L’art du portrait sportivo-allusif

Haruki Murakami, 1Q84, 2012, vol. 2, couverture

«Ten minutes later, his father’s doctor appeared, drying his hands with a towel. Flecks of white were beginning to appear among the stiff hairs of his head. He was probably around fifty. He was not wearing a white jacket, as if he had just completed some task. Instead he wore a gray sweatshirt, matching gray sweatpants, and an old pair of jogging shoes. He was well built and looked less like a doctor than a college sports coach who had never been able to rise past Division II

Haruki Murakami, 1Q84, Anchor Canada, 2012, 3 vol., 1157 p., vol. 2, p. 720. Traduction de Jay Rubin (vol. 1 et 2) et de Philip Gabriel (vol. 3). Édition originale : 2009-2010.

Bref lexique québécois de l’imbibition

Tout le monde le dit : quand il fait chaud, il faut beaucoup boire.

Il peut toutefois arriver que l’on boive trop. Au Québec, cela se dit de plusieurs façons, au-delà des expressions du français hexagonal (bourré, paf, pompette, soûl, etc.).

Le buveur qui a cédé à l’excès peut y être en boisson (l’expression paraît ancienne), rond comme une bine (cette bine n’est pas la bine), paqueté (pas comme un club), parti, chaud. Il prend une brosse.

Un degré de moins et il est chaudasse ou gorlot (autre orthographe possible : gueurlot). Gorlot, il aura la gueule de bois.

Un degré de plus et celui qui prend un coup aura arrêté de lire ce texte avant d’être arrivé à la fin.

 

[Complément du 19 août 2013]

Un article du Devoir sur le dictionnaire en ligne Usito (10-11 août 2013, p. B2) rappelle l’existence de l’expression se paqueter la fraise. Dont acte.

 

[Complément du 11 septembre 2019]

À côté de chaudasse, on trouve chaudaille, notamment dans Querelle de Roberval (2018), de Kevin Lambert (p. 70, p. 108).

 

[Complément du 11 août 2020]

Dialogue entre une Française et un Québécois, dans la Trajectoire des confettis, de Marie-Ève Thuot (2019) :

«—Louis, tu m’écoutes ? Tu t’es pris une sacrée murge, dis donc.
— Une quoi ?
— Tu t’es bourré la gueule.
— Ah… Ici on dirait se soûler la face. Ou se paqueter la fraise. Ou virer une brosse. Ou…
— Comme tu veux. Pour moi, tu t’es bourré la gueule» (p. 77).

 

[Complément du 11 janvier 2021]

À côté de pompette, chaudaille et garleau, ajout du jour : «Ti-guedaille : Expression saguenéenne et jeannoise. Se dit d’une personne chaude qui a le vin gai» (J’ai bu, p. 98).

 

[Complément du 28 janvier 2021]

Dans quelques jours commencera le Défi 28 jours sans alcool. Il ne faudra pas confondre brosse et brosse.

Publicité pour le Défi 28 jours sans alcool

 

[Complément du 30 juillet 2022]

Il est une expression que l’Oreille tendue ignorait jusqu’à la lecture de Là où je me terre, de Caroline Dawson : «Derrière nous, les yeux écarquillés par la scène qui se jouait devant lui, il y avait un monsieur, encore un peu cocktail de son verre de vino dans l’avion, qui revenait paisiblement d’un voyage d’affaires» (p. 24). Être cocktail : c’est noté.

 

[Complément du 23 août 2022]

Trois ajouts, venus du roman la Bête creuse de Christophe Bernard (2017) : à l’opposé de celui qui «tient la boisson» (p. 209), il y a celui qui est «garlot» (p. 96) ou «chaudette» (p. 473).

 

[Complément du 26 février 2023]

Chaud comment ? Réponse de Kevin Lambert dans Que notre joie demeure (2023) : «chaud comme un poêle» (p. 82).

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Dawson, Caroline, Là où je me terre. Roman, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2022, 201 p. Édition originale : 2020.

Lambert, Kevin, Querelle de Roberval. Fiction syndicale, Montréal, Héliotrope, 2018, 277 p.

Lambert, Kevin, Que notre joie demeure, Montréal, Héliotrope, 2022, 381 p.

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.

Thuot, Marie-Ève, la Trajectoire des confettis. Roman, Montréal, Les Herbes rouges, 2019, 615 p.

L’Oreille sort

Une fois n’est pas coutume : l’Oreille tendue est allée au concert ce samedi.

Dans le cadre du Festival international de jazz de Montréal, elle y a applaudi le Soweto Gospel Choir, à la Maison symphonique, la «chapelle» de l’Orchestre symphonique de Montréal, dixit André Ménard, le directeur artistique du FIJM.

Ils sont vingt sur scène, accompagnés par deux tambours et, à l’occasion, par un piano électrique et dirigés par un maître de chœur. Souvent, ils sifflent ou lancent des cris qui rappellent ceux des oiseaux. La rythmique est physique : ils tapent dans leurs mains, ils cognent le sol de leurs pieds. Ils sont ensemble depuis dix ans : la mécanique est parfaitement réglée.

La plupart du temps, les femmes sont en costumes traditionnels, dont un qui devrait, par ses couleurs, ravir les partisans des ex-Nordiques de Québec — c’est du hockey. Les hommes portent de petites vestes sans manche aux couleurs pas moins vives que celles des costumes féminins.

Leur répertoire ? Les chants de leur église, de la musique zouloue, quelques succès contemporains («Like a Bridge over Troubled Water», «Arms of an Angel»), des chansons faites pour que le public se lève et mêle sa voix à la leur («Pata Pata», «Amen», «Oh Happy Day», en rappel). Le chant domine, mais on danse aussi : des danses traditionnelles, des danses de combat, du breakdance, du gumboot.

À divers moments du spectacle, la troupe se scinde et se recompose en unités plus petites, à l’avant-scène. Il arrive alors qu’on passe du duo à la joute musicale et corporelle. L’interprétation d’une chanson par les hommes seuls est suivie de l’interprétation de la même chanson par les femmes seules («Nice try, boys»). On échange et on s’oppose, avant de toujours se réconcilier.

L’actualité étant ce qu’elle est, un sobre hommage a été rendu au «père de la nation» («the father of the nation»), Nelson Mandela, par une seule pièce, une «chanson de liberté» («a liberty song»).

L’Oreille doit se rendre à l’évidence : une voix humaine, c’est bien; des voix mêlées, leur harmonie, cela l’émeut, sans qu’elle puisse endiguer cette émotion. Le chœur, en musique, c’est la communauté de la beauté.

Nelson Mandela et le Soweto Gospel Choir

Illustration : Peter Ellis, signature de Nelson Mandela entourée de celles de membres du Soweto Gospel Choir, photo déposée sur Wikimedia Commons

Pucks en stock. Bande dessinée et sport

L’Oreille tendue et son ami Michel Porret lancent un appel à contributions pour un ouvrage collectif sur le sport et la bande dessinée. Description ci-dessous. Avis aux intéressés.

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Ce volume collectif s’inscrit dans une réflexion d’histoire culturelle sur la bande dessinée surtout francophone, mais pas exclusivement, afin de tenir compte d’autres traditions, notamment européennes. Il vise à rassembler des contributions inédites (35 000-40 000 signes, espaces compris) et illustrées sur les rapports entre la bande dessinée et le sport. Sans se limiter à étudier les formes du sport que représente d’une manière assez systématique la bande dessinée (boxe, course automobile, cyclisme, football, tennis, hockey, etc.), les contributions s’intéresseront aussi de manière thématique transversale à la construction de l’imaginaire du sport dans la figuration narrative.

Les pratiques sportives mises en image correspondent-elles ou non avec les pratiques sociales dominantes du sport à des périodes déterminées, par exemple les pratiques démocratiques du sport de masse après la Seconde Guerre mondiale ? Le sport donne-t-il sens à l’héroïsme individuel comme support narratif de l’aventure, à la manière, entre autres narrations, de la bande dessinée sur le scoutisme ? Est-il une métaphore politique du fascisme représenté en BD ? Souvent d’obédience catholique en Belgique et en France, adressée à un public d’adolescent, la bande dessinée utilise-t-elle le sport pour véhiculer l’adhésion aux règles morales du jeu social ? Qu’en est-il de la biographie de «grands sportifs» dans la bande dessinée, de même que des grands événements sportifs (Tour de France, jeux Olympiques, etc.) ? Voilà quelques pistes parmi d’autres pour exploiter la mise en image et en bulles du sport et de son imaginaire dans la bande dessinée francophone depuis le début du XXe siècle.

Ce volume est coordonné par Benoît Melançon (Département des littératures de langue française, Université de Montréal) et par Michel Porret (Département d’histoire, Université de Genève). Il paraîtra en 2014.

Les propositions d’articles doivent être adressées avant le 21 juillet 2013 avant le 15 septembre 2013 aux deux coordonnateurs, par courriel : benoit.melancon@umontreal.ca et Michel.Porret@unige.ch. Elles doivent compter environ 250 mots (titre provisoire, corpus, hypothèse de lecture).

 

[Complément du 28 juin 2016]

L’ouvrage a paru : Pucks en stock. Bande dessinée et sport, ouvrage collectif dirigé par Benoît Melançon et Michel Porret, Chêne-Bourg (Suisse), Georg, coll. «L’Équinoxe. Collection de sciences humaines», 2016, 270 p. Ill. ISBN : 978-2-8257-1041-8. (34 CHF)

Table des matières ici.

Pucks en stock, 2016, couverture

L’oreille publicitaire

Maison Corbeil mène une campagne publicitaire sur le thème «L’accent québécois». On peut lire ce slogan sur des affiches le long des routes et dans un encart publicitaire distribué dans le journal la Presse, où il est développé.

Théoriquement, d’abord :

Maison Corbeil est fière de vous proposer ce qui se fait de plus beau et de plus séduisant dans le monde du design.
Pour souligner la créativité québécoise, nous vous présentons notre collection de meubles conçus et fabriqués dans notre belle province.

Pratiquement, ensuite. Sur une double page grand format (55 cm de largeur par 54 cm de hauteur), sous le titre «Pure laine», avec fond de décor moderne épuré, les concepteurs ont choisi onze expressions de la langue parlée au Québec (en majuscules, en bleu foncé) et les ont accompagnées de leur équivalent en français hexagonal (dans une police plus petite, en bleu très pale). Dans l’ensemble, les équivalents sont bien choisis.

Parmi ces expressions, quatre ont été recensées par l’Oreille tendue.

Mouiller à sciaux / Pleuvoir à verse, en grande abondance

Ne pas niaiser avec la puck / Agir rapidement

Être gorlot / Être ivre

Guidoune / Personne habillée de façon provocante

Changer quatre trente sous pour une piastre / Changer une situation pour n’y voir aucun avantage

Attache ta tuque avec de la broche / Sois prêt à affronter des difficultés

Gosser / Bricoler ou taper sur les nerfs

Écornifler / Fouiner

Accouche qu’on baptise / Dépêche-toi

Avoir de la broue dans le toupet / Être débordé

Être habillé comme la chienne à Jacques / Être vêtu de mauvais goût

Page suivante, cette illustration de souche.

Maison Corbeil, publicité, 2013

En dernière page est annoncée la création du «nouvel espace la fabricq entièrement consacré aux produits créés et fabriqués au Québec».

Du travail bien fait, avec humour.