L’oreille tendue de… Primo Levi

Primo Levi, la Clé à molette, éd. de 2021, couverture

«La nouvelle était surprenante : dans tous ses autres récits, Faussone s’était efforcé de jouer les indifférents, l’homme peu porté aux aventures sentimentales, de se faire passer justement pour un de ces types “qui ne courent pas après les filles”, alors que celles-ci courent après eux. Après eux qui ne s’en occupent guère, qui prennent l’une ou l’autre sans trop leur accorder d’importance, qui la gardent le temps d’un chantier, et puis bonsoir ! Et ils s’en vont. Alors je suis devenu attentif, j’ai tendu l’oreille.»

Primo Levi, la Clé à molette, Paris, Robert Laffont, coll. «Pavillons poche», 2021, 284 p. Traduction de Roland Stragliati. Édition numérique.

Les religions du hockey

Cara Hedley, Twenty Miles, 2007, couverture

On aime beaucoup dire, au Québec, que le hockey y serait une religion.

Le premier à sérieusement réfléchir à cette association a été Olivier Bauer, d’abord en dirigeant, avec Jean-Marc Barreau, un ouvrage collectif, la Religion du Canadien de Montréal (2009), puis en publiant Une théologie du Canadien de Montréal (2011). Dans l’ouvrage de 2011, il concluait ceci :

la religion du Canadien m’apparaît comme une fausse religion qui vénère un mauvais dieu ou, s’il n’y a qu’un Dieu — ce que je crois —, qui l’adore d’une mauvaise façon. Ce qui, je ne me lasserai jamais de le répéter, ne prive pas le Canadien de tout caractère religieux. Car même une fausse religion est encore une religion (p. 126).

On aime aussi dire que cette religion hockeyistique serait propre au Québec. (S’agissant du hockey, l’Oreille tendue a pondu quelques lignes sur d’autres supposées caractéristiques propres à cette province; c’est ici.)

Comme toujours, les choses sont plus compliquées qu’elles ne le paraissent.

Ouvrons Twenty Miles (2007) de Cara Hedley :

I’ve always known about hockey being the Religion of Canadians. But what about the other side : the hockey atheists, the disbelievers, the half-believers ? I played, so I’d never thought to look in that direction. The ones sitting on the fence. Jacob made it sound like I was headed to Hell (p. 116).

S’il existe une religion du hockey, cela suppose la présence d’athées («atheists»), de mécréants («disbelievers»), de demi-croyants («half-believers»), d’indécis («The ones sitting on the fence») et de l’enfer («Hell»). On notera surtout que cette religion serait celle des Canadiens («the Religion of Canadians»), pas seulement celle des Québécois.

L’Oreille est désolée de s’en prendre une fois de plus à un mythe national.

 

Références

Bauer, Olivier et Jean-Marc Barreau (édit.), la Religion du Canadien de Montréal, Montréal, Fides, 2009, 182 p. Ill.

Bauer, Olivier, Une théologie du Canadien de Montréal, Montréal, Bayard Canada, coll. «Religions et société», 2011, 214 p. Ill.

Hedley, Cara, Twenty Miles, Toronto, Coach House Books, 2007, 205 p.

Melançon, Benoît, «Au Québec, c’est comme ça qu’on joue», le Devoir, 4 mars 2025.

Le zeugme du dimanche matin et de Philippe Manevy

Philippe Manevy, La colline qui travaille, 2024, couverture

«Ce qui a changé, c’est Cocotte elle-même, marquée par trois décennies d’un mariage malheureux, qui lui a laissé beaucoup de désillusions et deux enfants, dont Tony, le pilote, le casse-cou, le fils prodigue pour lequel elle tremble de crainte et de fierté»

Philippe Manevy, La colline qui travaille, Montréal, Leméac, 2024, 288 p. Édition numérique.

 

(Une définition du zeugme ? Par là.)

Accouplements 266

Don DeLillo et Sue Buck, Amazons, 1980 et Benoît Melançon, Bangkok, 2009, collage de couvertures

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

DeLillo, Don et Sue Buck, Amazons. An Intimate Memoir by the First Woman Ever to Play in the National Hockey League, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1980, 390 p. Sous le pseudonyme de Cleo Birdwell. https://archive.org/details/amazonsintimatem00deli/page/n5/mode/2up

«Our driver kept racing down side streets from one traffic jam to another» (p. 227).

Melançon, Benoît, Bangkok. Notes de voyage, Montréal, Del Busso éditeur, coll. «Passeport», 2009, 62 p. Quinze photographies en noir et blanc. https://doi.org/1866/32401

«Les rues de Bangkok sont bondées. Les feux sont interminables. Heureusement qu’il y a les autoroutes. Elles permettent de filer d’un bouchon à l’autre» (p. 16).

 

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté Amazons le 16 juin 2025.

Sagesse de puck

Jack Falla, Saved, 2007, couverture

Lire Saved (2007), de Jack Falla, pour ses qualités romanesques serait une erreur : c’est surcousu de fil blanc.

En revanche, il y a nombre de phrases parfaitement justes sur le monde du hockey, dans la bouche d’un narrateur gardien de but. Ci-dessous, un florilège (incomplet).

«Every shot is a snowflake. No two are alike» (p. 62).

«The first rule of life, love, and hockey is the same rule — you’ve got to play hurt» (p. 27).

«Goalies don’t see goals. We hear them» (p. 75).

«We’re [les gardiens] united in a brotherhood of apartness and fear» (p. 86).

«The family metaphor in pro sports is ridiculous. Family members don’t get cut, traded, waived, benched, or sent to the minors» (p. 93).

«The shelf life on loyalty to a goaltender is about twenty minutes or three goals, whichever comes first» (p. 129).

«In most businesses people get better as they age. But not in pro sports» (p. 171).

«In this game friendship lasts, allegiance doesn’t» (p. 206).

«A goalie coach is a head coach» (p. 243).

 

Référence

Falla, Jack, Saved. A Novel, New York, Thomas Dunne Books, St. Martin’s Press, 2007, ix/276 p.