Érotisme de la langue de puck

«Sexy Sport Hockey», Lady Death, 25, 2013, couverture

Sur la glace, parfois, c’est chaud.

Le commentateur Yvon Pedneault aimait dire qu’un joueur allait se blottir derrière un adversaire, ce qui faisait du hockey une activité bien intime.

Les défenseurs n’hésitent pas à envoyer les joueurs de l’autre équipe embrasser la baie vitrée.

On plaint le gardien de but qui a une faiblesse entre les jambes.

Ce n’est pas moins émoustillant dans les représentations culturelles du hockey.

Bertha, le personnage de Fridolinons 45 de Gratien Gélinas, se prépare pour le «Bal des Facteurs» : «C’est moi qui “score” tantôt […]» (éd. de 1980, p. 82).

En 1951, Jeanne d’Arc Charlebois met en chanson le conflit des désirs entre Maurice Le Rocket Richard et ses admiratrices :

Toutes les femmes de la province
De Gaspé jusqu’à Longue-Pointe
Envahissent le Forum
Pour venir voir jouer leur homme
Y en a qui donneraient leur vie
Rien qu’pour un p’tit bec de lui
Maurice les embrasserait bien
Mais y aime mieux rentrer des points

(«Maurice Richard», 1951, 2 minutes 32 secondes, disque 78 tours, étiquette Maple Leaf 5018A, paroles d’Yvon Dupuis, musique de Jean «Johnny» Laurendeau)

Neuf ans plus tard, Les Jérolas chanteront le même conflit, mais pour un autre joueur, Jean Béliveau :

Quand i passe su’l’bord d’la bande
Les filles se mettrent à crier
«Viens icitte mon petit ange on va-ti ben t’embrasser»
À la vitesse d’un train Jean Béliveau s’en revient
Il les embrasserait ben
Mais i aime ben mieux compter des points

(«La chanson du hockey», 1960, 2 minutes 41 secondes, disque 45 tours, étiquette RCA Victor 57-5491, composition de Jean Lapointe)

Revenons à Maurice Richard, avec Denise Filiatrault, en 1957. Son héroïne veut entrer au Forum de Montréal voir son joueur favori :

J’suis énervée
J’suis excitée
Je veux m’enrouer
À force de crier

Rock’n’roll Rocket Rocket
Rock’n’roll Rocket Rocket

(«Rocket Rock and Roll», 1957, 2 minutes 37 secondes, disque 45 tours et disque 78 tours, étiquette Alouette CF 45-758)

Le désir n’est pas que féminin dans les chansons consacrées au hockey :

Les joueurs sont rendus des hommes d’affaires
Faudrait leur faire peur dans l’vestiaire
Envoyer dins douches André Boisclair

(Réal Béland, «Hockey bottine», Réal Béland Live in Pologne, 2007, 4 minutes, disque audionumérique, étiquette Christal Musik CMCD9954)

Vous préférez la poésie ? En 1990, Michel Bujold publiait l’Amour en prolongation. Poésies hérotiques.

Vous aimez parler cru ? Il y a les plottes à puck.

À chacun ses fantasmes.

P.-S.—En 2019, ici même, il était question de l’érotisation, par des hommes, de Richard, le célèbre numéro 9 des Canadiens de Montréal.

 

Références

Bujold, Michel, l’Amour en prolongation. Poésies hérotiques, Montréal, Éditions d’Orphée, 1990, s.p.

Gélinas, Gratien, les Fridolinades 1945 et 1946, Montréal, Quinze, 1980, 265 p. Ill. Présentation par Laurent Mailhot. Réédition : les Fridolinades, Montréal, Typo, 2014. Anthologie préparée par Anne-Marie Sicotte.

Melançon, Benoît, «Chanter les Canadiens de Montréal», dans Jean-François Diana (édit.), Spectacles sportifs, dispositifs d’écriture, Nancy, Questions de communication, série «Actes», 19, 2013, p. 81-92. https://doi.org/1866/28751

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Édition revue et augmentée, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 159 p. Préface d’Olivier Niquet. Illustrations de Julien Del Busso.

Melançon, Benoît, Langue de puck, édition revue et augmentée de 2024, couverture

Quelques ajouts au lexique numérique

Boîte de câbles informatiques

Les GAFAM ne vous plaisent pas ? Tournez-vous vers l’alternumérisme (radical).

Dans quel monde vivons-nous ? Réponse d’Adrien Tallent : «Formé de algo, apocope d’algorithme, et du suffixe -cratie (qui vient du grec kratos, le pouvoir), algocratie est un terme qui émerge depuis quelques années pour désigner le nouveau système politique dans lequel nous serions entrés.»

Vous souhaitez pimenter vos ébats ? Les choix ne manquent pas : érobotique («Agents conversationnels, robots sexuels, réalité virtuelle : l’érobotique se manifeste à travers une variété d’interfaces et de relations, de la simple amitié à l’amour profond», dixit la Presse+ du 14 mai 2023), botsexualité («L’avantage d’une relation “botsexuelle” est qu’elle tient dans la poche de son pantalon et qu’on peut lui donner la forme de son choix», avance coquinement le Devoir du 15 avril 2023), swouple («on nous promet que ce nouveau mot qui est une contraction de “swiping” et “couple” va entrer dans l’imaginaire collectif pour désigner “les couples qui ont fait connaissance par l’intermédiaire d’une application de rencontre”, écrit Olivier Niquet, qui a cependant «des doutes là-dessus»).

