Citation lexicographique du jour

Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, 1996, couverture

«ce n’est ni la volonté ni l’exactitude du spécialiste qui décident si un mot nouveau est communément admis ou non, mais bien l’humeur et l’imagination de la communauté.»

Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue, traduit de l’allemand et annoté par Élisabeth Guillot, présenté par Sonia Combe et Alain Brossat, Paris, Albin Michel, coll. «Agora», 202, 1996, 372 p., p. 173.

 

[Complément du 3 décembre 2014]

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 3 décembre 2014.

FIP et nous

Logo de Fip

«Le style d’écoute, c’est l’homme.»

Les raisons d’aimer Paris ne manquent pas. Parmi celles de l’Oreille tendue, il y a une radio, FIP. L’Oreille garde un souvenir vif de phrases comme «Quatorze kilomètres de bouchon; je vous l’avais bien dit», prononcées par des voix féminines tout à la fois moqueuses et compatissantes. À l’origine, FIP (France Inter Paris) était en effet consacrée à la circulation automobile parisienne (fréquence 105,1).

Dans FIP et moi. Chroniques d’un écouteur (2014), Jean Larriaga rappelle ce qu’est FIP depuis sa fondation en 1971. Il a toute une oreille.

Larriaga a beaucoup écouté FIP. Au volant d’une des cinq Austin qu’il a possédées en dix-sept ans (il n’en gardé que l’autoradio, une Blaupunkt). En peignant, toujours en blanc, les plafonds de ses appartements. En marchant dans Paris, Walkman aux oreilles (autres temps, autres mœurs).

Comme tous les auditeurs, il a été enchanté par la voix des speakerines. Quand il les découvre, il croit qu’il n’y en a qu’une : «voix suave, drôle, pénétrante» (p. 15), «charme évanoui» (p. 17), «français enjoué» (p. 18), «attentive, musicale, dépanneuse» (p. 19), «fée malicieuse» (p. 22). Par la suite, il dira «mes voix», «mes fées des ondes», voire, plus familièrement, «mes fées».

L’ordre des souvenirs de Larriaga, cet adepte de l’«écoute flottante» (p. 99), n’est pas strictement chronologique, mais il suit pour l’essentiel l’évolution de sa relation à FIP, de 1971 à «Demain». On le voit se disputer avec celle qui aurait dû emménager avec lui, mais qui avait le malheur de ne pas assez aimer FIP et ses «cheftaines scouts» (p. 41). On s’étonne à peine de le voir choisir un appartement en fonction de la qualité de la réception de la station radiophonique. Accidenté de la route, il refuse d’éteindre l’autoradio de ce qui reste de sa voiture; rien que de normal. Point d’arrivée de ce voyage ? «Écouter FIP m’est devenu aussi nécessaire que le silence» (p. 97).

Mais comment décrire FIP ?

On peut y entendre des informations sur la circulation (parfois rimées) et des informations générales (toujours brèves), mais ce qui caractérise la station, outre les voix des annonceuses («l’accent de FIP», p. 37), est son éclectisme musical. L’Oreille tendue se souvient parfaitement y avoir entendu, bien calée dans un fauteuil club du XIe arrondissement, quelque alcool amplement mérité à la main, une chanson de Plume Latraverse mêlée à du classique, à de la chanson (dans toutes les langues), à de la musique du monde (de la world), à du rock. Caractéristique supplémentaire : l’idée d’indiquer le titre de toutes les pièces n’est pas la règle de la maison; c’est «la loi de FIP» (p. 25). On y fait découvertes sur découvertes, sans toujours savoir ce que l’on a découvert.

Aujourd’hui, merci au numérique, il arrive à l’Oreille tendue d’écouter FIP de Montréal, pour la beauté du souvenir. Jean Larriaga l’a ravivé.

P.-S. — FIP et moi rappelle douloureusement que, même si L’Harmattan est bel et bien une maison d’édition, on n’y engage pas d’éditeur (digne de ce nom) : majuscules semées au hasard, fautes d’orthographe, ponctuation aléatoire, etc.

