Merci

Les occasions de se réjouir linguistiquement ne sont pas aussi fréquentes qu’on le souhaiterait. En voici une; saisissons-la.

Montréal, juillet 2010, mise en garde

Pas Sois prudent, ce qui n’aurait étonné personne au Québec. Pas Soyez prudents, ce qui aurait eu valeur collective. Pas Soyez prudent(e)s, ce qui aurait été politiquement correct. Soyez prudent : c’est bien à une personne qu’on s’adresse, à vous — «Ô Passant, soyez prudent.»

Ce vouvoiement singulier ravit l’Oreille tendue.

Voyage dans le temps

L’Oreille tendue est entrée, il y a un certain temps déjà, dans son second demi-siècle. L’autre jour, un garçon à peine dans son premier quart de siècle retient la porte de l’ascenseur et lui crie «T’embarques-tu ?». Ça aurait pu la rajeunir. Ça ne l’a pas fait.

Hésitation pronominale

Il entre dans un bar pour la première fois, regarde la serveuse, en tombe amoureux. Il ne sait comment l’interpeller. Il lui dit : «Je vous aime.» Elle lui répond : «Tu peux me dire tu», puis se détourne de lui et va servir un autre client.

Résolution du nouvel an

L’Oreille tendue ne prend pas de résolution du nouvel an, mais cela ne l’empêche pas d’en suggérer aux autres, par exemple aux dirigeants du secteur radio de la Société Radio-Canada. La voici : que l’on y étouffe dans l’œuf la pratique du tutoiement en ondes.

Pendant longtemps, le tutoiement a été absent de la langue radio-canadienne, à l’exception bien évidemment des dramatiques et, parfois, des émissions sportives (l’élégance des hockeyeurs devant les micros est inégalement répartie). Ce choix est parfaitement illustré les fins de semaine quand les Garneau, Richard et Stéphane, le père et le fils, se vouvoient en ondes, alors qu’on peut croire que ce n’est pas le cas le reste du temps. C’est la tradition à la SRC : la distance, la politesse — le vouvoiement.

Depuis quelque temps, ça se gâte. La semaine dernière, pipolisation oblige, Catherine Perrin et Isabelle Boulay n’avaient que le tu à la bouche, de même que Patrick Masbourian et un de ses collaborateurs. Le cas le plus extrême est celui de Dominique Poirier, dont le passage de la chaîne télévisée d’information continue RDI à la radio de la Première chaîne de Radio-Canada s’est accompagné d’une montée en flèche de la deuxième personne du singulier. À l’écouter, on a l’impression que son émission est enregistrée dans sa cuisine.

On s’étonne devant pareille transformation de la langue à la SRC. Sans être le sanctuaire de la correction linguistique que l’on imagine chez certains, c’était malgré tout un lieu où l’on était tenu à un certain nombre de règles, dont le refus de la familiarité. Contrairement au pompiste, à la caissière ou à quelques-uns des étudiants de l’Oreille, on savait, chez les annonceurs de Radio-Canada, qu’on ne tutoie pas tout le monde en tout temps. Cela est-il en train de changer ?

Il est vrai que l’on ne devrait peut-être plus s’étonner de rien d’une société d’État qui nous permet de tout savoir des érections de Paolo Noël.