Mais

Dany Boudreault, Corps célestes, 2020, couverture

Elle s’appelle Hélène, mais elle a choisi le prénom de Lili, comme dans un des romans pour enfants écrits par sa mère, la Petite Lili.

Elle a été actrice, mais elle est devenue réalisatrice — dans la pornographie, son film le plus populaire s’intitulant Corps célestes (p. 207).

Elle n’a pas vu sa sœur, Flo, depuis quinze ans, mais les circonstances familiales forcent leur rencontre.

Elle a manifestement de mauvaises relations avec sa mère, Anita, mais elle doit en prendre soin («il arrive ce moment où nous devons laver le sexe de nos mères», p. 223) et elles finiront par enfin se parler.

Elle a couché une fois, il y a longtemps, avec James, le compagnon de sa sœur, mais ces deux-là forment dorénavant un couple.

Elle est la tante d’Isaac, le fils de James et Flo, mais leur rapprochement n’aura pas les effets escomptés.

Isaac est né avant le 11-septembre, mais pas ses parents.

James est revenu de la guerre, mais ce ranger n’est pas intact.

Flo, James, Isaac et Anita vivent dans la nature, mais une nature dont certains animaux avaient disparu, par exemple les orignaux.

Ils se croyaient seuls, mais ils ne le sont pas («il arrivera ce moment où les gens sortiront de la forêt, James / il faudra un fusil», p. 219).

James et Hélène / Lili prépareront le café, mais cela vaudra pour autre chose.

Ça se déroule au Canada, mais dans un Canada dystopique, en guerre («le nord du Canada / demeure le théâtre des affrontements / front sino-russe», p. 34).

C’est du théâtre, mais l’univers du cinéma est partout présent, notamment dans les apartés d’Hélène / Lili («de concombres / gros plan mains sales / terre sous les ongles», p. 148).

C’est en français, mais il y a plusieurs répliques, parfois longues, en anglais, dites par James (et traduites en fin d’ouvrage).

C’est une histoire de famille, donc ça va mal se finir.

 

Référence

Boudreault, Dany, Corps célestes. Théâtre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 140, 2020, 264 p.

Accouplements 145

Portrait de Tennessee Williams à 54 ans, Wikipédia

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Pendant les matchs de hockey, le concessionnaire d’automobiles et de camions Paillé aime vanter la puissance de ses véhicules. Un camion, par exemple, tire plusieurs remorques. Sur l’une d’elles, on trouve une embarcation lacustre : «Un ponton nommé Désir.»

Dans le Devoir des 18 et 19 janvier, en titre : «Un sujet nommé désir» (le D Magazine, p. 4).

La postérité de Tennessee Williams est assurée.

 

[Complément du 25 février 2020]

France Culture frappe plus fort, sur Twitter :

 

[Complément du 25 août 2022]

Tous les Québecquois ne s’entendent pas sur la présence d’un tramway dans leur ville. Les préposés aux titres s’en donnent à cœur joie, note @ThomasOSP.

Titres de presse contenant des jeux de mots sur un titre de Tennessee Williams

L’oreille tendue de… Laurence Dauphinais

Aalaapi, 2019, couverture

«Je vous remercie de prendre le temps à votre tour de vous pencher sur ces voix trop peu entendues dans l’étendue de leur complexité. Et je vous invite à ne jamais vous lasser de tendre l’oreille. Ce projet m’aura appris que c’est en écoutant les autres que l’on apprend à vivre autrement» (Laurence Dauphinais, p. 11).

Le collectif Aalaapi, Aalaapi. Faire silence pour entendre quelque chose de beau, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 21, 2019, 103 p. Ill. Précédé d’un «Mot de la metteuse en scène», Laurence Dauphinais. Suivi de «Contrepoint. Un désir de voix», par Marie-Laurence Rancourt. D’après une idée originale de Laurence Dauphinais et Marie-Laurence Rancourt.

110 %

Guillaume Corbeil, le Meilleur des mondes, 2019, couverture

Il est évidemment arrivé à l’Oreille tendue d’évoquer l’expression «110 %» : c’était le 1er décembre 2010 («Tout juste s’il ne nous dit pas qu’il a donné son 110 %, qu’il travaillait fort dans les coins et que la puck roulait pas pour lui», Voir, 29 mars 2001) et le 4 juin 2013 («J’donne mon 110 %», Zéphyr Artillerie, «Scotty Bowman», chanson, Chicago, 2008).

On le voit : cette expression venue de la langue de puck a migré dans la langue courante. La personne qui donne son 110 % n’économise pas ses efforts, bien au contraire.

Guillaume Corbeil l’utilise à trois occasions dans le Meilleur des mondes, son allègre adaptation théâtrale du roman Brave New World d’Aldous Huxley (1932).

Elle apparaît dans une des capsules de l’«Hypnopédie», cette machine qui vise à conditionner les humains de la dystopie d’Huxley / Corbeil : «Au travail, je donne toujours / mon cent dix pour cent» (p. 88). Le message est bien reçu par Bernard, qui, pour se défendre des accusations portées contre lui, reprend deux fois l’expression à son compte (p. 92, p. 195).

Avoir donné son 110 % lui suffira-t-il pour éviter l’exil ? (Le dramaturge, lui, a donné le sien.)

P.-S.—Oui, une célèbre émission de télévision a eu 110 % pour titre.

P.-P.-S.—Oui, l’Oreille avait apprécié une pièce précédente de Guillaume Corbeil, Unité modèle.

