Désaltérer Bouddha

Maison des Esprits, Cha Am, Thaïlande, 7 juin 1999

L’Oreille tendue, pour des raisons familiales, a séjourné deux fois en Thaïlande. Elle en a rapporté un petit livre, Bangkok, paru en 2009. À l’entrée Wat, elle y écrivait ceci :

Il y a les wats, temples bouddhistes que l’on croise partout. Il y a les maisons des Esprits, ces petits autels publics ou domestiques qui se cachent dans les endroits les plus inattendus. La divinité y est vénérée, dans l’odeur de l’encens, entourée d’offrandes bien de ce monde : colliers de fleurs (des soucis), animaux sculptés, fruits, verres d’eau ou de lait (dans un pays où en boit si peu), animaux sculptés — voire bouteilles de Fanta ou de Coke. Ces bouteilles étonnent à peine moins que le soin qu’on a eu d’y glisser une paille (p. 50).

Lisant The Bangkok Asset, le polar / roman de science-fiction / texte gore de John Burdett (2015), elle se rend compte qu’elle n’avait pas rêvé : les boissons offertes sont diverses. La preuve ? Deux citations.

«I love the way you take care of your house gods», I said, taking out my wallet. «Please let me buy a few garlands of lotus buds to help out.» I took out a thousand-bath note, held it between my palms while I stood up and stepped out of the cabin to wai the two statues. I tucked the money under a can of Nescafé that someone had given as an offering that morning.

In Bangkok that kind of money buys four thousand square feet of habitable area including maid’s quarters with a plunge pool on the terrace, guards at the gate who cut sharp salutes and click their heels Prussian style, and a house god who lives in a small palace atop a stone column and looks in four directions at once. To judge from the offerings as we passed him on the driveway he was partial to oranges, bananas, and Pepsi-Cola.

Eau, lait, Fanta, Coke, Nescafé, Pepsi-Cola : les dieux ont soif.

 

[Complément du 25 mars 2019]

S’il faut en croire le Jo Nesbø du roman les Cafards, les dieux ne seraient pas insensibles non plus à la nicotine :

Il poursuivit vers l’endroit où ils s’étaient tapis dans l’herbe, la veille, en tapant bien fort des pieds pour ne pas arriver à l’improviste sur un quelconque rampant, et il s’arrêta près de la maison à esprits. Un petit Bouddha souriant avec un ventre tout rond y trônait en compagnie de quelques fleurs fanées dans un vase, quatre cigarettes avec filtre et quelques bougies consumées (éd. de 2015, p. 722).

«Avec filtre», notons-le.

 

[Complément du 15 juin 2020]

Ce titre, dans le New York Times du 13 juin 2020 : «In Every Corner of Bangkok, Spirits Need a Home and Maybe a Strawberry Fanta.» Du Fanta, certes et encore, mais à la fraise.

 

Références

Burdett, John, The Bangkok Asset. A Royal Thai Detective Novel, New York, Alfred A. Knopf, 2015. Édition numérique.

Melançon, Benoît, Bangkok. Notes de voyage, Montréal, Del Busso éditeur, coll. «Passeport», 2009, 62 p. Quinze photographies en noir et blanc.

Nesbø, Jo, les Cafards, dans l’Inspecteur Harry Hole. L’intégrale I, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 770, 2015, p. 397-795. Traduction d’Alex Fouillet. Édition originale : 2003.

 

Benoît Melançon, Bangkok, 2009, couverture

Divergences transatlantiques 054

L’espion qui m’a larguée / dompée, affiches, 2018

The Spy Who Dumped Me (2018) est une comédie d’espionnage réalisée par Susanna Fogel. La version diffusée en France s’intitule L’espion qui m’a larguée. Au Québec, on a choisi le titre L’espion qui m’a dompée.

Deux questions simples. Quelqu’un pense-t-il vraiment que les Québécois francophones ne comprennent pas le verbe larguer et qu’il faut donc lui substituer une variante locale, d’un niveau plus populaire (domper, de l’anglais to dump) ? Fallait-il vraiment remplacer l’accroche «Elles vont gérer grave !» par un calque de l’anglais, «Elles sont en charge» ?

L’Oreille tendue préfère ne pas avoir de réponse à ces questions.

 

[Complément du 15 août 2018]

Dans un ordre d’idées proche, les éditions Tête[première] lancent ces jours-ci l’ouvrage collectif Larguer les amours. Domper les amours aurait moins bien sonné.

Les vacances, c’est du travail (2/2)

[Première partie ici.]

Qui a dit que la rhétorique antique, avec ses trois notions centrales, se perdait ?

Ethos, pathos, logos : État de New-York, juillet 2018

Pour s’en tenir à la partie de gauche de cette photo, prise dans l’État de New York en juillet 2018, l’Oreille avoue néanmoins s’interroger sur le signe mathématique (=) qui donne à penser qu’ethos, pathos et logos seraient dans un rapport d’équivalence. C’est un brin plus compliqué que cela.


Au début de ses vacances, l’Oreille était dans Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne. Par la suite, elle est passée à l’excellent Lambeau de Philippe Lançon, le récit autobiographique de ce survivant de l’attentat de Charlie hebdo en 2015. Trouver un lien entre les deux œuvres ? Bien sûr.

Je m’étais attaché à une chambre où j’avais tant vécu et survécu — où un mois avait pesé autant qu’une vie. Ce lieu était devenu mon royaume et mon sous-marin. Je n’avais ni sujets ni équipage, mais Louis XIV et le capitaine Nemo, c’était moi. Louis XIV surtout, car si comme Nemo j’avais embarqué dans mon aventure un équipage restreint d’amis, je n’avais pas comme lui déclaré la guerre à l’humanité. Je cherchais au contraire, plus que jamais, ici, à lui déclarer la paix (le Lambeau, p. 318).


Confession : il arrive à l’Oreille de passer un certain temps sans écouter «Radar Love» (Golden Earring, 1973). Qu’on se rassure : elle y revient toujours, surtout au volant.


Pionne un jour, pionne toujours.

 


Les dindons sauvages et les lièvres, dans le jardin, au petit matin, c’est mignon. Les nombreux phoques, près de la berge, c’est impressionnant. La moufette qui passe à l’attaque, en pleine nuit, à côté de la fenêtre de la chambre à coucher, non merci.


À la Hemingway, genre : «For sale : baby shoes, never worn

Pierre tombale, Harwich (Massachusetts), juillet 2018


Vieillesse ? Méforme ? Moustiques ? Cette année, çe sera 18 trous, et non 36. Mais avec une victoire à la clé.

Mini-golf (Massachusetts), juillet 2018


«Tu te souviens de l’adresse ? Il me semble qu’il y a un 8 dedans.»

Adresse, Harwich (Massachussets), juillet 2018


Les vacances, c’est aussi le jingle. L’Oreille, devant ce tweet, a en immédiatement improvisé / modifié un.

Accrochez-vous bien :

Dring, dring, dring,
Que désirez-vous ?
Proust, Proust, Proust,
Saint-Hubert BBQ.

(Explication ici et .)


La serveuse états-unienne se demande si nous voulons un verre d’eau supplémentaire. «No, we’re fine.» Son enthouisiasme nous étonne un brin : «Awesome.» Pas Colin Marshall : «Students of the English language who come to the United States must prepare themselves for just how badly Americans have debased its words : great, awesome, and even perfect, to name just three, now carry no particular connotation there but of a vague, undifferentiated, and often surprisingly mild positivity


Interrogation finale, dégotée chez le Notulographe (livraison servie le 5 août 2018) : «Et où passer de meilleures vacances que chez soi ?»


Références

Lançon, Philippe, le Lambeau, Paris, Gallimard, 2018, 509 p.

Marshall, Colin, «The Useless French Language and Why We Learn It», Los Angeles Review of Books, 2 août 2018.

L’oreille tendue de… Dani Sinclair

Dani Sinclair, Un bébé à protéger, 2009, couverture«Tout avait commencé la semaine dernière, lorsqu’elle avait surpris une conversation entre deux de ses frères. Elle n’avait pas l’intention de les espionner, mais quand Mike, le policier, avait appris à Edward, le juge, qu’un réseau organisant des adoptions illégales de nourrissons allait prochainement échanger un bébé contre de l’argent dans la petite bourgade de Bitterwater, elle avait tendu l’oreille. Et au moment où Mike avait ajouté avec regret qu’il n’avait pas assez d’hommes pour effectuer une surveillance constante des endroits susceptibles de servir de théâtre à l’opération, Jane s’était dit que c’était la chance de sa vie.»

Dani Sinclair, Un bébé à protéger suivi de Mallory Kane, Retour à Dusty Springs, Paris, Harlequin, coll. «Black rose», 2009, chapitre 1.