Vous voulez que vos enfants, qu’ils le sachent ou non, soient le plus rapidement possible sur le Web ? Vous êtes un adepte du sharenting.

Vous préférez cultiver la terre ? France Culture a repéré, et décrie, les termes ageekulteur et de digiferme.

Internet, au contraire, vous rend malade ? Peut-être êtes-vous seulement cybercondriaque.

Ça se soigne.

Les mystères de la conception expliqués aux enfants et au XVIIIe siècle

Mouhy, Mémoires d’Anne-Marie de Moras, éd. de 2006, couverture

Le chevalier de Mouhy (1701-1784) est un prolifique auteur du Siècle des lumières. La première édition de son roman Mémoires d’Anne-Marie de Moras paraît en 1739.

On y trouve un échange entre deux personnes du sexe, l’une âgée de dix ans, l’autre, de treize.

La première s’interroge :

Je conçois bien que le mariage unit un cavalier avec une demoiselle; que ces deux personnes vivent ensemble étroitement si l’inclination est mutuelle, qu’il provient de cette union des enfants, qui portent le nom de l’époux; mais je ne conçois pas comment tout cela se fait (éd. de 2006, p. 53).

La seconde répond :

Ne vous souvenez-vous pas d’avoir vu faire des bouteilles [des bulles] de savon aux petites filles ? […] Hé bien, continua Julie, voilà le secret que vous me demandez. […] Le brin de paille par lequel on souffle l’eau de savon, la bouteille qui est d’abord petite, et puis qui s’enfle peu à peu. Voilà l’énigme. Ne m’en demandez pas davantage; on ne m’en a pas plus appris, et vous m’interrogeriez vainement (éd. de 2006, p. 55).

Voilà : vous savez tout.

P.-S.—Il y a des façons plus crues de dire la même chose.

 

Référence

Mouhy, Mémoires d’Anne-Marie de Moras. Roman, Paris, Desjonquères, coll. «XVIIIe siècle», 2006, 232 p. Version de 1769. Texte établi, annoté et postfacé par René Démoris.

Néologie de la chose

Si l’on en croit le quotidien la Presse, le sexe serait, depuis quelques années, «extrême» (19 octobre 2005, cahier Arts et spectacles, p. 4; 10 février 2009, cahier Arts et spectacles, p. 5; 30-31 octobre 2010, p. A1). Or, à sexe extrême, vocabulaire nécessairement nouveau. Devant pareille inventivité, l’Oreille tendue va de surprise en surprise.

Elle a déjà croisé le métrosexuel, le datasexuel, le technosexuel, le rétrosexuel, le végésexuel, le sapiosexuel, le blogosexuel, le bibliosexuel, l’allosexuel (ou l’altersexuel), l’autosexuel, le spornosexuel et le lumbersexuel, sans compter la couguar, le sextage et la transphobie.

Elle croit n’avoir rencontré l’intersexe qu’une seule fois, sur Twitter. Pédoprédateur ? Cela l’étonne moins.

Quelques années après tout le monde, elle vient de découvrir, chez Alice Michaud-Lapointe, dans Titre de transport (2014), un verbe qu’elle ne connaissait pas :

Chewing Gum Fraise a retenti à travers les hauts-parleurs du van. Pour ne pas briser la tradition, nous avons hurlé notre partie préférée de la chanson : «Sens mon doigt, quelle odeur ! Non ce n’est pas du beurre, c’est que j’ai doigté ta sœur !» (p. 108)

Elle ne l’a cependant jamais entendu de son oreille entendu, pas plus que faire du sexe, qu’une de ses lectrices lui définissait ainsi, il y a jadis naguère : «Sexualité adolescente. Faire ça sans complètement faire ça.»

Ce qui est vrai en français l’est aussi, bien évidemment, en anglais. Les alcooliques sont trop portés sur la bouteille (alcoholic); les travailleurs, sur le travail (workaholic); les chauds lapins, sur la fesse (assaholic, écrit le biographe de Steve Jobs, Walter Isaacson, pour parler de quelqu’un d’autre). On ne sache pas qu’il existe des consommateurs excessifs de Sexcereal, mais on pourrait se tromper.

Si certaines expressions sont plus faciles à traduire que d’autres, il en est qui posent problème. Pour fuck friend, l’Oreille avait repéré, en 2004, dans son Dictionnaire québécois instantané, ami de cul. Elle fournissait même un exemple (p. 18) :

L’ami(e) de cul est un(e) ami(e) avec lequel on ne fait que s’envoyer en l’air, sportivement et sans aucun sentimentalisme. On s’entend bien avec son ami de cul (la Presse, 5 octobre 2002).

Sur Twitter, plus récemment, @revi_redac s’étonnait d’une autre traduction, ami-e santé. Un petit tour sur Google le confirme : ça existe. Ça n’en étonne pas moins.

 

[Complément du 5 mai 2015]

Dès 2008, la Presse parlait du gastrosexuel : «Selon la définition établie par les Britanniques, le gastrosexuel est un homme célibataire âgé entre 25 et 44 ans, curieux, passionné par la cuisine, séducteur, instruit, qui aime voyager et qui a un emploi.» Merci à @JulienLefortF pour le lien.

 

Références

Isaacson, Walter, Steve Jobs, New York, Simon & Schuster, 2011. Édition numérique.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Michaud-Lapointe, Alice, Titre de transport, Montréal, Héliotrope, coll. «K», 2014, 206 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture