Citation (assez) (bassement) intéressée du lundi matin

Nouveau projet, 08, automne-hiver 2015, couverture

«Dans un essai paru il y a quelques mois [Information Doesn’t Want to Be Free, 2014], le Torontois Cory Doctorow, auteur de science-fiction et militant notoire du domaine des nouvelles technologies, propose une lecture préoccupée mais non alarmiste des bouleversements actuels de l’industrie du divertissement et de leur impact sur les notions de droits d’auteur et de rémunération des créateurs. La position d’un libre penseur, clairvoyante pour les uns, suicidaire pour les autres, qui a le mérite de prendre les problèmes depuis leur base et de ne pas se cantonner dans les idées reçues. Information Doesn’t Want to Be Free, toujours pas traduit en français et dont le titre, si c’était le cas, serait L’information ne veut pas être gratuite, refuse le catastrophisme et se présente d’abord comme pédagogique

Tristan Malavoy, «Les mammifères et les pissenlits», Nouveau projet, 08, automne-hiver 2015, p. 135-139, p. 135-136. (Les caractères gras sont de l’Oreille tendue.)

Les zeugmes du dimanche matin et de Daniel Grenier, la suite

Daniel Grenier, l’Année la plus longue, 2015, couverture

«Les serveurs se promenaient entre les tables et s’inclinaient très bas pour faire voyager les odeurs et les convives» (p. 185).

«Quiconque arrivait dans le coin avec sa pelle ou même avec rien, juste de la volonté et un peu de tabac à chiquer, pouvait trouver du travail» (p. 198).

«Avait-il déjà été cet homme bavard qu’il ressuscitait dans son esprit, ce conteur plein de bière et de récits abracadabrants à offrir à un auditoire captif ?» (p. 216)

«“Longtemps”, c’était le mot qui l’avait accompagné, comme un ami, comme un ennemi aussi parfois, au cours de sa vie, rythmé en syllabes nasales et en décades, deux mots en un seul» (p. 296).

Daniel Grenier, l’Année la plus longue. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 10, 2015, 422 p.

P.-S. — Cela est une deuxième fournée. La première est ici.

P.-P.-S. — Les «décades» de la p. 296, ce ne serait pas plutôt des «décennies» ?

P.-P.-P.-S. — L’Oreille tendue a dit tout le bien qu’elle pensait de ce roman .

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

La littérature, encore

Dessin de Jean Jullien, 13 novembre 2015

Que peut la littérature devant l’horreur ? En janvier dernier, au moment des attaques contre Charlie hebdo, le nom de Voltaire était partout.

Depuis les attentats d’hier à Paris, on fait appel à Kessel, à Hugo, à Aragon, à Éluard, à Dylan Thomas, à bien d’autres encore.

La littérature est utile.

 

[Complément du jour]

 

Quelques exemples.

 

 

https://twitter.com/Declaracion/status/665020796771921920

 

 

 

 

 

 

 

https://twitter.com/GSourdot/status/665594028210155521

 

 

 

 

 

 

 

https://twitter.com/marievallieres/status/665401553411563522

 

 

https://twitter.com/ryan_marsh/status/665593657777631232

 

 

 

 

https://twitter.com/RemiMathis/status/665495224286752768

 

 

 

 

[Complément du 15 novembre 2015]

 

Et d’autres.

 

 

http://twitter.com/Landdry/status/665462459298390017

 

 

 

 

 

 

 

 

https://twitter.com/Spartitude/status/665334379384733698

 

https://twitter.com/AdrienBellenger/status/665625721528782849

 

https://twitter.com/JulienLefortF/status/665617640610594816

 

 

 

 

[Complément du 16 novembre 2015]

Et ça continue.

 

 

 

https://twitter.com/trudeau_michel/status/666048771848056833

 

 

 

 

 

 

 

http://twitter.com/EmileFZola/status/666326949174730753

 

 

 

 

[Complément du 20 novembre]

 

Et une dernière fournée.

