Saguenayisme (de bon aloi ?)

Soit le tweet suivant de @MadameChos : «My god qu’ils sont giguons. #parvenus http://fb.me/1XFHAx4Ou.»

Soit cet extrait d’une chanson d’Alecka :

Coudon
Ben voyons don
Heille creton
C’est don ben bon
Heille creton
Dans l’fond
Bougon gigon
Ou bedon

Deux choses rassemblent @MadameChos et Alecka : un mot («giguons», «gigon»); une filiation régionale, le Saguenay—Lac-Saint-Jean. Conclusion provisoire ? Voilà un régionalisme.

Que signifie-t-il ? Le mot est évidemment péjoratif : si @MadameChos l’emploie pour parler de Beyoncé et Jay-Z (et de leur bébé), ce n’est pas à leur avantage («#parvenus»).

Que disent de ce mot les dictionnaires que l’Oreille tendue a sous la main ? Rien, du moins, dans Franqus. Dictionnaire de la langue française. Le français vu du Québec, le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, la Base de données lexicographiques panfrancophones, le Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français […], le Dictionnaire de la langue québécoise.

En revanche, le Supplément 1981 du dictionnaire de Léandre Bergeron a ceci, à «jigon, onne» : «adj. ou n. — Malpropre. Mal habillé. Ex. : Est jigonne tous les jours excepté le dimanche, celle-là. Être jigon ou faire le jigon. — Jouer des coups de cochon» (p. 113).

Dernier élément d’information : dans une famille dont un des membres est d’origine du Saguenay—Lac-Saint-Jean, on a déjà confié à l’Oreille que nono pouvait servir de synonyme à gigon.

Bref, avouons-le : l’Oreille a besoin d’aide, tant pour pour la graphie («giguon», «gigon», «jigon») que pour le sens («nono», «malpropre», «fourbe») de ce mot.

 

[Complément du 22 janvier 2013]

Définition d’une Jeannoise : «quelqu’un aux manières frustes, voire grossières», confirmée par une Saguenéenne.

Une autre confirmation, d’une autre Saguenéenne : «mal élevé, un peu “colon”».

Trois remarques encore de @clerc2000. Une première définition rejoint celles que l’on trouve ci-dessous : «s’apparente à l’expression colon (sans classe, malpoli, malpropre). lien avec la gigue peut-être…». Une deuxième s’accorde avec celle de Léandre Bergeron : «On peut aussi dire elle s’habille en gigon (comme la chienne de J)». En revanche, @clerc2000 ne voit pas de lien avec nono.

Merci Twitter.

 

[Complément du 23 mai 2014]

Plus fort que le gigon ? Le «power gigon» (la Déesse des mouches à feu, p. 84).

 

[Complément du 11 juin 2018]

Aux étymologies évoquées dans les commentaires ci-dessous, ajoutons celle-ci, lue aujourd’hui sur Twitter : «L’origine que j’ai entendue le plus souvent du mot gigon était que ce mot était utilisé pour ridiculiser les gens qui restaient à Rivière-du-Moulin (quartier de Chicoutimi qui était un village), qui étaient très pauvres et qui giguaient beaucoup comme activité sociale…»

 

[Complément du 7 octobre 2018]

Parmi les exemples d’expressions saguenéennes retenus par Jean-Sébastien Girard dans sa chronique «Voyager en Jeannorama» de l’émission La soirée est (encore) jeune du 6 octobre 2018, celui-ci est postélectoral : «As-tu vu la gigonne avec sa tuque qui vient d’être élue, Jean-Philippe ?»

 

[Complément du 27 septembre 2020]

Si l’on en croit la base de données Eureka, le mot est peu utilisé à l’écrit. Au cours des douze derniers mois, au Québec, ni jigon, ni jiguon, ni giguon n’y apparaissent. Gigon n’y est recensé que trois fois.

Le Wiktionnaire offre des exemples et une série de synonymes de gigon : cave, épais, imbécile, innocent, taouin / tawin, tarla, troufion, zezon.

Toujours sous la forme gigon, le mot apparaît dans un ouvrage récent, la Langue de Charlevoix et du Saguenay—Lac-Saint-Jean (2020).

