Accouplements 222

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Lol. Qui rira le dernier, Prime, publicité, 2023

Diderot, Denis, le Neveu de Rameau, Genève, Droz, coll. «Textes littéraires français», 37, 1977, xcv/329 p. Édition critique avec notes et lexique par Jean Fabre.

«[Lui. —] Mais il est cinq heures et demie. J’entends la cloche qui sonne les vepres de l’abbé de Canaye et les miennes. Adieu, Mr le philosophe. N’est-il pas vrai que je suis toujours le meme ?

Moi. — Helas ! oui, malheureusement.

Lui. — Que j’aie ce malheur la seulement encore une quarantaine d’années. Rira bien qui rira le dernier» (p. 109).

Qu’est-ce que la mondialisation ?

Bouteille d’eau Ecogreen, Florence, décembre 2023

L’Oreille tendue rentrait la semaine dernière d’un voyage en Italie. Elle a rapporté quelques notes de ce séjour. Les premières sont des éléments de réponse à la question «Qu’est-ce que la mondialisation ?»

C’est entendre un Norvégien hurler «tabarnak» dans une pizzéria de Milan.

C’est se faire demander, à Florence et à Rome, «Are you from Africa ?» — avant de comprendre que c’est une façon d’appâter le passant pour lui fourguer quelque marchandise inutile ou frelatée.

C’est regarder un épisode de la série télévisée états-unienne Get Smart en italien à Sienne.

C’est se faire proposer, toujours à Sienne, mais en anglais, d’écrire au père Noël.

Boîte aux lettres, «Letters to Santa Only !», Sienne, décembre 2023

C’est suivre un match de la NFL en allemand à Rome.

C’est, encore à Rome, avoir la possibilité de visiter, en «fast track» ou pas, après avoir acheté ses billets au «ticket office» ou «on line», le «Christmas World». (Non, merci.)

Christmas World, Rome, 2023

C’est s’offrir, encore et toujours à Rome, un Simenon en français à la gare.

Les frontières du monde ne sont plus ce qu’elles étaient.

Pudibonderie télévisuelle

Message télévisuel : «Désolé, Je ne peux pas traiter cette requête avec ce genre de langage.»

L’Oreille tendue peut donner des commandes vocales à sa télévision.

Elle apprécie aussi beaucoup les sacres (les jurons).

Elle ne peut pas, cependant, marier ces deux choses. Quand elle dicte des gros mots à son appareil, celui-ci refuse de lui répondre : «Désolé, Je ne peux pas traiter cette requête avec ce genre de langage.»

Elle en est un peu marrie.

Langue de balle. Troisième manche

Jacques Poulin, Chat sauvage, 1998, couverture

(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Troisième texte d’une série.)

 

«Une vingtaine de pages plus loin, toutefois, il fut de nouveau question de baseball. Une petite phrase me fit sursauter :

C’était la prise quatre.

J’étais atterré. Comme des millions d’amateurs de sport en Amérique, je savais très bien que le nombre de prises, au baseball, était limité à trois. Je refermai le roman, éteignis la veilleuse et me remis à la fenêtre. Le regard perdu dans la nuit, je me mis à penser aux nombreux traducteurs qui vivaient en France, de l’autre côté de l’Atlantique, et qui traduisaient des romans américains. Ils avaient toute ma sympathie, car je savais à quel point leur métier était difficile, et l’envie me vint de leur écrire une lettre.

Je voulais leur dire qu’il y avait au Québec, depuis peut-être un siècle, un grand nombre de gens qui pratiquaient le baseball et le football américain, et qu’ils le faisaient en français. Un français qui avec les années était devenu élégant et précis, grâce au travail de traduction accompli par les commentateurs sportifs de la radio et de la télé. C’est pourquoi je leur donnais un conseil, à titre de collègue : lorsqu’ils devaient traduire un roman américain contenant des passages sur le baseball ou le football, ils avaient intérêt à consulter un des nombreux Québécois qui vivaient à Paris ou ailleurs en France. Si cette démarche ne leur convenait pas, ils n’avaient qu’à donner un coup de fil à la Délégation du Québec : même la téléphoniste était en mesure de leur indiquer les traductions exactes. Pour ma part, j’étais disposé à réviser leurs textes tout à fait gratuitement, pour être enfin débarrassé des inepties qui encombraient la version française des romans américains.»

Jacques Poulin, Chat sauvage. Roman, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 1998, 188 p., p. 115-116.