 

Références

Corbeil, Guillaume, le Meilleur des mondes. D’après Aldous Huxley. Théâtre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 139, 2019, 238 p.

Corbeil, Guillaume, Unité modèle, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 07, 2016, 109 p. Ill.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Scotty B.

Arsène et Girerd, On a volé la coupe Stanley, 1975, p. 13, détail

Ken Dryden, l’ancien gardien de but des Canadiens de Montréal — c’est du hockey — publie ces jours-ci une biographie de son ancien entraîneur, Scotty Bowman, Scotty. A Hockey Life Like no Other / Scotty. Une vie de hockey d’exception.

Quelle est la place de Scotty Bowman dans la culture québécoise ? Éléments de réponse ci-dessous.

Jean Lapointe et le groupe Zéphyr Artillerie lui ont consacré des chansons. Le premier, dans «Scotty Blues» (Démaquillé, 1976), le dépeint souffrant dans la défaite : «Scotty fut déçu le Canadien a perdu / Y a pas été fin en changeant d’gardien / Y laisse les meilleurs su’l’banc / Y change ses lignes trop souvent / Pis après la game y pleure / Scotty pleure-nous ton Blues». Le second, dans «Scotty Bowman» (Chicago, 2008), s’adresse aussi à lui, mais pour lui demander des conseils existentiels : «J’ai besoin d’toé pour coacher ma vie»; «Comment c’qu’on fait pour pogner des femmes ?» Quand Loco Locass chante «Le but» (Le Québec est mort, vive le Québec, 2012), on entend «Oublie pas les anglos yo / Toe, Dickie, Doug et Scotty», pour désigner Toe Blake, Dickie Moore, Dick Harvey et notre Scotty.

Les bédéistes l’apprécient et on peut suivre sa carrière avec eux. Le Scotty Bowman qui dirige, avec Sam Pollock, le Canadien junior de Hull-Ottawa et remporte la Coupe Memorial de 1958 est évoqué par Marc Beaudet et Luc Boily (Gangs de rue. Les Rouges contre les Bleus, 2011, p. 25). En 1975, il entraîne les Canadiens et, dans un discours à Pierre Bouchard, Bob Gainey et Henri Richard, il mêle le français et l’anglais, et son gardien, Ken Dryden, lui répond en latin (On a volé la coupe Stanley, p. 13). Chez les frères Mickey et Keir Cutler (The Glory Boys, 1979), il est représenté deux fois, d’abord comme un entraîneur sans pitié avec ses joueurs, ensuite assis sur un buffle, au moment où il quitte Montréal pour les Sabres de Buffalo : «Scotty’s last stand

Les romanciers, à l’exception de Danielle Boulianne (2017, p. 112), paraissent s’être assez peu intéressés à Bowman. «Le meneur» par excellence d’une équipe de hockey, selon le poète Bernard Pozier, aurait ses «astuces» (1991, p. 34). Pour le dramaturge Rick Salutin, dans les Canadiens, voilà un entraîneur confronté à une rare difficulté : son club ne perd presque jamais (1977, p. 159). Comment, dès lors, parler aux joueurs ? Comment les convaincre de faire des efforts quand ils affrontent une équipe beaucoup plus faible que la leur ?

J.R. Plante, deux ans plus tôt, publie une analyse idéologique des relations de travail dans le monde du hockey. Laissé de côté par Scotty Bowman lors du premier match de la saison 1974, Henri Richard, le frère de Maurice, annonce sa retraite avant de revenir sur sa décision après une intervention de Sam Pollock, le directeur général des Canadiens. Dans l’article, qui repose sur une analyse du discours de presse, la répartition des rôles est lourdement orientée politiquement : Henri est un persécuté, comme son frère («ce vainqueur est en même temps un vaincu», p. 50), et la victime francophone innocente; Bowman est «le petit contremaître anglophone médiocre, sournois et peureux» (p. 46); Pollock est «le grand boss paternel et paternaliste» (p. 46).

On verra sous peu où Ken Dryden se situe sur tous ces plans.

 

[Complément du 5 novembre 2019]

L’Oreille tendue a rendu compte du plus récent livre de Ken Dryden ici.

 

Références

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p. Premier et unique épisode des «Enquêtes de Berri et Demontigny». Bande dessinée.

Beaudet, Marc et Luc Boily, Gangs de rue. Les Rouges contre les Bleus, Brossard, Un monde différent, 2011, 49 p. Bande dessinée.

Boulianne, Danielle, Laflamme et le flambeau. Tome 9 de Bienvenue à Rocketville, L’île Bizard, Éditions du Phœnix, coll. «Œil-de-chat», 78, 2017, 211 p. Illustrations de Jocelyne Bouchard.

Cutler, Mickey et Keir, The Glory Boys, Montréal, Toundra Books, 1979, s.p. Parution initiale dans le journal The Gazette.

Dryden, Ken, Scotty. A Hockey Life Like no Other, Toronto, McClelland & Stewart, 2019, viii/383 p. Ill. Traduction : Scotty. Une vie de hockey d’exception, Montréal, Éditions de l’Homme, 2019, 439 p. Préface de Robert Charlebois.

Plante, J.R., «Crime et châtiment au Forum (Un mythe à l’œuvre et à l’épreuve)», Stratégie, 10, hiver 1975, p. 41-65.

Pozier, Bernard, Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991. 84 p. Ill. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.

Salutin, Rick, avec la collaboration de Ken Dryden, les Canadiens, Vancouver, Talonbooks, 1977, 186 p. Ill.