L’ascenseur du laitier

C’était hier. L’Oreille tendue était dans l’ascenseur (rappel : mot masculin). Les voyageurs y montaient un par un, chacun en route pour un étage différent. Il y aurait donc plusieurs arrêts.

Une expression lui est alors revenue : run (à prononcer ronne) de lait. Au Québec, qui fait une run de lait, tels les laitiers livrant à domicile, s’arrête continuellement, puis repart. Il ne doit pas être pressé.

Combien de temps cette expression restera-t-elle compréhensible ? L’est-elle encore ?

 

[Complément du 5 janvier 2016]

La run n’est pas que de lait : «Pendant des années, j’ai utilisé les sous amassés grâce à ma ronne de journal dominicale pour acheter à la tabagie d’Arvida [les] briques [de Stephen King] de plus en plus grosses et aux couvertures affreuses», écrit Samuel Archibald («Dialogues américains», p. 19).

 

Référence

Archibald, Samuel, «Dialogues américains», l’Inconvénient, 63, hiver 2015-2016, p. 19-22. https://id.erudit.org/iderudit/80603ac

Presque à l’intérieur dedans

Carte du Québec adjacent, Dictionnaire québécois instantané, 2004

Ce devrait être le printemps. @ArianeKrol paraît regretter que ce ne soit pas tout à fait le cas. En effet, selon elle, l’hiver serait fini sans être tout à fait fini. D’où ce tweet, le 20 mars : «On serait dans hiver-adjacent ?»

Adjacent ?

Reprenons la définition de ce mot dans le Dictionnaire québécois instantané (2004, p. 12-14).

Terme de géographie urbaine montréalaise. Qui veut habiter un quartier à la mode et ne le peut pas émigre vers l’adjacent. «Westmount adjacent !» (la Presse, 7 mars 2002) «Toutes sirènes dehors, j’ai donc mis d’urgence le cap sur Rosemont, aussi connu sous le nom de “Plateau adjacent”» (le Devoir, 8 novembre 2002). «J’ai donc quitté le Plateau, quitté le nombril de l’île, pour le Mile-End, mon nombril adjacent préféré» (la Presse, 13 novembre 2002). «C.D.N., adj. Sanctuaire» (le Devoir, 12 juin 2003).

Abréviation : adj.

On passerait donc, avec «hiver-adjacent», de la géographie à la météorologie.

C’est comme ça.

 

[Complément du 6 mars 2016]

Deux autres exemples, tirés de Mauvaise langue de Marc Cassivi (2016) :

Selon mon expérience de soccer dad sillonnant l’Ouest-de-l’Île de Dorval à Hudson (le West Island adjacent) […] (p. 23);

À l’époque, dans les petites annonces, on ne parlait pas du Mile-End mais d’“Outremont adjacent”» (p. 90).

 

[Complément du 11 juillet 2016]

Laval, en banlieue de Montréal, aura l’an prochain un nouvel équipement sportif. Les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — ont décidé d’y installer une équipe. Comment l’appeler ? Le journaliste Gabriel Béland avait une suggestion le 9 juillet dernier. Il en a une autre aujourd’hui.

 

[Complément du 2 novembre 2016]

L’Oreille tendue ne s’était jamais demandé si adjacent, au sens exposé ci-dessus, existait en anglais. Il semble que oui, du moins si l’en croit un article paru hier dans l’édition numérique du magazine The New Yorker, dans lequel il est question du milliardaire états-unien Peter Thiel : plusieurs de ses affirmations seraient «truth-adjacent» (voisines de la vérité).

 

[Complément du 22 février 2018]

L’adjacent peut-il être générationnel ? Ce tweet de @kick1972 le donne à penser.

https://twitter.com/kick1972/status/966531960314228736

 

Références

Cassivi, Marc, Mauvaise langue, Montréal, Somme toute, 2016, 101 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p. La «Carte du Québec adjacent» reproduite ci-dessus se trouve p. 13.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Langue de campagne (31) : la langue de François Legault

Déclaration de François Legault, le chef de la Coalition avenir Québec, ce matin, à Trois-Rivières, dans le cadre d’une intervention électorale : «Si vous voulez reconnaître que les neuf années libérales ont donné d’la merde qu’on a actuellement, ben, changez, essayez une autre recette.»

Passons sur le fait qu’il n’est pas du meilleur goût de mêler, dans la même phrase, «merde» et «recette» à «essayer».

De même, laissons de côté l’indécision prépositionnelle du chef de la CAQ. Il aurait bien sûr dû dire «ont donné la merde qu’on a actuellement» au lieu de «ont donné d’la merde qu’on a actuellement».

Deux choses cependant méritent d’être notées.

La première est que François Legault est probablement convaincu de ne pas s’être abaissé, et sa fonction avec lui, en utilisant «merde» au lieu du mot qui serait venu à la bouche de tout Québécois normalement constitué, «marde».

L’actualité récente a donné un autre exemple de ce type de comportement. Le syndicaliste Bernard «Rambo» Gauthier, témoignant devant la Commission (québécoise) d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction — la Commission Charbonneau, du nom de la juge qui la préside — et voulant bien «perler», a déclaré ceci : «Je l’ai traité de… masturbateur. Ça va ça, non ?» Là où le chef caquiste faisait entendre «marde» en disant «merde», «Rambo» faisait semblant de cacher «crosseur» sous «masturbateur».

On ne saurait le nier : cela relève fort le niveau des échanges publics.

La seconde chose que fait ressortir la déclaration de François Legault est la même que lors du débat des chefs du 20 mars : voilà quelqu’un qui n’a aucune oreille. Les subtilités de la langue — et notamment des niveaux de langue — lui échappent complètement. Voilà qui explique peut-être pourquoi les questions culturelles l’indiffèrent tant.

P.-S. — Aux élections de 2012, Martin Caron, alors candidat de la CAQ, avait été moins timoré que son chef en parlant clairement de «marde» au sujet de la loi 78. Il est vrai que le quotidien le Devoir avait alors remplacé ce mot par «merde»…

 

[Complément du 26 mars 2014]

Ce matin, à la radio, François Legault déclarait : «Jean Charest, il n’avait pas de couilles. Et je pense que Philippe Couillard, il n’en aura pas plus.» De l’ancien chef du Parti libéral du Québec à son remplaçant, ce serait blanc bonnet et bonnet blanc.

Le chef de la CAQ aurait-il préféré «les couilles de Couillard» aux «gosses de Couillard» ? On ne lui connaissait pas un tel sens de l’euphonie.

Porno soft pour commencer la semaine

Il n’y arrive pas. C’est la première fois. Sa nervosité le fait suer.

Elle le guide avec ses mains. Ça s’ouvre.

Maintenant, il sait. Son désir est satisfait.

Elle se sépare de lui, sourire en coin.

(Une pub télévisée pour une nouvelle canette de bière.)