, évaluant la marchandise. Rien ne m’allait : chandails échancrés à l’excès, gaminets farcis de logotypes, pulls aux motifs ulcérés» (éd. de 2017, p. 33). Connaissant l’espièglerie stylistique de David Turgeon, son auteur, on peut légitimement présumer qu’il utilise gaminet en toute connaissance de cause.

 

Références

Guilloton, Noëlle, «Hot-dog et tee-shirt», le Devoir, 29 novembre 1994, p. A8.

Martel, Pierre, «Contre le séparatisme linguistique», le Devoir, 23 juin 1992, p. B8.

Turgeon, David, le Continent de plastique. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Écho», 16, 2017, 298 p. Édition originale : 2016.

De la non-pomme de terre

Françoise Major, Dans le noir jamais noir, 2013, couverture

Elle est le cœur : on peut en avoir gros sur la patate.

Elle marque l’échec : «Cam Barker, troisième joueur repêché en 2004, a fait patate» (la Presse+, 10 juin 2015).

Elle symbolise l’erreur : «Shakespeare dans les patates ? La Fille du temps / Josephine Tey» (Jeu, 29, 4e trimestre 1983, p. 155).

Elle a de la valeur, car elle indique qu’il ne faut pas abandonner, qu’il faut tenir bon : «D’origine inconnue, l’amusante locution [«lâche pas la patate»] a de la gueule, et même une chanson» (le Devoir, 8-9 mars 2014, p. F6). Oui, c’est un zeugme.

Elle désigne les frites : on va «manger une patate» (Attaquant de puissance, p. 22). On parle aussi de patate(s) frite(s).

Elle peut désigner l’endroit même où on consomme lesdites frites : «De toute manière, Germain avait dû aller à la patate du coin. Trois hot-dogs all dressed, une frite, un coke pis des jokes plates à la serveuse» (Dans le noir jamais noir, p. 14); il en rentre sentant «bon la patate» (p. 15). La Presse a jadis consacré un reportage à ce type d’établissement; l’Oreille tendue le relevait le 4 juillet 2011. C’était de saison.

On ne confondra pas ces frites et la patate chaude : «S’il y a consensus, c’est plutôt sur les tergiversations du gouvernement qui ne semble absolument pas savoir où il s’en va avec ses skis ou comment se débarrasser d’une patate chaude qu’il a lui-même fait chauffer» (la Presse, 25 février 2013, p. A14). Le Petit Robert (édition numérique de 2014) condamne cet usage : au sens de «se défausser d’une affaire embarrassante», ce serait un «calque de l’anglais».

Le premier sens de patate est utilisé des deux côtés de l’Atlantique. Pas les autres.

P.-S. — Les patates pilées ? De la purée. En robe de chambre / des champs ? Cuites au four.

 

[Complément du 19 juillet 2024]

La patate est une pataterie, et vice versa : «Sans oublier Chez Henri, la célèbre pataterie locale, qui avait son kiosque de poutine au trou no 2» (la Presse+, 19 juillet 2024).

 

Références

Hotte, Sylvain, Attaquant de puissance, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 2, 2010, 219 p.

Major, Françoise, Dans le noir jamais noir. Nouvelles, Montréal, La mèche, 2013, 127 p.