 

[Complément du 28 septembre 2020]

Hier soir, à l’émission radiophonique La soirée est (encore) jeune, l’Oreille tendue est allée dire quelques mots au sujet des jigons / gigons. C’est ici, à compter de la neuvième minute.

 

Références

Alecka, «Choukran», Alecka, 2011, étiquette Spectra musique.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Pettersen, Geneviève, la Déesse des mouches à feu. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 2014, 203 p.

Verreault, Claude et Claude Simard, la Langue de Charlevoix et du Saguenay—Lac-Saint-Jean : un français qui a du caractère, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. «Langue française en Amérique du Nord», 2020, 168 p.

Le zeugme du dimanche matin et de Laurent Mauvignier

Laurent Mauvignier, Des hommes, 2009, couverture

«Moi, j’avais repensé à Février racontant des choses insensées sur Mireille, comment Mireille dans une HLM ce n’était plus du tout la jeune fille arrogante et sûre d’elle qu’on avait connue à Oran, sifflant ses orangeades et les chansons de Sacha Distel ou de Dario Moreno en attendant sur un tabouret et en se vernissant les ongles, ou en mordillant les branches de ses grosses lunettes de soleil vertes.»

Laurent Mauvignier, Des hommes, Paris, Éditions de Minuit, 2009, 280 p., p. 114.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Le zeugme du dimanche matin et de Marcel Proust

Marcel Proust, Du côté de chez Swann, éd. de 1976, couverture

«je remarquais pour la première fois avec irritation qu’elle avait un langage vulgaire, et hélas ! pas de plumet bleu à son chapeau».

Marcel Proust, Du côté de chez Swann, édition de Pierre Clarac et André Ferré, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 821, 1976, 504 p., p. 466.

Merci à @fbon.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Relire Cherokee

Jean Echenoz, Cherokee, 1983, couverture

Relire Cherokee (1983) de Jean Echenoz (presque) trente ans après sa parution ?

C’est retrouver des zeugmes.

«La voyante posa sur lui un regard attendri, sur ses jambes un plaid […]» (p. 12).

Cela lui donnait «une allure confuse de souteneur et de petit déjeuner» (p. 32).

Marguerite-Elie Ferro était doté «de soixante-huit ans et d’un énorme capital» (p. 43).

Georges Chave, à la Bibliothèque nationale, rue de Richelieu, «consulta toutes sortes de fichiers, à la recherche d’ouvrages traitant de l’émigration française en général, bas-alpine au Mexique et au XIXe siècle en particulier […]» (p. 60).

C’est retrouver des chiens absents, même si, en apparence, dans l’intrigue, l’animal le plus important semble être un perroquet, en l’occurrence Morgan.

«Georges entra : cela sentait fort le chien, ou plutôt les chiens, dont au moins un mouillé. Mais il n’y avait pas de chien, pas plus que de volaille dans le poulailler ruiné qu’étayait un mur tout au fond du jardin» (p. 18).

(Jean Echenoz, qui n’aime pas les pigeons, ces «rats de l’espace» [p. 168], a un faible pour les chiens.)

C’est retrouver des antimétaboles (à distance).

«Il y avait des vents, des peaux, des cordes, des panoplies de saxophones rangés par ordre décroissant comme des outils, et puis un piano dans le fond, un crapaud coréen» (p. 26).

«Entre les deux courait un établi bardé d’étaux, d’outils, de tout ou partie de moteurs, de caissons gras contenant des pièces, de bidons bouchés par des chiffons noirs, de panoplies de clefs fixées au mur par ordre décroissant comme des saxophones parmi plusieurs calendriers de l’année en cours, qu’illustraient des photographies de femmes déshabillées dans des voitures décapotées» (p. 124).

C’est retrouver la perfection (circulaire) d’un paragraphe qui commence par «Entrons» et se clôt sur «sortons» (p. 243).

C’est retrouver d’étonnants portraits.

