La 269e livraison de XVIIIe siècle, la bibliographie de l’Oreille tendue, est servie.
Mises à jour du mardi matin
De l’article Ami personnel
De l’article Bar
De l’article Déconcrissé
De l’article Hiver de force
De l’article -thèque
Encore un ?
Le 17 mars 1955, il y eut une émeute à Montréal, l’émeute Maurice-Richard (explication ici). Plusieurs auteurs ont fait de cette émeute un cadre romanesque. Trois d’entre eux en ont même profité pour décrire un meurtre ou une tentative de meurtre : Eugène Cloutier, dans les Inutiles; John Farrow, dans la Dague de Cartier (l’Oreille tendue en a parlé là); Robert W. Brisebois, dans Coups de feu au Forum.
Le roman policier de Brisebois vient de paraître. Il commence au moment de l’Émeute, cet «événement phare de l’histoire du Québec» (quatrième de couverture), cette «insurrection proche de l’hystérie collective» (p. 14). Qu’en retenir ?
Que l’auteur et son éditeur n’auraient pas dû confondre mettre l’accent et mettre l’emphase (p. 65 et p. 66).
Que si l’on écrit révolver à la p. 27, on ne devrait pas écrire revolver à la p. 136.
Que, dans un roman réaliste, on n’écrit pas que le match de hockey du 17 mars a commencé à 19 h, «comme d’habitude», alors qu’il a commencé à 20 h 30 (p. 9).
Que, dans un roman réaliste bis, on évite de mettre dans la bouche d’un personnage un verbe qui ne sera attesté que 25 ans après la période durant laquelle se déroule l’action, en l’occurrence fidéliser (p. 56).
Que, dans un roman réaliste ter, on ne fait pas dialoguer des personnages de 1955 sur une fête qui ne sera créée qu’en 1982, la fête du Canada (p. 181 et p. 192).
Mais la couverture, illustrée par Yvon Roy, est jolie.
Références
Brisebois, Robert W., Coups de feu au Forum, Montréal, Hurtubise, 2015, 244 p.
Cloutier, Eugène, les Inutiles, Montréal, Cercle du livre de France, 1956, 202 p.
Farrow, John, la Dague de Cartier, Paris, Grasset, coll. «Grand format», 2009, 619 p. Pseudonyme de Trevor Ferguson. Traduction de Jean Rosenthal. L’original anglais a paru deux ans après sa traduction : River City. A Novel, Toronto, HarperCollins, 2011, 845 p.
Les zeugmes du dimanche matin et de Patrick Nicol
«La mère, sourde et bavarde, distribue les plats, les reproches et les claques derrière la tête sans savoir tout à fait à qui elle a affaire» (p. 8).
«Il a commencé par se débarrasser de Pauline, qui faisait tache et beaucoup de bruit» (p. 94).
Patrick Nicol, la Nageuse au milieu du lac. Album, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 85, 2015, 154 p.
(Une définition du zeugme ? Par là.)
Vingt-neuvième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique
Épiphore
Définition
«Placer le même mot ou groupe à la fin de deux ou plusieurs membres de phrase ou phrases» (Gradus, éd. de 1980, p. 194).
Exemple
«Sa voix grave, son regard dur, l’épaisseur de ses sourcils de même que la nudité de son torse lui venaient du boitillement qu’il donnait à son pas en s’appuyant sur une canne en bois. Il allait fièrement de profil afin de dissimuler sa canne dont il se servait comme d’une arme, elle était redoutée. Parmi les bagarreurs de fin de nuit elle était redoutée, parmi ceux qui fumaient sous les préaux elle était redoutée, parmi les soûlards d’après-midi elle était redoutée, parmi les amas de cartons des ruelles elle était redoutée, parmi les chiens elle était redoutée, parmi les voleurs de vélos elle était redoutée, parmi les siphonneurs de carburant elle était redoutée, parmi les endettés pour du hasch elle était redoutée, parmi les sans parole elle était redoutée» (Parents et amis sont invités à y assister, p. 152).
Renvois
[Complément du 31 octobre 2017]
Autre exemple. Dans sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles (1758), Jean-Jacques Rousseau a trois paragraphes qui se terminent par «mais il fallait faire rire le public». Cela se trouve dans le développement que Rousseau consacre au Misanthrope de Molière (éd. 1987, p. 190-192).
[Complément du 19 octobre 2018]
En 1977, dans le magazine Nous, Pierre Bourgault répond à la question «Maurice Richard est-il toujours vivant ?» Parlant du Rocket — c’est du hockey —, il a recours à l’épiphore :
Canadien français à une époque où il ne faisait pas bon l’être, il lui fallait être meilleur que les autres, bien meilleur, pour qu’on lui reconnaisse enfin quelque valeur. Il le fut.
Joueur de hockey à une époque où il ne faisait pas tellement bon l’être, il lui fallait être plus noble que tous pour résister à l’esclavage du système et réussir à en sortir, meurtri mais vivant. Il le fut.
Triomphant dans un désert de paresse et d’abandon, il lui fallait être à la fois plus fier et plus humble que ses compatriotes pour résister aux assauts de la jalousie et de l’envie. Il le fut (p. 32).
Références
Bouchard, Hervé, Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux avec six récits au centre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 14, 2014, 238 p.
Bourgault, Pierre, «Maurice Richard est-il toujours vivant ?», Nous, 4, 9, février 1977, p. 32-33 et p. 40. Illustration d’Hélène Racicot.
Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.
Rousseau, Jean-Jacques, Discours sur les sciences et les arts. Lettre à d’Alembert sur les spectacles, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1874, 1987, 402 p. Édition établie et présentée par Jean Varloot. Édition originale : 1758.