 

[Complément du 23 janvier 2016]

«Allongée la plupart du temps sur son lit pliant pour y lire, le poste branché sur Fip une bonne fois pour toutes, il lui arrivait de scotcher aux vitres des gravures découpées dans le Larousse, détaillant en arrière-plan l’évolution du paysage vers cette fin d’été» (Envoyée spéciale, p. 172). Fip et Echenoz, ensemble : que demander de plus ?

 

Références

Echenoz, Jean, Envoyée spéciale. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2016, 312 p.

Larriaga, Jean, FIP et moi. Chroniques d’un écouteur, Paris, L’Harmattan, 2014, 102 p.

Jean Larriaga, FIP et moi, 2014

Langue de campagne (33) : ne pas confondre éducation et éducation

Avant-hier, à l’émission le 15-18 de la radio de Radio-Canada, le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, répondait ceci à la première question qui lui était posée :

On a besoin au Québec de mettre plus d’emphase sur l’éducation, sur l’innovation, nos universités entre autres dans les facultés de génie, les sciences d’la vie, faut qu’i se rapprochent des entreprises pour être capables d’innover, d’inventer, d’exporter et c’est maintenant là que ça doit se passer.

Anglicisme à l’appui (mettre de l’emphase), voilà sa conception de l’éducation : des écoles professionnelles branchées sur l’industrie. L’éducation ramenée à la seule formation.

Hier, dans le Devoir, sous la plume d’Antoine Robitaille, paraissait un éditorial intitulé «Cruciales disciplines» :

Il n’est presque pas question d’éducation dans la présente campagne électorale. Cela est déplorable. De plus, lorsque le sujet est abordé, des questions de structures et d’infrastructures éclipsent rapidement tout le reste : droits de scolarité, financement, salaires, taille du ministère, destin des commissions scolaires, problèmes de «moisissures», etc.

Ce sont là des sujets importants; mais il semble devenu presque impossible de débattre publiquement de questions fondamentales : «Que faudrait-il enseigner ?», par exemple. «Quelle devrait être la formation des maîtres ?» Les réponses en ces matières ne seront jamais définitives, bien sûr; comme nombre d’autres questions en démocratie. Mais il faut au moins garder la discussion ouverte.

François Legault et Antoine Robitaille ne donnent pas le même sens au mot éducation.

P.-S. — L’Oreille tendue sait être monomaniaque au besoin. En 2012, elle se prononçait sur la place de l’éducation dans la campagne électorale, dans les pages du Journal de Montréal.

 

[Complément du 2 avril 2014]

Dans son éditorial du jour dans la Presse+, Ariane Krol pose la question suivante :

Sommes-nous prêts, en tant que société, à faire de l’éducation une véritable priorité — c’est-à-dire un choix avec lequel nous serons conséquents, au détriment, même, d’autres considérations ? C’est en ces termes qu’il faut se poser la question.

Sa réponse :

L’éducation est un enjeu important pour beaucoup d’électeurs. Mais figure-t-il en tête des priorités des Québécois ? Les sondages réalisés en prévision et au début de la campagne montraient que non. Et rien de ce que nous avons vu et entendu ces dernières années ne nous porte à croire que ces sondages ont erré.

 

[Complément du 2 avril 2014]

Et enfin Joseph Facal, dans son blogue au Journal de Montréal :

Dans le Québec d’aujourd’hui, et ce n’est pas d’hier, l’éducation a été dissociée de la culture pour être ravalée au rang de «formation».

J’entends par là que le but fondamental du système semble être de préparer les jeunes pour le marché en leur donnant le bagage de compétences officielles et minimales que celui-ci exige.

L’école, du primaire jusqu’à l’université, doit certes faire cela. Mais elle ne devrait pas faire que cela.

Grosses journées pour l’éducation (dans les médias, pas chez les représentants des partis).