Le principe de Dallas

Logo de la série House of Cards[Ô toi, lecteur obsessionnel du rapport de la commission Warren, tu peux passer ton chemin.]

Il y avait ce que l’on peut appeler le principe de Montgomery. On en trouve une définition dans une lettre du romancier Raymond Chandler à Alex Barris du 16 avril 1949 au sujet d’un film de Robert Montgomery :

…La technique œil-de-caméra dans Lady in the Lake, c’est un vieux truc à Hollywood. Tous les jeunes scénaristes et les jeunes metteurs en scène s’y sont essayés. «Faisons de la caméra un personnage»; à un moment ou à un autre, on a entendu ça à toutes les tables de Hollywood. J’ai connu un type qui voulait que la caméra soit l’assassin; et ça ne pourrait marcher qu’à condition de tricher énormément. La caméra est trop honnête (éd. française de 1970, p. 145).

Traduction par l’Oreille tendue : voilà un truc de scénariste en mal d’inspiration.

Il y a l’équivalent à la télévision : appelons cela le principe de Dallas.

Souvenez-vous. Le comédien Patrick Duffy, qui y tenait le rôle de Bobby Ewing, souhaite quitter la série Dallas au terme de la huitième saison (1984-1985); on fait donc mourir son personnage. On décide toutefois de le faire revenir quelques mois plus tard. Ça pose un problème de vraisemblance ? Si peu. Victoria Principal (qui joue Pamela Barnes Ewing) a rêvé tout cela. Bobby n’est jamais mort.

Traduction par l’Oreille tendue : un scénariste en mal d’inspiration peut toujours se rabattre sur l’onirisme.

On avait vu cela dans Six Feet Under, quand David James Fisher, joué par Michael C. Hall, s’était mis à délirer à la suite d’une agression. C’était grand-guignolesque.

On vient de le voir dans les premiers épisodes de la quatrième saison de la série House of Cards : inconscient, le personnage de Frank Underwood (Kevin Spacey) se met à imaginer une réalité parallèle, ou plusieurs.

Quand le principe de Dallas se manifeste, c’est généralement mauvais signe pour une série.

 

Référence

Chandler, Raymond, Lettres, Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 794, 1970, 309 p. Traduction de Michel Doury. Préface de Philippe Labro.

Un peu de neuf du côté d’Ella

Ella Fitgerald Sings the Duke Ellington Song Book, Verve, 1957, pochette

(C’était en 2013 : l’Oreille tendue consacrait une série de dix textes à Ella Fitzgerald, «Tombeau d’Ella». Ajout ci-dessous.)

Un professeur d’école secondaire du New Jersey, David W. Niven, était passionné de jazz. Son héritage est désormais disponible en ligne : 1000 heures de musique enregistrées sur cassettes, de 1921 à 1991, pour 637 gigaoctets — à écouter gratuitement. Cela s’appelle The David W. Niven Collection of Early Jazz Legends, 1921-1991.

Sur la deuxième face de la 64e cassette, on trouve six chansons d’Ella Fitzegald enregistrées du 24 au 26 juin 1957 à New York, avec l’orchestre de Duke Ellington, en vue de l’album Ella Fitgerald Sings the Duke Ellington Song Book (Verve, 1957) :

«Take the A-Train»

«Day Dream»

«[I’m] Just a Lucky So & So»

«Everything But You»

«I Got It Bad [and That Ain’t Good]»

«Drop Me Off in Harlem»

L’Oreille tendue se régale, d’autant que certaines interprétations («[I’m] Just a Lucky So & So», «Drop Me Off in Harlem») ne paraissent pas avoir été reprises sur d’autres albums d’Ella Fitzgerald. Merci, M. Niven («Ella does it so well»).

Décorons avec Ella

Meuble audio Ella Fitzgerald

C’était en 2013 : l’Oreille tendue consacrait une série de dix textes à Ella Fitzgerald, «Tombeau d’Ella». Depuis, elle se dit qu’elle devrait y revenir.

À défaut de le faire, elle pourrait revoir sa décoration intérieure. C’est le site Tom’s Style qui le lui fait penser : «“Ella” est le premier-né du mobilier Søbel créé par Digizik. Entre tradition et modernité, il s’agit d’un meuble audio vintage et connecté qui se veut un clin d’œil à la célèbre chanteuse Ella Fitzgerald.»

«Entre tradition et modernité» ? Un meuble «qui se veut» ? Ella ? L’Oreille n’en demandait pas tant.

 

[Complément du 8 octobre 2017]

Peut-on y brancher les écouteurs Ella ?

Écouteurs Ella, de chez Blue

Accouplements 25

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Dans la série télévisée britannique The Fall, l’inspectrice Stella Gibson (jouée par Gillian Anderson) se rend sur la scène d’un crime. Devant des collègues, elle se présente à un policier en lui donnant le nom de son hôtel et son numéro de chambre. Il répondra à l’invitation. Message bien reçu. (Premier épisode de la première saison.)

Dans la série télévisée états-unienne Mad Men, le personnage principal, Don Draper (joué par Jon Hamm), est assis dans un restaurant d’hôtel avec des publicitaires qui essaient de le recruter. Une femme s’approche de leur table, fait semblant de reconnaître Draper et lui donne son numéro de chambre. On ne saura jamais s’il a répondu à l’invitation. Message pourtant bien reçu. (Troisième épisode de la septième saison.)

Les situations sont identiques : il s’agit pour une femme, en public, de faire les premiers pas pour se trouver un partenaire sexuel. Leur sens est pourtant radicalement différent.

Dans The Fall, une femme affiche son désir; c’est un signe d’égalité (revendiquée) entre les partenaires. (Plus tard dans la série, ce désir portera sur un autre policier et sur une pathologiste.) L’attention est tournée vers elle.

Dans Mad Men, c’est aussi une femme qui affiche son désir, mais celui-ci reste subordonné à celui d’un homme. Ce n’est pas la première fois, en effet, que Don Draper, ce personnage mené par sa queue, est présenté comme un aimant pour le désir féminin. L’attention est tournée vers lui. Soit la cliente du restaurant ne peut pas résister à son charme, soit c’est une prostituée (malgré les dénégations des publicitaires). L’alternative est édifiante.