Procrastinez-vous ?

Patrick Nicol, Vox populi, 2016, couverture

Il n’y a pas que les lexicographes à chasser la nouveauté linguistique. Cela peut aussi arriver aux personnages de roman. Prenez Marc Langevin, dans Vox populi (2016) de Patrick Nicol. Bien installé dans la matériathèque de son cégep sherbrookois, il a tendu l’oreille.

Les mots naissent et meurent comme les espèces animales et les métiers. […] Ces temps-ci, «procrastination» jouit d’une grande popularité. Il n’est pas commun qu’un mot si long connaisse un tel succès, mais c’est notable : le terme revient souvent, dans toutes sortes de contextes. Les employés du cégep l’emploient, et pas seulement les profs. Les étudiants conjuguent le verbe «procrastiner». Le concept jouit d’un grand engouement, comme si remettre à plus tard était à la fois une mode, un fléau et un bon sujet de conversation. Il y a eu des reportages là-dessus, et sur Internet, à tout bout de champ, le mot revient. C’est drôle comment tout le monde s’emballe pour une idée, la même idée, tout le monde en même temps. On ne sait jamais comment elles commencent, ces affaires-là, mais elles se répandent et bientôt chacun les dit comme si elles venaient de lui, et personnellement. Marc sourit (p. 18-20).

Il est cependant légitime de penser que ce ne sont pas des personnages fictifs qui ont inventé, à destination des gens pressés, précrastination (la Presse+, 30 avril 2016) ou, à destination des amateurs de café et de procrastination, le néologisme procraféiner. (Dans le même ordre d’idées, il existe un substantif anglais, mais sans la deuxième r : procaffeination.)

P.-S.—Il est vrai que procrastination est populaire dans les universités, notamment chez les thésards.

P.-P.-S.—Le verbe procrastiner n’est pas conjugué que dans les établissements d’enseignements québécois; voir ici.

 

Référence

Nicol, Patrick, Vox populi. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 98, 2016, 89 p.

Ricardo, Elle France et la Presse

Il y a quelques jours, le magazine Elle France a publié un reportage sur un célèbre cuisinier québécois. Ce ramassis de clichés a beaucoup occupé l’espace médiatique (l’Oreille tendue a même donné une entrevue sur le sujet). Parmi ces clichés, il y avait celui-ci : Ricardo serait un «gentleman trappeur».

Faisant du ménage dans son blogue, l’Oreille tombe sur ceci, en date du 19 avril 2012, sous le titre «Ricardo au Dollarama» :

À compter du 26 avril, Ricardo, l’homme privé de patronyme, animera, à la télévision de Radio-Canada, une nouvelle émission, le Fermier urbain. Le voilà donc «gentleman-farmer urbain» (la Presse, 18 avril 2012, cahier Arts, p. 3).

À chacun ses clichés.

Divergences transatlantiques 044

Barcelone, juillet 2015

Quelqu’un a parlé de vous en votre absence ?

«Les oreilles ont dû te corner plusieurs fois», dixit @fbon sur Twitter, s’adressant, à partir de la France, à un Italien installé au Québec, collègue et néanmoins ami de l’Oreille tendue.

Autour de cet Italien et de l’Oreille, on dirait plutôt que les oreilles ont dû lui siler (graphie approximative).

 

[Complément du 9 janvier 2023]

Le verbe siler / siller et le substantif silement / sillement sont communs au Québec, en plus d’un sens.

Siler : «J’ai échoué dans un fauteuil que je ne connais pas. Dans ma main pend une bière vide. Mes oreilles silent» (Je suis le courant la vase, p. 143).

Siller : «Je titubais jusqu’au divan comme si je sortais d’un manège, je sentais la pièce tourner, mes oreilles sillaient […]» (Météo, p. 13).

Silement : «Et je ne dis rien des chants d’amour des animaux et des oiseaux, des cris d’effroi, des cris de mort, du silement de la cigale et des grillons, de la goutte d’eau qui claque sur le sol, de la glace qui craquelle, du ruisseau qui dégèle» (l’Allume-cigarette de la Chrysler noire, p. 195).

Des définitions et une étymologie ? Consultons le Dictionnaire des difficultés du français médical de Serge Quérin :

siler — silement. — Le verbe siler est un héritage des anciens patois du nord, de l’ouest et du centre de la France encore très vivant au Québec […] au sens de «respirer difficilement, en sifflant». Le substantif silement en est dérivé. Siler est probablement une variante dialectale de siffler (autrefois sifler), du latin sifilare, forme vulgaire du latin classique sibilare, qui a donné sibilant. Silement et siler s’emploient également au Québec à propos d’un acouphène et, dans un emploi non médical, du vent (p. 293).

Voyons enfin le dictionnaire numérique Usito :

[siler] (choses) Émettre un son aigu. […] (personnes) Respirer difficilement en émettant un son aigu.

[silement] Son aigu et prolongé. […] Sifflement respiratoire qui peut accompagner certaines maladies pulmonaires.

À votre service.

 

[Complément du 13 janvier 2023]

Sur Twitter, Wim Remysen fait deux suggestions à l’Oreille, tirées du Fonds de données linguistiques du Québec.

Silement : «La douleur le calmait, mais il lui en aurait fallu beaucoup plus pour taire complètement le silement de ses nerfs; il aurait fallu qu’il puisse forcer à s’en déchirer les muscles» (Guillaume Bourque, dans Cartographies I : Couronne Sud).

Sillement : «Tout en marchant, par plaisir il imita le sillement du jars» (le Survenant).

 

Références

Bouchard, Serge, l’Allume-cigarette de la Chrysler noire, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2019, 240 p.

Cartographies I : Couronne Sud, Montréal, La Mèche, 2016, 192 p.

Grégoire, Julien, Météo. Nouvelles, Montréal, Del Busso éditeur, 2017, 147 p.

Guèvremont, Germaine, le Survenant. Roman, Paris, Plon, 1954, 246 p. Suivi d’un «Vocabulaire». Édition originale : 1945.

Larochelle, Marie-Hélène, Je suis le courant la vase. Roman, Montréal, Leméac, 2021, 163 p.

Quérin, Serge, Dictionnaire des difficultés du français médical, Montréal et Paris, Edisem et Maloine, 2017, 349 p. Troisième édition revue et augmentée.