 

http://twitter.com/LeGrosRaTt/status/666473735940087808

 

http://twitter.com/FreddyAbon/status/665881423279235076

 

http://twitter.com/FreddyAbon/status/666500550444326912

 

 

 

http://twitter.com/carolinacarnier/status/666977010821001216

 

http://twitter.com/carolinacarnier/status/666977069268656128

 

[Complément du 6 janvier 2016]

Dans la Presse+ du jour, Rima Elkouri confie à ses lecteurs le souvenir suivant :

Rima Elkouri, la Presse+, 6 janvier 2016

Sondage : le niveau baisse !

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

Hier soir, l’Oreille tendue est allée parler de langue à l’émission de télévision BazzoTV, à Télé-Québec, à l’occasion de la parution de son plus récent livre, Le niveau baisse !

Les téléspectateurs étaient invités à répondre à une question : «La qualité du français se dégrade-t-elle au Québec ?» Trois réponses étaient possibles : «Oui», «Un peu», «Non».

Résultats : à plus de 70 %, «Oui». Bref, une très large majorité des téléspectateurs pense que le niveau baisse et elle rejoint par là un sentiment largement partagé dans la population.

Comment expliquer cela, alors qu’il y a eu au cours des dernières années, selon le Conseil supérieur de la langue française, un «progrès objectif des performances linguistiques dans la population en général» au Québec (2015, p. 4) ?

On peut offrir une première hypothèse d’interprétation : l’être humain aurait tendance à déplorer, de façon générale, le passage du temps. Le gazon était plus vert avant. La neige était plus blanche avant. Les enfants étaient mieux élevés avant. Le sel, comme l’affirmait la mère d’un ex-collègue de l’Oreille, salait mieux avant.

Cette hypothèse est évidemment insuffisante : pourquoi ce type de lamentation a-t-il cours au Québec ? Et au sujet de la langue ?

On pourrait répondre en s’appuyant sur la physiologie. Qu’est-ce qu’un francophone ? Réponse de Jean-Marie Klinkenberg dans la Langue dans la Cité (2015) :

Un Francophone, c’est d’abord un mammifère affecté d’une hypertrophie de la glande grammaticale; quelqu’un qui, comme Pinocchio, marche toujours accompagné d’une conscience impérieuse, une conscience volontiers narquoise, lui demandant des comptes sur tout ce qu’il dit ou écrit (p. 36).

Cette hypertrophie rendrait les francophones particulièrement sensibles à l’évolution (supposée, fantasmée) de leur langue. (Pour en savoir plus sur ce livre, on va ici.)

On pourrait aussi répondre aux questions évoquées ci-dessus par l’histoire. Pourquoi les francophones souffrent-ils de pareille maladie (bénigne mais embêtante) ? Peut-être parce que la langue française, contrairement à l’anglais, à l’espagnol ou au portugais, est très centralisée, encore aujourd’hui, et assez réfractaire au changement et à la différence. La variation, en français, paraît plus difficile à accepter que dans d’autres langues.

Une chose est sûre, au-delà de ces hypothèses : il va falloir encore beaucoup d’éducation pour faire comprendre au public de BazzoTV, et aux Québécois, que l’affirmation «Le niveau baisse» est bien trop générale pour signifier quoi que ce soit de convaincant. L’Oreille essaie de contribuer à la discussion, mais elle ne se fait pas d’illusions.

 

Références

Conseil supérieur de la langue française, Avis à la ministre responsable de la Protection et de la Promotion de la langue française. Rehausser la maitrise du français pour raffermir la cohésion sociale et favoriser la réussite scolaire, Québec, gouvernement du Québec, [août] 2015, iii/49 p. www.cslf.gouv.qc.ca/publications/avis207/a207.pdf

Klinkenberg, Jean-Marie, la Langue dans la Cité. Vivre et penser l’équité culturelle, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2015, 313 p. Préface de Bernard Cerquiglini.

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

Les joies de la prose gouvernementale

L’école «a pour objectif de former
des caméléons linguistiques» (Jean-Claude Corbeil).

Les rapports issus d’organismes gouvernementaux ont souvent mauvaise presse. C’est dommage. Certains sont passionnants.

C’était le cas, en 2014, d’un avis du Conseil supérieur de l’éducation du Québec sur l’enseignement de l’anglais au primaire. L’Oreille tendue l’a commenté ici.

