Soupir de soulagement de l’Oreille

François Blais, Document 1, 2012, couverture

Au moment de la rédaction du Dictionnaire québécois instantané (2004), l’Oreille tendue avait tenu à y faire figurer le verbe torcher.

Mélioratif. «“Wow ! Y torche, ton coat !” Traduction : il est beau ton manteau» (la Presse, 3 novembre 2000). «La torchère ne torche plus, dommage» (la Presse, 7 avril 2003). Voir capoter, débile, extrême, full, hyper, masse (en ~), max, méchant, méga, moyen, os (à l’~), pas à peu près, phat, planche (à ~), super et über (p. 219).

Depuis, il lui est arrivé de se demander si cette utilisation du mot existait toujours. N’avait-elle pas disparu ? Que nenni.

Deux exemples récents :

MT @MeveTaillefer: @Silvitourigny a.k.a. Carole, @sofecteau et Caroline Allard à @plusonlit Nos #websériesqc torchent !! J’en veux plus (Twitter).

Ouais, c’est vrai que Je suis un écrivain japonais et Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, ça torche (Document 1, p. 99).

L’Oreille est rassurée.

 

Références

Blais, François, Document 1. Roman, Québec, L’instant même, 2012, 179 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Avec ou sans ?

Sur Twitter, le 10 février, Larousse faisait de maganer son #motdujour : «Au Québec, abîmer, user (familier).» Le Dictionnaire de la langue québécoise de Léandre Bergeron (1980, p. 302) et le Petit lexique d’Ephrem Desjardins (2002, p. 101) ont cette orthographe. Si vous l’aviez interrogée là-dessus, l’Oreille tendue vous aurait répondu la même chose : pas de h.

Il est pourtant des gens qui en mettent un. Ainsi, le Devoir des 28-29 janvier 2012 contient le mot «maghanant» (p. B2). Avant lui, Réjean Ducharme a intitulé une de ses pièces le Cid maghané; une affiche d’une production québecquoise de 1977, visible sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, confirme la présence de cette consonne. Les spécialistes de Ducharme, par exemple Józef Kwaterko, Élisabeth Haghebaert et Michel Biron, ont suivi son exemple.

Qui nous dira l’étymologie du mot et réglera la question ?

D’ici là, ça fait désordre.

 

[Complément du 15 mars 2013]

Les jeunes ne devraient pas fumer. D’où, à la subtile adresse https://www.facebook.com/degueu, cette mise en garde.

Magane pas tes poumons

Merci à OffQc | Quebec French Guide.

 

[Complément du 25 août 2013]

L’emploi du mot n’est pas récent. On en trouve deux occurrences, à la fin du XIXe siècle, dans les Mystères de Montréal d’Hector Berthelot, d’abord sous la forme maganer (p. 123), puis sous la forme maganner (p. 159).

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Berthelot, Hector, les Mystères de Montréal par M. Ladébauche. Roman de mœurs, Québec, Nota bene, coll. «Poche», 34, 2013, 292 p. Ill. Texte établi et annoté par Micheline Cambron. Préface de Gilles Marcotte.

Biron, Michel, la Conscience du désert. Essai sur la littérature au Québec et ailleurs, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2010, 212 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Haghebaert, Élisabeth, Réjean Ducharme, une marginalité paradoxale, Québec, Nota bene, coll. «Littérature(s)», 34, 2009, 337 p.

Kwaterko, Józef, «Ducharme essayiste ou “Sartre maghané”», Littératures (revue de l’Université McGill), 6, 1991, p. 21-38; repris dans Pierre-Louis Vaillancourt (édit.), Paysages de Réjean Ducharme, Montréal, Fides, 1994, p. 147-166.

Des ursidés sonores

Samuel Archibald, Arvida, 2010, couverture

Le Petit Robert (édition numérique de 2010) donne la prononciation «ourss» et «ourss brun» (mais on pourrait aussi, semble-t-il, dire «ourz brun»), sans distinguer la prononciation au singulier de celle au pluriel.

Claude-Henri Grignon et Albert Chartier, dans leur Séraphin illustré (2010), préféraient «Un ourre !» (p. 74). Ils rejoignaient par là Léandre Bergeron qui, dans son Dictionnaire de la langue québécoise (1980), classait les ursidés à «our» et non à «ours» (p. 357). (À «ours», il est plutôt question de l’«Organe sexuel féminin».)

Pour les personnages d’Arvida (2011) de Samuel Archibald, c’est plus complexe : «On prononçait à l’envers sur les terres du Seigneur. On disait un our et des ourses» (p. 136). Mais «à l’envers» de qui ?

 

[Complément du 23 février 2012]

Compliquons un peu les choses en citant deux vers d’une comédie de 1784, le Concours académique, signée par Cubières de Palmézeaux :

«Ses dehors sont peu doux ainsi que ses discours.
Il a beaucoup moins l’air d’un homme que d’un ours» (acte I, scène III, p. 226).

 

[Complément du 26 août 2014]

S’il faut en croire le journaliste Jean-François Nadeau, les étudiants de la Faculté de droit de l’Université Laval (Québec) ont trouvé une solution à cette question. En période d’initiation — de bizutage —, ils sont forcés de chanter «Cours avant qu’t’je fourre avec ma grosse graine d’ours» (le Devoir, 25 août 2014, p. A3). La rime ne saurait mentir.

 

[Complément du 14 février 2016]

«Le chum à Chabot», le personnage créé par Fabien Cloutier, dans son spectacle Scotstown, choisit lui aussi our (DVD, 2015, 4e minute).

 

[Complément du 14 février 2016, bis]

Autre occurrence, en chanson cette fois, gracieuseté de @revi_redac : «On a essayé l’tunnel d’amour, fait noir comme dans l’cul d’un ours» (Richard Desjardins, «Kooloo Kooloo»).

 

[Complément du 12 février 2017]

Et vous, comment prononceriez-vous ceci : «Retour aux ours» (Autour d’Éva, p. 390) ?

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Cloutier, Fabien, Scotstown et Cranbourne, Montréal, TVA Films et Encore management, DVD, 2015.

Cubières de Palmézeaux, le Concours académique, ou le Triomphe des talents, dans Théâtre moral ou pièces dramatiques nouvelles, Paris, Belin, Veuve Duchesne et Bailli, 1784, tome premier, p. 197-327.

Grignon, Claude-Henri et Albert Chartier, Séraphin illustré, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p. Préface de Pierre Grignon. Dossier de Michel Viau.

Hamelin, Louis, Autour d’Éva. Roman, Montréal, Boréal, 2016, 418 p.

Du doigté

Sandra Gordon, les Corpuscules de Krause, 2010, couverture

Dans une de leurs chansons sur le hockey, «Salut mon Ron» (2002), Les Cowboys fringants prêtent cette déclaration à un des auditeurs de l’émission radiophonique les Amateurs de sport : «J’ai une question totchée pour toé mon Ron

Dans son roman les Corpuscules de Krause (2010), Sandra Gordon met la réplique suivante dans la bouche d’un de ses personnages : «Écoutez, madame, c’est totché ces affaires-là» (p. 13).

Touchy, totché : voilà qui est délicat. Jusque dans l’orthographe.

 

Références

Les Cowboys fringants, «Salut mon Ron», Break syndical, disque audionumérique, 2002, étiquette Disques de La Tribu, TRICD-7200.

Gordon, Sandra, les Corpuscules de Krause. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 237 p.