Rodrigue, as-tu du cœur ?

L’Oreille est sans cesse tendue, même dans les salles d’attente. Il y a peu, elle surprenait l’étonnante conversation suivante :

Lui. — Vous venez passer un tapis ?
L’autre. — Non.

Passer un tapis ? Un anneau au doigt; la corde au cou; l’éponge; un savon; le café; une veste; les vitesses; le mot; la parole; un rhume; un coup de fil; un accord; une commande : passe encore. Mais un tapis ?

Explication sommaire : certains s’interrogent sur leur condition coronarienne; on leur demande de passer un examen; cet examen, un électrocardiogramme à l’effort (un effort, pour les intimes), nécessite un tapis (roulant). On passe donc un tapis.

Le ventre est-il à moitié plein ou à moitié vide ?

S’agissant de la même étude, deux points de vue, le même jour (hier), avec des photos semblables (un corps sans tête, au ventre bien rebondi).

Le Devoir : «L’obésité progresse toujours au Canada. Une personne sur quatre est maintenant considérée comme obèse au pays» (p. A2).

La Presse : «Les Canadiens sont moins gros que les Américains» (p. A10).

Quel est le proverbe déjà ? Quand on se regarde, on se désole; quand on se compare, on se console ?

Poussée de croissance

Une autre preuve que le sport aide au développement physique ? Cette déclaration de Marc Santos, l’entraîneur de l’équipe montréalaise de soccer, l’Impact : «Peu à peu, nous avons retrouvé notre confiance et nous avons grandi dans le match» (la Presse, 25 février 2011, cahier Sports, p. 4). Grandir en un seul match : que demander de mieux ?

Enfant de la balle

Patrick Roy, la Ballade de Nicolas Jones, 2010, couverture

Pour comprendre certains romans, il faut avoir un vocabulaire sportif étendu.

Ainsi, il faut maîtriser l’idiome du baseball si l’on veut saisir ce qu’est l’«aura de neuvième manche» qui entoure Roger, un des personnages de la Ballade de Nicolas Jones de Parick Roy, ou si l’on veut se représenter «l’ambiance trois balles deux prises» dans laquelle il baigne (p. 144).

Traduction libre : Roger va mourir (la neuvième manche annonce la fin du match; à trois balles deux prises, on risque de tout perdre).

P.-S. — De même, une phrase comme «le gros 61 loge un boulet sous le biscuit du gardien» (p. 187) — il vient de marquer — et un passage sur la nécessité de «tourner le coin» (p. 190) — s’échapper — exigent une connaissance fine des lexiques du hockey et du football.

 

[Complément du 1er décembre 2021]

Même mauvais présage dans Morel (2021) de Maxime Raymond Bock  : «Après quatre enfants bien portants, leur dernière était née avec une prise au bâton» (p. 132).

 

[Complément du 24 mars 2022]

Dans la langue de Bill Lee, cela donne, chez Louis-Karl Picard-Sioui : «Partir dans vie avec deux strikes, j’souhaite pas ça à personne» (p. 13).

 

Références

Picard-Sioui, Louis-Karl, Chroniques de Kitchike. La grande débarque. Nouvelles, Wendake, Éditions Hannenorak, 2021, 173 p. Édition originale : 2017.

Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.

Roy, Patrick, la Ballade de Nicolas Jones. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 01, 2010, 220 p.

L’eau à la bouche

Les critiques gastronomiques sont des poètes. Quand ils se doublent d’experts en décoration, on en redemande.

Exemple tiré de la Presse du 26 février, cahier Gourmand, p. 4, s’agissant d’un restaurant montréalais, le Lawrence.

La Presse avait déjà parlé de la «déco rétro-saxonne» de l’endroit (9 décembre 2010, cahier Affaires, p. 10). Maintenant, sous le titre «Au-delà du néo-rustique», on précise : les tenanciers du Lawrence viennent du Sparrow, dont ils ont conservé «l’ambiance vaguement rétro», «mais le style néo-britannique façon gastro-pub de la déco n’y est plus». Plus avant dans la description, on découvre que l’ambiance est désormais «romantique sur fond post-industriel»; bref, un «style pub moderne». Voilà qui rassure.

Qui fréquente ce gastro-pub «d’inspiration britannique réinterprété façon Mile End» ? «Clientèle de hipsters du quartier, de “foodies” en goguette et d’amateurs de vin nouvelle génération.» C’est sûrement très bien.

Les plaisirs de la bouche ? Au Lawrence, il y a «une bonne carte de vins nature». La tarte aux cèpes «plaira aux amateurs»; c’est la moindre des choses. La côte de porc provient «d’un cochon heureux»; c’est peut-être ce qui explique que sa cuisson soit «seyante». La cuisine devrait plaire à tous : «Là encore, un plat solide, mais équilibré qui conserve une certaine élégance malgré sa consistance.» Que demander de plus ?

En un mot : «Le Lawrence se veut un resto de quartier sans prétention. Et c’est ce genre de plats qui fait tout son charme.»

L’Oreille tendue ne voit rien à ajouter à ce bijou en prose.