C’est encore le cas cette année avec la parution d’un avis du Conseil supérieur de la langue française sur la maîtrise de la langue française au Québec.

Cet avis a des sources diverses, et parfois étonnantes, pour ce genre de document : avis d’organismes gouvernementaux, études savantes, entrevues, articles de journaux, le Catalogue des idées reçues sur la langue de Marina Yaguello (1998), etc. Il est écrit dans une langue claire (voir cependant le P.-S. ci-dessous). Ses douze recommandations ne sont pas neuves, mais elles sont fermes et pleines de sens commun.

Quelques citations ?

Divers phénomènes expliquent que, malgré des progrès dont il sera fait état plus loin, les inquiétudes n’ont guère diminué depuis les récents avis de ces deux Conseils [le Conseil supérieur de l’éducation, le Conseil supérieur de la langue française]. Il faut d’abord reconnaitre que les exigences en matière de maitrise de la langue ont considérablement augmenté avec le temps. Le marché du travail s’est transformé : il y a une diminution marquée des emplois manuels au profit de professions liées aux services ou faisant appel de plus en plus aux technologies. Puis, comme la population québécoise a vu croitre de façon rapide le nombre de diplômés postsecondaires, le niveau général de maitrise de la langue a augmenté, ce qui entraine du même coup des attentes plus élevées en matière de compétence linguistique. Ces changements sociaux, parmi d’autres, peuvent expliquer pourquoi, malgré un progrès objectif des performances linguistiques dans la population en général, subsiste la perception d’un déclin de la maitrise de la langue française au Québec. Le point à retenir est qu’il subsiste au Québec le sentiment général d’une piètre maitrise de la langue. En outre, puisque les exigences en matière de compétence linguistique ont augmenté, il devient nécessaire de rehausser la maitrise de la langue. Il est donc important de continuer à s’intéresser à cette question; c’est l’un des motifs qui justifient la production de cet avis (p. 4).

Le Conseil affirme que le français est le fondement sur lequel s’appuient tous les apprentissages scolaires, à l’école primaire comme à l’école secondaire de langue française; sa maitrise favorise la réussite. En ce sens, le français se distingue de toutes les autres disciplines (p. 37).

Le Conseil pense que l’éducation, en particulier le système scolaire, constitue une priorité nationale, au même titre que la santé. Il en découle inévitablement qu’il faut inventer des façons de faire qui resituent l’école au centre du progrès social du Québec et qu’il devient urgent de réinvestir massivement dans l’éducation. Notre avis a rappelé avec insistance les liens entre la maitrise de la langue française, orale et écrite, et les autres apprentissages; il a décrit rapidement les avantages personnels et sociaux auxquels la maitrise de la langue française donne accès au Québec; il a évoqué les liens qu’on peut établir entre de faibles compétences linguistiques, orales ou écrites, et le décrochage scolaire, l’employabilité, l’exclusion sociale, etc. (p. 44)

Malgré les apparences, il ne faut pas bouder ce genre de prose.

P.-S. — L’Oreille tendue n’aime pas (beaucoup) le mot «problématique». Le Conseil supérieur de la langue française, si. C’est, évidemment, malheureux.

 

Références

Conseil supérieur de l’éducation, Avis au ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport. L’amélioration de l’enseignement de l’anglais, langue seconde, au primaire : un équilibre à trouver, Québec, gouvernement du Québec, août 2014, 106 p. http://www.cse.gouv.qc.ca/fichiers/documents/publications/Avis/50-0485Sommaire.pdf (sommaire); http://www.cse.gouv.qc.ca/fichiers/documents/publications/Avis/50-0485.pdf (version longue)

Conseil supérieur de la langue française, Avis à la ministre responsable de la Protection et de la Promotion de la langue française. Rehausser la maitrise du français pour raffermir la cohésion sociale et favoriser la réussite scolaire, Québec, gouvernement du Québec, [août] 2015, iii/49 p. www.cslf.gouv.qc.ca/publications/avis207/a207.pdf

Yaguello, Marina, Catalogue des idées reçues sur la langue, Paris, Seuil, coll. «Points», série «Point-virgule», V61, 1988, 157 p. Ill.