Il y a du pour et il y a du contre

Oulipo, C’est un métier d’homme. Autoportraits d’hommes et de femmes au repos, 2010, couverture

Vous lisez, de l’Oulipo, C’est un métier d’homme. Autoportraits d’hommes et de femmes au repos (2010).

Dans le premier texte, «Autoportrait du descendeur», Paul Fournel écrit, s’agissant de ski : «Les Canadiens sont arrivés sur le cirque avec la réputation de “crazy canaks” […]» (p. 12). Ce qui vous tient lieu de fibre canadienne nationale vous pousse à vous insurger. On ne doit pas confondre les «Canadiens fous à ski» (les «Crazy Canucks») et ces hybrides, qu’on imagine malgré tout de la Nouvelle-Calédonie, qui ne seraient ni tout à fait canaques ni absolument kanaks.

Puis, presque à l’autre bout du livre, Michèle Audin brosse l’«Autoportrait de la femme en quiétude» : «Les Canadiennes sont arrivées dans l’arène avec la réputation de “crazy canes à queue” […]» (p. 122). Vous êtes étonné, mais vous ne vous insurgez pas. Ne vaut-il pas mieux imaginer des «crazy canes à queue» que des «crazy canaks» ?

 

Référence

Oulipo, C’est un métier d’homme. Autoportraits d’hommes et de femmes au repos, Paris, Mille et une nuits, 2010, 138 p.

Autoportrait, sans camion, avec poésie

 François Blais, Document 1, 2012, couverture

«Je suis plutôt anguleuse et j’ai l’air bête, une combinaison qui, pour une raison ou pour une autre, semble attirer les types intelligents, angoissés et ennuyeux. On ne m’embaucherait jamais comme modèle pour un calendrier de truckers, mais je pourrais faire des ravages dans les soirées de poésie» (p. 54).

François Blais, Document 1. Roman, Québec, L’instant même, 2012, 179 p.

Portrait sanguin du jour

Marcel Schwob, Vies imaginaires, 2011, couverture

«[…] Guillemette, la plus heureuse, saucissière, ayant un petit visage cramoisi qui reluisait comme s’il eût été frotté avec du sang frais de porc.»

Marcel Schwob, «Katherine la dentellière, fille amoureuse», dans Vies imaginaires, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Classiques», 2011. Édition numérique. Édition originale : 1896.

La langue des machines

Walter Isaacson, Steve Jobs, 2011, couverture

L’Oreille tendue est en train de lire la biographie de Steve Jobs par Walter Isaacson (2011). Deux portraits y sont contrastés, et frappants par leur rapport aux machines.

Daniel Kottke, le meilleur ami de Jobs du temps où il étudiait (ce mot n’est probablement pas le meilleur) à Reed College, «was smart but low-octane». Malin («smart»), quoi, mais pas intense («low-octane»).

Robert Friedland, en revanche, projetait «a high-wattage aura». Il n’était peut-être pas plus allumé que Kottke, mais il en donnait l’impression.

Pour l’un, c’est affaire d’électricité («watt»). Pour l’autre, d’automobile, donc d’essence («octane») — littéralement et dans tous les sens.

P.-S. — Même registre électrique pour Jobs lui-même et sa «tendency to resemble high-voltage alternating current». Autrement dit, on ne savait jamais quand il allait péter les plombs.

 

Référence

Isaacson, Walter, Steve Jobs, New York, Simon & Schuster, 2011. Édition numérique.

Histoire(s) de cheveu(x)

Ceci, dans la 37e livraison de la série (à lire et à suivre) «autobiographie des objets» de François Bon : «Dans la vitrine du coiffeur Barré, son propre instrument : l’accordéon. Il donnait aussi des cours, et participait à un orchestre de bal, deux vies qui nous étaient inconnues, hors de portée des clients du coiffeur aux gestes lents, aux favoris précis, à la calvitie lissée.»

Cette «calvitie lissée» — l’Oreille tendue n’est pas insensible aux histoires de cheveux, voire de cheveu — lui rappelle qu’elle a, dans les entrailles de son Mac (la majuscule est importante), un fichier de citations postchevelues.

Extraits (rubrique «Série noire»)

Kaminsky, Stuart M., Judy et ses nabots, Paris, Gallimard, coll. «Super noire», 121, 1978, 246 p. Traduction de Simone Hilling. Édition originale : 1977.

«La cinquantaine, un visage rond et une petite bouche un peu molle. Il a le nez droit et porte des lunettes rondes en écaille. Son crâne se déplume et ses cheveux sont clairsemés, mais il les ramène en avant sur la gauche, pour combattre le désert laissé par le temps» (p. 156-157).

Kaminsky, Stuart M., Chico, banco, bobo, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 1755, 1979, 213 p. Traduction de Simone Hilling. Édition originale : 1978.

«Costello avançait, courbé, les bras tendus comme un lutteur. L’Anglais avançait, très droit, bras droit tendu. Il s’écarta de la trajectoire de Costello et voulut le saisir aux cheveux. Mais Costello n’en avait pas» (p. 95).

Kaminsky, Stuart M., Dracula fait maigre, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 1831, 1981, 249 p. Traduction de Simone Hilling. Édition originale : 1980.

«Rouse avait dans les soixante ans, un ventre énorme, des dents et des cheveux en nombre à peu près égal, soit six. En salopette et chemise de finette, il mastiquait énergiquement» (p. 133).

Kaminsky, Stuart M., Un clown en cage, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 1894, 1982, 247 p. Traduction de Simone Hilling.

«Le sommet de son crâne était presque chauve, et j’eus l’impression de pouvoir y lire le passé, mais pas l’avenir» (p. 138).

Benjamin, Paul [pseudonyme de Paul Auster], Fausse balle, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 2295, 1992, 278 p. Traduction de Lili Sztajn. Édition originale : 1982.

«Le soleil ne s’engouffrait pas à flots à travers les deux fenêtres grillagées percées dans le mur est; elles n’avaient pas vu de chiffon depuis le jour où Monsieur propre était devenu chauve et je gardais le plafonnier allumé à toute heure» (p. 23).