«Je leur dirais : “Madame, voyons donc à quoi nous en sommes; faut-il vous reconduire ? Ne m’en empêchez donc point, et ne perdons pas notre temps et notre poumon.”»
Mme de Sévigné à Mme de Grignan, lettre du 8 avril 1671, dans madame de Sévigné, Lettres, introduction, chronologie, notes et archives par Bernard Raffalli, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «GF», 282, 1976, 448 p., p. 95.
Cahiers internationaux de sociolinguistique, 20, 2022. Dossier «Langues minorées : des décisions de justice et de leurs effets. L’exemple de la loi Molac (France 2021) et de ses suites», sous la direction d’Eguzki Urteaga et Philippe Blanchet.
Dürrenmatt, Jacques, Frédéric Duval, Gilles Siouffi et Agnès Steuckardt, Chronologie de l’histoire de la langue française, Paris, Bescherelle, coll. «Bescherelle culture – Chronologies», 2022, 320 p.
Langage et société, 176, 2022, 176 p. Dossier «Quand les animaux participent à l’interaction sociale. Repenser le “tour de parole”», sous la direction de Chloé Mondémé.
Langue française, 214, juin 2022. Dossier «L’esprit encyclopédique moderne en France entre 1690 et 1902», sous la direction de Denis Vigier.
Lexique, 29, 2021. Dossier «Les phraséologismes pragmatiques. Préfabrication et lexiculture», sous la direction de Gaétane Dostie et Dorota Sikora.
Semen, 50, 2, 2022. Dossier «Le langage engagé. Perspectives politiques critiques en sciences sociales du langage», sous la direction de Richard Guedj, Manon Him-Aquilli et Sandra Nossik.
Selon le Petit Robert (édition numérique de 2018), une somme est une «Œuvre qui résume toutes les connaissances relatives à une science, à un sujet». On pourrait dès lors s’attendre à ce qu’il s’agisse d’un texte monumental. Pourtant, la Relation de voyage en Amérique (XVIe-XVIIIe siècles), de Réal Ouellet (1935-2022), ne compte que 138 pages d’analyse et c’est une somme.
Réal Ouellet était un des spécialistes les plus réputés du récit de voyage; d’abord centrées sur le XVIIIe siècle en Nouvelle-France, ses recherches s’étaient progressivement étendues historiquement — vers les XVIe et XVIIe siècles — et géographiquement — vers les Antilles. Sa bibliographie comporte autant des éditions de texte (Champlain, Sagard, Leclercq, Exquemelin, Pelleprat, Bouton, Saugrain, Lahontan, etc.) que des travaux critiques fondamentaux (articles, chapitres de livres, ouvrages collectifs, etc.).
La Relation de voyage en Amérique «reprend et réorganise» des études parues sur deux décennies (p. 7). Le corpus est étendu, avec quelques œuvres auxquelles Ouellet revient souvent, celles de Jean de Léry, de Jacques Cartier, de Paul Lejeune («peu suspect de sympathie envers les Amérindiens», p. 105), de Robert Challe, de Lahontan («relateur atypique», p. 46), de Bougainville. Les exemples sont frappants et judicieusement choisis. Les lectures sont minutieuses et toujours collées sur les textes : figures de rhétorique (prétérition, hyperbole), système pronominal (qui parle ?), types de citations, appartenances génériques (mémoires, journal, lettre, carnet), procédés d’écriture (comparaison, énumération) — voilà de l’analyse de texte à son meilleur.
La structure de l’ensemble est particulièrement claire. La «perspective globalisante d’une poétique de la relation de voyage» (p. 57) ici défendue repose sur une prise de position clairement posée et indiscutablement utile. Toute relation de voyage exige, dans des proportions variables, trois gestes : narrer (chapitre III), décrire (IV), commenter (V). Dans les deux premiers chapitres, Ouellet expose la nature duelle du «pacte viatique» («cautionner une action colonisatrice et […] légitimer une écriture», p. 9), puis réfléchit au passage «du voyage à l’écriture» (quels genres pratiquer ?). Les deux derniers portent sur les mécanismes de la «parole rapportée» et sur la mise en scène du «sujet scripteur». La conclusion démonte avec brio les rapports du fictionnel et de la relation de voyage : quoi qu’elle puisse affirmer à ce sujet, celle-ci «revendique une place dans l’espace littéraire, formellement et thématiquement, par l’apologie qu’elle fait du plaisir d’écrire et de lire» (p. 133).
