Traduire le baseball

Qu’est-ce que tu penses de Ted Williams maintenant ?, 2015, couverture

Réglons trois choses.

Selon les experts, Ted Williams a été un des plus grands frappeurs de l’histoire du baseball. Tous les témoignages concordent : Williams faisait une obsession de l’art de frapper et il imposait cette obsession à tous ceux qui l’entouraient. «Car Ted ne relâchait jamais ses efforts, pas même sur un match, sur une présence au bâton, sur un seul lancer» (p. 66).

Selon lui-même, il était un grand pêcheur, sinon le plus grand : «Y a personne qui s’y connaît mieux en pêche que moi, ni sur terre ni au ciel» (p. 8).

Ted Williams était par ailleurs une personne particulièrement désagréable : narcissique, colérique, grossier, sonore. Il l’était du temps où il était joueur et il l’est resté jusqu’à sa mort en 2002.

Cette troisième dimension de Williams est particulièrement visible dans le reportage de Richard Ben Cramer, Qu’est-ce que tu penses de Ted Williams maintenant ? Paru en anglais en 1986 dans le magazine Esquire, il a été traduit par Ina Kang aux Éditions du sous-sol en 2015. Cramer y pose, non sans mal, des questions à Williams, en plus de présenter sa carrière.

Les amateurs de baseball du Québec auront évidemment des choses à dire de cette traduction. Ina Kang mêle des expressions parfaitement justes à d’autres qui le sont moins. Cela ne troublera probablement pas un lecteur (hexagonal) néophyte; mais un amateur (francophone) éclairé, si.

Certains choix lexicaux peuvent se discuter, mais ils sont cohérents. Ina Kang parle de batte, au féminin, là où un Québécois dirait bâton, voire, familièrement, bat, au masculin. (Logiquement, il y a donc batteur à côté de frappeur.) De même, il est question de base plutôt que de but (il y a cependant but sur balles et pas base sur balles) et de ligue majeure (au singulier). Au bâton, on risque de se faire retirer sur prises, là où on attendrait sur des prises. Avant le début de la saison, qu’y a-t-il ? Soit l’entraînement de printemps (p. 59), soit le camp d’entraînement. Là, des mauvaises balles; ici, des balles fausses.

Plusieurs termes ou expressions ont cours au Québec : zone de prises (mais on verrait plus souvent zone des prises), but sur balles, manche, retrait, gant, programme double, coup sûr, champ (intérieur, extérieur, droit, gauche, centre), présence au bâton, boîte du frappeur, moyenne au bâton, point produit, frapper x en y, erreur, triple bon pour z points, chandelle et flèche, balle courbe ou rapide, marbre et monticule, roulant, grand chelem, amorti, cage (des frappeurs), frappeur suppléant, appeler une prise, enclos des lanceurs, encaisser une prise, etc.

Ce qui cloche ? On ne parle habituellement pas — c’est comme ça — de «défenseur» (p. 9) pour désigner les joueurs en défensive. À quoi «attrapés de volée spectaculaires» (p. 29) peut-il correspondre ? Un double jeu est nécessairement défensif (p. 57).

On notera pour finir que home run (circuit) est donné en anglais, de même que Hall of Fame (Temple de la renommée), Rookie of the Year (recrue de l’année), World Series (Séries mondiales) et clubhouse (abri, vestiaire). Une formule comme «inside-the-park home run» (p. 63), qui mêle l’italique et le romain pour des mots venus de la même langue, (d)étonne.

Ce mélange complique inutilement la vie de l’amateur de sport.

P.-S. — La langue du baseball évolue sans cesse.

 

Référence

Cramer, Richard Ben, Qu’est-ce que tu penses de Ted Williams maintenant ?, Paris, Éditions du sous-sol, coll. «Desports», 2015, 92 p. Ill. Traduction d’Ina Kang. Édition originale : 1986.

Les zeugmes du dimanche matin et de Sébastien Bailly

Sébastien Bailly, les Zeugmes au play, 2011, couverture

Sébastien Bailly n’est pas seulement l’auteur des Zeugmes au plat (commentés ici par l’Oreille tendue) et l’animateur du groupe les Zeugmes au plat sur Facebook. Il zeugme aussi sur Twitter (@sbailly). Quatre exemples ci-dessous.

«Il avait envie de mettre les points sur les i une bonne fois pour toute, et dans sa gueule» (19 janvier 2016).

«Quand on pense que certains ont vécu sous l’empire d’un état alcoolique et de Napoléon III…» (17 mars 2016)

«il finit remorqué, en partie sous l’eau… et les applaudissements» (1er mai 2016).

«Un barbier trop timide et barbant passait ses dimanches à entretenir ses terres. Il rasait les murs, sa femme et ses forêts» (13 juin 2016).

 

Référence

Bailly, Sébastien, les Zeugmes au plat. Éloge d’une tournure humoristique, Paris, Mille et une nuits, coll. «Mille et une nuits», 585, 2011, 107 p. Avant-propos de Hervé Le Tellier.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Le niveau baisse ! (1892)

Arthur Buies, Réminiscences, 1892, couverture

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

«Mais comme on est toujours mécontent de l’époque où l’on vit, comme on lui trouve tous les défauts et les vices, qui, évidemment, ne pouvaient pas exister avant elle, il est consolant de se retourner en arrière, là où l’on ne regarde plus qu’à travers ce prisme trompeur qui s’appelle l’histoire.»

Source : Arthur Buies, Réminiscences, Québec, Imprimerie de l’Électeur, 1892, cité dans Laurent Mailhot, Anthologie d’Arthur Buies, Montréal, Hurtubise HMH, coll. «Cahiers du Québec. Textes et documents littéraires», 37, 1978, 250 p., p. 81.

P.-S. — L’Oreille tendue avoue, de nouveau, avoir un faible pour Arthur Buies.

 

Pour en savoir plus sur cette question :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

Réunion festive soft

Dans un épisode antérieur, le 29 juin 2012, il a été question du verbe chiller et de l’épithète chill.

Il y a quelques jours, l’Oreille tendue a découvert le substantif masculin chilling. Exemple : Je vais à un chilling chez Makayla. Le chilling, selon l’échantillon sondé (n = 1), est une forme de rencontre, de réunion, de rassemblement. Ce n’est pas tout à fait un party.

En revanche, on ne se livrerait pas au chilling, comme on se livre à la danse ou au macramé. Ce n’est pas une pratique. On n’est donc pas un adepte du chilling.

Yapadkoi.