La langue de Sainte-Foy, circa 1974

C’est comme ça que je t’aime, affiche, 2020

 

C’est comme ça que je t’aime est une série télévisée scato-policière écrite par François Létourneau et réalisée par Jean-François Rivard, diffusée au Québec en 2020.

Divertissante à souhait, la série, dont l’intrigue se déroule à Sainte-Foy en 1974, se caractérise, entre autres réussites, par un grand soin apporté au réalisme des décors, des costumes, de l’environnement sonore, du contexte politique et sportif. Tout cela a été traité, sans aucun doute, avec la plus grande attention.

Sur le plan linguistique, c’est également vrai, encore que l’Oreille tendue se soit interrogée à deux reprises sur la justesse du vocabulaire.

Dans le quatrième épisode («Un tapis pour glisser»), trois personnages discutent sur la scène d’un crime. Huguette, interprétée par Marilyn Castonguay, imagine ce que pourrait être son procès (elle vient de commettre son premier meurtre). Elle s’imagine en train de faire porter le chapeau à son mari, Gaétan (François Létourneau). Pourquoi aurait-il tué un collègue ? «Puis le soir de la fête pour le p’tit Simard, les fils se sont touchés, comme on pourrait dire.» Disait-on, dans la banlieue de Québec, en 1974, que «les fils se sont touchés» ? C’est une vraie question.

Durant l’épisode suivant («Je mange comme le coucou»), Gaétan emploie le mot «maltraitance». Or, selon le Petit Robert (édition numérique de 2018), ce mot daterait de… 1976. Une rapide recherche sur Google Books Ngram Viewer permet de voir qu’en fait le mot existait auparavant, mais qu’il était rarissime.

Occurrences du mot «maltraitance» selon Google Books Ngram Viewer

Comment a-t-il fait pour se retrouver si rapidement dans la bouche de personnages de la classe moyenne d’une banlieue québecquoise ?

Tant de questions, si peu d’heures.

P.-S.—Pendant que nous y sommes : l’apocope confess’ (pour confession), dans le contexte temporel de la série, a aussi étonné un brin l’Oreille.

Les Lumières dans l’ordre alphabétique

Dickinson, deuxième saison, cinquième épisode, détail (vue d’une bibliothèque)

La télévision est une chose étonnante. Elle a les moyens de parler de tout, y compris d’une poétesse dont on ne cesse de dire qu’elle est recluse, Emily Dickinson.

La série Dickinson a été lancée en 2019. Dans le cinquième épisode de la deuxième saison, «La saveur du fruit défendu» (2021), un écrivain cher à l’Oreille tendue est évoqué.

Devant une bibliothèque, livres de Dickens et de Diderot à la main, le journaliste Samuel Bowles explique à la jeune Emily quelle sera sa place dans l’histoire de la littérature : «C’est là que vous serez, vous, juste là, Emily Dickinson, vos livres, entre le maître de la modernité, et les Lumières. Qu’est-ce que vous en dites ?»

L’Oreille, qui devrait se réjouir, souffre néanmoins un peu : Dickinson ne paraît pas savoir qui est Diderot («Pas grave», dit Sam), alors qu’elle connaît Dickens.

Deux amours

Scène du film les Fausses Confidences de Luc Bondy (2016)

Vendredi dernier, sur la chaîne L’histoire nous le dira de Laurent Turcot, l’Oreille tendue présentait son dramaturge préféré, Marivaux.

Par la suite, sur Twitter, Luc Jodoin a écrit ceci :

 

Intriguée, l’Oreille est allée voir le film de Luc Bondy (2016), inspiré de sa mise en scène de 2014 des Fausses Confidences, avec la collaboration de Geoffrey Layton au scénario.

Personne ne lui avait dit qu’à la fin du film on entend un extrait de «All Through the Night», dans l’interprétation d’Ella Fitzgerald (The Cole Porter Songbook, 1956, vol. 1).

