10 néologismes pour un 10 janvier

Des légumes bio ?

En -less

«Pat Lagacé fait sa sortie de placard d’homme-à-rien-faire. Je signe où ? On pourrait s’appeler les #CLOULESS» (@Patrickdery). Clueless avec un clou, bref.

En -ion

«La pharmaceuticalisation de la société ? Selon quels processus et dans quelles limites» (@_Acfas). Une définition ? Par ici.

En -eur

«Bon, Jean-Jacques Samson parle des “environnementeurs” ce matin. Le lexique des radios d’opinion ruisselle» (@oniquet).

En -isme

«Comment consacrer ses vacances au “volontourisme”» (la Presse, 4 janvier 2013, cahier Voyage, p. 10). Le volontourisme est une forme de bénévolat en aide internationale. Sa construction est calquée sur celle, en anglais, de voluntourism : volunteer + tourism.

En -ing

«Notre photographe @olijean a créé tout un buzz avec le #coderring !» (@VincentLarouche)

En -iel

«Vous voulez vos données ? Pas de problème ! Ce sera 300 $. @BendaGeek nous parle du rançongiciel Crypto Locker» (@BranchezVous).

En -eur

«Un nouveau portrait de généablogueur dans la boîte. @GallicaBnF est vraiment le site préféré des généalogistes ^_^» (@gazetteancetres).

En -ment

«Je vous demande de boycotter Total qui, dans sa pub pour promouvoir Total Wash, utilise sans honte l’expression “Washement bien”» (@fieldelanation).

En -om

Clom : cours en ligne ouvert et massif. Équivalent français de mooc (Massive open online course).

En -ité

«Pourquoi se préoccuper de découvertibilité ?» (@De_Marque)

F comme Canadiens

L’Oreille tendue, il y a bientôt deux ans, présentait une conférence à l’Université d’Ottawa. Son titre : «Flambeau, fantômes du Forum, famille : les filiations des Flying Frenchmen». (Oui, c’est une allitération.)

Il y était question d’un certain nombre des lieux communs entourant la transmission culturelle des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, notamment des fantômes qui aideraient l’équipe dans les moments les plus inattendus et du flambeau que ses joueurs se passent de génération en génération (voir ici et ).

Dans Alex et les fantômes (2009), le court métrage d’animation d’Éric Warin, il n’y a pas de flambeau, mais des Français volants, des fantômes et de la filiation, si.

Papi, le grand-père d’Alex, le «placier porte-bonheur» de l’ancien Forum de Montréal (où ont longtemps joué les Canadiens), est mort, mais son fantôme et ceux des grands joueurs de l’équipe (Howie Morenz, Maurice Richard, Jean Béliveau et Guy Lafleur) s’unissent pour lui offrir une soirée de rêve.

 


P.-S.—La filiation sportive est affaire masculine : un fils, son père, son grand-père. Le monde d’Alex et les fantômes est un monde sans femme.

P.-P.-S.—L’Oreille ne s’y fera jamais : parmi les fantômes du Forum, il y a des morts (Morenz, Richard) et des vivants (Béliveau, Lafleur). Des fantômes de vivants ?

P.-P.-P.-S.—Si ses oreilles ne la trompent pas, elle entend, dans la bouche du père d’Alex (il s’agit de la voix du comédien Marc Messier), un «une nouvelle endroit» du plus mauvais effet.

P.-P.-P.-P.-S.—Les Canadiens de Montréal seraient bien malvenus de se plaindre de la publicité (gratuite ?) que leur fait ce court métrage. Le tricolore est dans chaque plan.

 

[Complément du 11 février 2022]

L’Oreille tendue, depuis, a publié un texte inspiré de sa conférence d’Ottawa :

Melançon, Benoît, «Le Forum de Montréal», dans Anne Caumartin, Julien Goyette, Karine Hébert et Martine-Emmanuelle Lapointe (édit.), Je me souviens, j’imagine. Essais historiques et littéraires sur la culture québécoise, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Champ libre», 2021, p. 97-105. https://doi.org/1866/28556

Tout est affaire de point de vue

«Pourtant quelqu’un m’a dit
Que tu m’aimais encore»
(Carla Bruni, «Quelqu’un m’a dit»)

 

Le Parisien, 7 janvier 2014 : «Carla Bruni : concert annulé au Québec faute de fans.»

Le Journal de Montréal, 7 janvier 2014 : «Carla Bruni annule Québec et Gatineau.»

La Presse, 8 janvier 2014, cahier Arts, p. 2 : «Carla Bruni annule à Québec et à Gatineau.»

Le Nouvel Observateur, 8 janvier 2014 : «Carla Bruni fait un flop au Québec et annule ses concerts : doit-elle prendre sa retraite ?»

Le Devoir, 8 janvier 2014, p. B7 : «Carla Bruni allège sa tournée.»

Détresse du jour

Réjean Ducharme, l’Hiver de force, éd. de 1984, couverture

L’Oreille tendue vient de prendre conscience du fait qu’elle n’a jamais proposé d’article développé sur le verbe zigonner (elle l’évoque cependant ici). Elle ne saurait se l’expliquer. Cela l’inquiète.

Remédions à cela.

Qui zigonne n’arrive pas (bien) à faire quelque chose, mais cela ne l’empêche pas d’essayer, parfois pendant longtemps. Zigonner ne marque jamais une économie de temps.