Les textes abordés sont anciens, mais souvent rapportés à des pratiques modernes (le cinéma) et à des auteurs du XXe siècle (Saint-Exupéry, Michel Butor, Thomas Mann, Alain Robbe-Grillet). Réal Ouellet était aussi écrivain : les échos entre l’étude de 2010 et un roman de 1996, l’Aventurier du hasard, sont nombreux. Des remarques sont étonnantes et fécondes : beaucoup de récits de voyage, par exemple, racontent des échecs, plus que des réussites, notamment sur le plan du «travail apostolique» (p. 102).
De la bien belle ouvrage, qui servira longtemps.
P.-S.—Les mots retenus par Ouellet en 2010 pour désigner les Autochtones et les esclaves noirs sont ceux que l’on a trop longtemps utilisés et que l’on essaie, de plus en plus, d’éviter aujourd’hui. On peut se demander s’il les emploierait encore en 2022.
Ouellet, Réal, la Relation de voyage en Amérique (XVIe-XVIIIe siècles). Au carrefour des genres, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, «Collections de la République des lettres», série «Études», 2010, 165 p. Réédition : Paris, Hermann, «Collections de la République des lettres», série «Études», 2015, 165 p.
En tant que propriétaire de tortue, j’aimerais rectifier un fait. Jean de La Fontaine était su’a poff. C’est pas vrai que c’est lent, une tortue. Ça peut être prime en estik, une tortue.
Pour un non-Québécois, ce message pourra paraître sibyllin. Voyons voir.
«Su’à poff» ? Poff désigne, dans le français populaire du Québec, une bouffée. On l’imagine ici de weed ou de weed, ce qui expliquerait l’erreur de l’auteur des Fables. L’Oreille tendue avoue toutefois s’aventurer en territoire peu connu pour elle.
«Prime» ? Caractéristique de la personne, voire de l’animal, qui fonce. Définition du «Vocabulaire» à la fin du roman le Survenant : «vif, fougueux, qui part le premier en tout» (éd. de 1954, p. 246).
Lire rend heureux. Quels sont les livres lus ou relus, parmi plusieurs autres, qui ont rendu l’Oreille tendue heureuse en 2021 ?
Par ordre alphabétique…
Bernard, Catherine, Laodamie, reine d’Épire et Brutus, dans Aurore Evain, Perry Gethner et Henriette Goldwyn (édit.), Théâtre de femmes de l’Ancien Régime. 3. XVIIe-XVIIIe siècle, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, coll. «La cité des dames», 8, 2011, p. 33-105 et p. 107-182. Éditions originales : 1689 et 1691.
Bouchard, Serge, Un café avec Marie, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2021, 270 p.
Boudreault, Simon, Je suis un produit, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2021, 157 p.
Grégoire, Julien, Jeux d’eau. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2021, 212 p.
Grisé, François, Tout inclus. Tome 1, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 26, 2021, 122 p. Ill. Précédé d’un «Mot des dramaturges» et suivi de «Contrepoint. La ruée vers l’or gris : risques et rentabilité» par Anne Plourde.
Guèvremont, Germaine, le Survenant. Roman, Paris, Plon, 1954, 246 p. Suivi d’un «Vocabulaire». Édition originale : 1945.
Hoedt, Arnaud et Jérôme Piron, Le français n’existe pas, Paris, Le Robert, 2020, 158 p. Préface d’Alex Vizorek. Illustrations de Xavier Gorce.
Le Tellier, Hervé, Toutes les familles heureuses, Paris, JC Lattès, coll. «Le livre de poche», 36181, 2021, 189 p. Ill. Édition originale : 2017.
Marivaux, la Fausse Suivante ou Le fourbe puni, dans Théâtre complet. Tome premier, Paris, Bordas, coll. «Classiques Garnier», 1989, p. 395-471 et p. 1066-1073. Texte établi, avec introduction, chronologie, commentaire, index et glossaire par Frédéric Deloffre. Nouvelle édition, revue et mise à jour avec la collaboration de Françoise Rubellin. Édition originale : 1724.
Ravey, Yves, Adultère. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2021, 140 p.
Thomas, Chantal, De sable et de neige, Paris, Mercure de France, coll. «Traits et portraits», 2021, 199 p. Avec des photos d’Allen S. Weiss.
Turgeon, David, l’Inexistence. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 156, 2021, 219 p.
Verne, Jules, le Pays des fourrures. Le Canada de Jules Verne — I, Paris, Classiques Garnier, coll. «Bibliothèque du XIXe siècle», 77, 2020, 549 p. Ill. Édition critique par Guillaume Pinson et Maxime Prévost. Édition originale : 1872-1873.