Marivaux et Ella : l’Oreille ne se peut plus.

P.-S.—Le film ? Charmant dans l’ensemble. Décors magnifiques : le film a été tourné à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, sauf pour une scène aux Jardins du Luxembourg, qui sont tout à côté. Intrigue plus emberlificotée à l’écran que dans le souvenir de l’Oreille. Une délicieuse Marton, jouée par Manon Combes. Une coupe de cheveux bien étrange, celle d’Yves Jacques interprétant Dubois. Plus d’amour que d’argent.

Faire voir Ella     

Ella Fitzgerald. Les sessions photographiques de Jean-Pierre Leloir, 2019, couverture

Jean-Pierre Leloir (1931-2010) était photographe. Accompagné de sa femme Arlette, il aimait saisir le monde du spectacle, notamment celui du jazz, particulièrement celui d’Ella Fitzgerald. Il conservait ses agendas et il classait avec soin ses photos; il y avait de l’archiviste en lui. Il aimait le noir et blanc, mais pas que.

Ses Sessions photographiques consacrées à la First Lady of Song et à ses musiciens, que rassemblent les éditions Glénat dans un album de grand format (27,5 cm par 33), sont splendides. Des années 1950 à novembre 1980, il a photographié Ella Fitzgerald dans ses tournées européennes, d’abord en France (Paris, Antibes Juan-les-Pins, Cannes, Grenoble, Nice). Prenez la photo de la page 115, au Théâtre des Champs-Élysées, le 20 mars 1965 : Fitzgerald porte une perruque blonde, pour honorer la mémoire de Dinah Washington (p. 58), les yeux fermés, la bouche ouverte, le visage couvert de sueur, le micro à bout de bras; c’est la même Ella Fitzgerald et une autre.

Certaines photos de Leloir seront reprises sur des pochettes, Ella & Duke at The Côte d’Azur (p. 138-139) ou Ella Fitzgerald. The First Lady of Song. Vol. I (p. 164-165). Le photographe savait s’approcher de ses sujets au plus près, qu’il s’agisse d’Ella Fitzgerald ou de Duke Ellington. L’album est précis, et rondement mené, sur la carrière de Fitzgerald; s’agissant de Leloir, le texte aurait pu être plus détaillé. On aurait aimé en savoir plus, devant un œil si pénétrant.

Le parcours proposé par Jean-Michel Boissier dans ses textes est chronologique, interrompu par de courtes proses explicatives : sur «La révolution du microsillon» (p. 22), sur le scat (p. 86), sur la différence entre l’oreille absolue et l’oreille relative («elle a l’oreille relative absolue», p. 172).

Le fan d’Ella Fitzgerald est ravi.

P.-S.—On doit aussi à Jean-Pierre Leloir des Sessions photographiques consacrées à Miles Davis (2018).

P.-P.-S.—Un esprit tatillon, l’Oreille tendue, par exemple, pourrait demander aux concepteurs de l’ouvrage si, page 69, la photo représente bel et bien Oscar Peterson. Le pianiste qu’on voit sur la photo n’est-il pas blanc, contrairement à Peterson ?

 

Référence

Ella Fitzgerald. Les sessions photographiques de Jean-Pierre Leloir, Grenoble, Glénat, 2019, 191 p. Textes de Jean-Michel Boissier. Préface de Marion Leloir.

Autopromotion 452

L’ami Laurent Turcot a sa chaîne sur YouTube, L’histoire nous le dira.

En 2018, l’Oreille tendue y a causé de Voltaire et du Canada, puis de Maurice Richard — c’est du hockey. Cette année, il y a été question du Siècle des lumières, en l’occurrence de l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert, de son livre Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue) et de Jackie Robinson.

Aujourd’hui, place à Ella Fitzgerald.

Pour ceux qui préfèrent l’écrit, c’est ici. La radio ? Par .

P.-S.—L’Oreille a aussi sa chaîne vidéo. Elle est bien plus modeste.

 

Référence

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.