«La dame qui vint ouvrir n’avait plus sa jeunesse mais elle était bien belle, droite, ferme et fardée, avec un sourire émouvant. Elle avait un visage de bonne fée incestueuse, comme le portrait-robot établi par un homme qui voudrait décrire à la fois Michèle Morgan et Grace Kelly à cinquante-cinq ans, cet homme étant Walt Disney. Elle portait un tailleur Chanel couleur zinc, un corsage gris et léger comme une fumée et un énorme collier en or» (p. 27-28).

«Georges examina l’intrus, le trouva de carrure avantageuse et de peau très blanche, avec des cheveux blonds très clairs et des yeux bleus très pâles, comme si on l’avait longuement plongé dans l’eau de Javel. Il avait l’air d’un ange haltérophile trop précocement sevré, trop souvent reclus dans le cabinet noir, avec un sourire triste d’ancien enfant de troupe. Il portait au poignet une grosse gourmette en métal blanc avec son prénom dessus» (p. 89-90).

«L’inconnu pouvait avoir quelque quarante ans, malgré ses yeux de trop jeune taupe que grossissaient des verres épais, malgré des rides se croisant sur son front, autour de ses yeux, reliant profondément les coins de sa bouche aux ailes de son nez. À armes encore inégales, le blanc disputait au roux la majorité de ses cheveux courts parmi lesquels luttaient aussi nombre d’épis multidirectionnels, comme une herbe rase soumise aux vents continentaux. À première vue, son visage et tout son corps semblaient agités de tics incessants, et puis non : c’était l’arrangement presque dissymétrique de ses membres qui produisait cette impression — quoiqu’il eût aussi quelques tics réels, mais pas tant que ça. Il portait un pantalon blanc et une chemise hawaïenne à manches courtes imprimée de palmiers, de skieurs nautiques vert pomme et jaune citron sur plans de topaze. Son sourire n’était pas arrogant mais plutôt résigné, et découvrait un chevauchement de dents mal implantées, battues d’épis à l’instar de sa chevelure, penchées en tous sens comme de vieilles pierres tombales» (p. 112-113).

C’est ne pas s’y retrouver dans l’intrigue, cette parodie de roman noir.

Relire Cherokee, bref, c’est se retrouver chez soi.

P.-S. — Il était temps : là, à côté, il y a dorénavant une catégorie «Echenoz».

 

Référence

Echenoz, Jean, Cherokee. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1983, 247 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

bs

François Blais, Document 1, 2012, couverture

1. Politique sociale québécoise. Sigle de bien-être social, allocation versée par le gouvernement aux personnes dans le besoin. Il n’y en a plus.

2. Avec ou sans majuscule, désigne aussi les gens qui en vivaient : un bs, des BS. Il y en a toujours. Voir bougon. Exemple :

«Steve s’est rapidement adapté à sa nouvelle vie de chien domestique. L’idée d’être pris en charge, de voir la bouffe tomber du ciel à intervalles réguliers ne l’a pas du tout blessé dans son amour-propre. Il a accepté ça comme son dû. Un vrai BS dans l’âme» (Document 1, p. 157)

3. Marketing. La station touristique Val-Saint-Côme organise, une fois la semaine, une soirée de ski à tarif réduit (10,44 $), surnommée localement «Le dimanche des bs».

P.-S. — On ne confondra pas bs (bien-être social) et bs (bullshit).

 

[Complément du 12 janvier 2013]

Qui touche le bien-être social est dit sur le bs : «On savait qu’il ne travaillait pas, qu’il était “sur le BS” et qu’il avait renoncé à tout désir d’écrire…» («À la casserole !», p. 24).

 

[Complément du 8 janvier 2021]

On voit aussi bien-être employé comme substantif en ce sens : «Il était vraiment courageux de s’engager avec un beau band de bien-êtres comme nous» (J’ai bu, p. 144).

 

[Complément du 20 juin 2024]

Dans la Vie littéraire (2014), Mathieu Arsenault propose la graphie «béesse» (p. 54, p. 60).

 

Références

Arsenault, Mathieu, la Vie littéraire, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 76, 2014, 97 p.

Blais, François, Document 1. Roman, Québec, L’instant même, 2012, 179 p.

Mavrikakis, Catherine, «À la casserole !», dans Printemps spécial. Fictions, Montréal, Héliotrope, «série K», 2012, p. 17-25.

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.