Le Petit Robert (édition numérique de 2014) classe zigonner dans la catégorie des régionalismes («Canada») et le considère comme «familier». Il en indique trois sens (dont le deuxième n’est jamais tombé dans l’oreille de l’Oreille) :

1. Faire des essais en divers sens, sans savoir s’y prendre.

2. Tenter de se frayer un passage, en se faufilant, en zigzaguant. Zigonner dans la foule.

3. Hésiter, tergiverser. «La plupart des gens zigonnent avant de reconnaître une contradiction» (M. Laberge).

Le verbe peut s’employer seul :

«— Que fait ton père dans la cuisine ?
— Il zigonne.»

On peut lui adjoindre des compléments d’objet directs.

Nicole, dans l’Hiver de force (1973) de Réjean Ducharme, n’est pas douée pour la conduite automobile : «elle zigonne les pédales, elle s’agite, elle s’énerve» (p. 136).

Souvent, il est suivi des préposition sur ou après.

Elle zigonne sur la zapette.

Il zigonne après le piton.

Il a donné naissance à un adjectif : zigonneux et à un substantif : zigonnage.

En 2008, des auditeurs de la radio de Radio-Canada avaient suggéré que ce québécisme soit ajouté au(x) dictionnaire(s). Ils avaient raison.

P.-S.—La Base de données lexicographiques panfrancophone le donne avec une seul n ou deux. Elle en recense plusieurs acceptions (caloriques, halieutiques, équestres, musicales) «vieillies». Zigonner pourrait même renvoyer à la connaissance dite biblique.

P.-P.-S.—Ni le Multidictionnaire de la langue français (2009, cinquième édition) de Marie-Éva de Villers, ni Usito, «Une description ouverte de la langue française qui reflète la réalité québécoise, canadienne et nord-américaine tout en créant des ponts avec le reste de la francophonie», ne connaissent ce mot.

 

[Complément du 8 janvier 2014]

La suite logicielle Antidote propose l’étymologie suivante :

Emprunt au poitevin ou saintongeais zigzounàe, «scier maladroitement»; de l’onomatopée zik-zak, «bruit du va-et-vient d’une scie».

Merci à @revi_redac pour cet ajout.

 

[Complément du 8 juillet 2017]

Dans le quotidien bruxellois le Soir d’hier, l’excellent Michel Francard consacre sa chronique à zigonner. C’est ici, sous le titre «Zigonner sur la zappette».

 

Référence

Ducharme, Réjean, l’Hiver de force. Récit, Paris, Gallimard, 1973, 282 p. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1622, 1984, 273 p.

La voix du hockey

En 1979, Roch Carrier publie un conte qui deviendra un classique canadien.

Dans «Une abominable feuille d’érable sur la glace», tous se liguent contre le narrateur, des autres enfants au vicaire-arbitre, simplement parce que, à la suite d’une erreur de la maison Eaton’s, il se voit forcé d’endosser le maillot honni des Maple Leafs de Toronto devant neuf incarnations du joueur de hockey mythique des Canadiens de Montréal, Maurice Richard.

Le texte est devenu tellement célèbre que son incipit, dans les deux langues officielles, orne les billets de banque de cinq dollars de la Monnaie royale canadienne :

Les hivers de mon enfance étaient des saisons longues, longues. Nous vivions en trois lieux : l’école, l’église et la patinoire; mais la vraie vie était sur la patinoire.
Roch Carrier
The winters of my childhood were long, long seasons. We lived in three places — the school, the church and the skating-rink — but our real life was on the skating-rink.

En 1980, l’Office national du film du Canada tire de ce conte, désormais baptisé «Le chandail de hockey», un court métrage d’animation réalisé par Sheldon Cohen. (On peut le voir sur le site de l’ONF.) C’est l’auteur lui-même qui en assure la narration.

Si ses oreilles ne trompent pas l’Oreille tendue, c’est le même Roch Carrier qui assure, dans sa version française, la narration d’une publicité télévisée de Canadian Tire diffusée ces jours-ci. L’objectif de cette publicité est de remercier ceux qui rendent le hockey possible au Canada (joueurs, parents, bénévoles) et de préparer les spectateurs à la tenue des jeux Olympiques d’hiver de 2014.

On pourrait se réjouir qu’un écrivain soit sollicité pour ce genre d’activité. On est toutefois obligé de tempérer son ardeur (littéraire et hockeyistique) quand on entend le narrateur utiliser un anglicisme gros comme un équipement de gardien de but, «levée de fonds» (pour «campagne de financement»). C’est bien la preuve que les écrivains n’ont pas le monopole de la correction linguistique.

P.-S. — Pierre Houde, le descripteur des matchs de hockey à la télévision du Réseau des sports, aime répéter que le prénom de Jonathan Toews, le brillant joueur de centre des Blackhawks de Chicago, doit se prononcer Jonathan, à la française, et non Djonathane, à l’anglaise, sa francophone de mère y tenant mordicus. Or Roch Carrier, au début de la publicité, nomme le joueur Djonathane. Sa mère ne sera pas contente.

 

Référence

Carrier, Roch, «Une abominable feuille d’érable sur la glace», dans les Enfants du bonhomme dans la lune, Montréal, Stanké, 1979, p. 75-81. Pour les autres éditions et adaptations, voir ici.