L’oreille tendue de… Pierre Lemaitre

Pierre Lemaitre, Un avenir radieux, 2025, couverture

«Joseph s’était blotti sur elle mais il ne ronronnait pas comme à l’accoutumée. Il se leva, s’avança jusqu’à la porte et lorsque Colette l’eut entrouverte, il fit quelques pas prudents sur le palier et s’arrêta. Colette le suivit. À travers les barreaux de l’escalier, tous deux voyaient, en bas, dans le salon, les silhouettes de papi et mamie. Ils chuchotaient. Colette tendit l’oreille.»

«Colette mesura du regard la longueur qui la séparait du molosse qui aboyait comme un fou, les babines retroussées. Elle s’avança jusqu’à se trouver à moins d’un mètre de lui, ça le rendit dingue, le chien, mais il se calma d’un coup quand elle lui lança des morceaux de sucre. Il se tut, on entendit de nouveau les bruits de la route, les voitures, un tracteur pas loin, elle tendit l’oreille.»

Pierre Lemaitre, Un avenir radieux. Roman, Paris, Calmann-Levy, 2025, 592 p. Édition numérique.

 

P.-S.—Comme l’a noté Luc Jodoin, l’incipit du roman comporte aussi une oreille tendue.

L’oreille tendue de… Alain-Fournier

Alain-Fournier, le Grand Meaulnes, éd. de 1972, couverture

«À neuf heures, nous nous disposions à monter nous coucher; ma mère avait déjà la lampe à la main, lorsque nous entendîmes très nettement deux grands coups lancés à toute volée dans le portail, à l’autre bout de la cour. Elle replaça la lampe sur la table et nous restâmes tous debout, aux aguets, l’oreille tendue.»

Alain-Fournier, le Grand Meaulnes, Paris, Fayard, coll. «Le livre de poche», 1000, 1972, 318 p., p. 119. Édition originale : 1913.

L’oreille tendue de… Blaise Cendrars

Cendrars, Bourlinguer, éd. de 1966, couverture

«Aux atterrages de Naples, comme convenu, le cher Domenico me cacha dans le poste désert, me dissimulant dans sa couchette, et, pour que la petite bosse que je formais sous la couverture ne se remarquât pas, il jeta par-dessus suroît et maillots sales, comme s’il venait de changer de tenue, et, avant de sortir, il ajouta encore au tas la guitare de l’unijambiste. Je ne pouvais pas bouger, et c’est le cœur battant et l’oreille tendue que j’entendis le tambour du cabestan se dérouler avec fracas juste au-dessus de ma tête, une ancre tomber à l’eau, des coups de sirène et de sifflet, des cris et des appels, le chuintement des vedettes à vapeur des autorités du port qui accostaient le navire, le tapage des treuils, puis les colloques et les longs marchandages des bateliers qui venaient embarquer les passagers car à cette époque lointaine un transatlantique du tonnage de l’Italia n’allait pas encore à quai; puis, à deux ou trois reprises, et je ne sais pas au bout de combien de temps car le temps me paraissait terriblement long, il me sembla que l’on m’appelait par mon nom, mais je suffoquais et m’endormis, asphyxié par l’odeur des pieds du géant et les émanations pharmaceutiques des onguents et des liquides dont il faisait un si furieux usage et qui imprégnaient sa couchette.»

Blaise Cendrars, Bourlinguer, Paris, Denoël, coll. «Le livre de poche», 437-438, 1966, 440 p., p. 27-28. Édition originale : 1948.

L’oreille tendue de… Jean-François Vilar

Autrement, 111, janvier 1990, couverture

«Réunir ces “guides”, historiques ou littéraires, purement anecdotiques parfois, prend du temps. Aucun, en lui-même, n’est satisfaisant, vraiment complet. C’est pour cela qu’il faut flâner, avant, feuilleter beaucoup, prendre des notes, tendre l’oreille.»

Jean-François Vilar, «Paris énigmes», Autrement, série «Mutations», 111, janvier 1990, p. 19-21, p. 20.

P.-S.—Jean-François Vilar ? À votre service.

L’oreille tendue de… Tonino Benacquista

Tonino Benacquista, Tiré de faits irréels, 2025, couverture

«Et en effet, Bertrand, animé d’une joie malsaine, saisit au vol une coupe sur un plateau et l’avala d’un trait pour étancher une trop longue soif. Et il comprit soudain où il était tombé. Dans les Limbes ! Il visitait les Limbes, en vrai, en dur, peuplés de personnages de chair et d’os, les Limbes, suspendus entre jour et nuit, entre réel et fiction, et où l’on célébrait bien plus l’idée de littérature que la littérature elle-même. Il tendit l’oreille quand alentour on causait belles lettres, comme à l’ancienne.»

Tonino Benacquista, Tiré de faits irréels. Roman, Paris, Gallimard, coll. «Blanche», 2025, 192 p. Édition numérique.