La politesse ne se perd pas

Métro Montmorency, le 29 octobre, vers 13 h.

L’adolescent, probablement élève à l’école secondaire voisine, s’approche du quinquagénaire qui prend le soleil : «Excusez-moi Monsieur : est-ce que ça vous ennuierait d’aller à l’intérieur m’acheter un paquet de cigarettes ?»

Qui a dit que la politesse se perdait ?

P.-S. — Réponse du quinquagénaire : «Oui, ça m’ennuierait.»

La mère de tous les adverbes

Jean-Philippe Martel, Comme des sentinelles, 2012, couverture

Il sert à marquer l’insistance :

«Plus capable de lire que Machin ou Bidule sont “épicuriens”. Juste plus capable» (@IanikMarcil).

On le trouve dans des constructions négatives :

«on peut juste pas» (Comme des sentinelles, p. 130);

«Il sait juste pas comment finir. C’est un perfectionniste» («Bon match»).

Certains narrateurs n’ont que lui à la bouche, tel celui de «Faits saillants» de Daniel Grenier :

«Pis Fred s’est senti super mal, il a eu le réflexe de dire non, c’est super pas important, c’est super pas urgent, la fille était juste ben cute, mais il s’est fermé la gueule parce qu’ils avaient déjà tourné le coin pis devant eux il y avait soudainement un ascenseur genre doré, en miroir doré.»

Il est des cas où il signifie quelque chose comme seulement (les exemples qui suivent ont été transmis à l’Oreille par une lectrice fidèle, La sociocriticienne postrudérale) :

«Est-ce que je peux juste faire un téléphone ?»

«Peux-tu juste me dire pourquoi tu veux pas ?»

«Je pense juste que ce serait mieux de ne pas y aller.»

Bref, dans le Québec d’aujourd’hui, juste est à l’adverbe ce que petit est à l’adjectif : un mot universel, qui permet (souvent) de dire en s’excusant (presque) de dire.

P.-S. — Durant le «printemps érable», on a beaucoup discuté de la «juste part» des étudiants québécois dans le financement des universités. Depuis, s’agissant des écoles privées, on a vu paraître un «Plaidoyer pour un système plus juste» (le Devoir, 23 octobre 2012, p. A7). «Rémunération des femmes : la juste valeur» (le Devoir, 23 octobre 2012, p. A6) — voilà une source d’interrogation légitime. Pour l’instant, l’Oreille tendue préfère laisser de côté cet emploi adjectival du mot.

 

Références

Grenier, Daniel, «Faits saillants», site Poème sale, 20 octobre 2012.

Martel, Jean-Philippe, Comme des sentinelles. Roman, Montréal, La mèche, 2012, 177 p.

Messier, William S., «Bon match», site Poème sale, 24 octobre 2012.

Inquiétude cérébrale

Henning Mankell, l’Homme inquiet, 2010, couverture

L’Oreille tendue connaissait la «crampe au cerveau», la «crampe de l’esprit» et la «crampe mentale» (Henning Mankell, l’Homme inquiet, p. 466).

Lisant la Presse du 29 octobre, elle découvre la «panne de cerveau» (p. A1) et les «pannes cérébrales» (cahier Auto, p. 8).

Ça ne paraît pas moins lourd de conséquences.

 

Référence

Mankell, Henning, l’Homme inquiet. La dernière enquête de Wallander. Roman, Paris, Seuil, coll. «Policiers», 2010, 551 p. Traduction d’Anna Gibson.

Disparaître

Un jour du printemps 2011, le fils aîné de l’Oreille tendue rentra à la maison avec un nouveau mot : swag. Elle en fit une entrée de blogue (ici), qui n’attira pas particulièrement l’attention.

Puis, pour des raisons encore inexpliquées, ce fut le boom. Il y eut des centaines, parfois des milliers, de visites quotidiennement. Au moment de la rédaction de ces lignes, l’article a été vu 411 153 fois (!!!). Il y eut même une époque où l’internaute qui tapait «swag» dans un moteur de recherche francophone tombait tout de suite sur l’Oreille. Il est d’ailleurs arrivé un temps où il a fallu fermer les commentaires sur cette page : trop, c’était trop.

Puis, soudain, avant-hier, krach. Presque plus personne : quatre pelés et un tondu. Que s’est-il passé ?

Inquiète, l’Oreille alla regarder sous le capot de son blogue. Une extension WordPress, Popular Posts, faisait des siennes : au lieu de renvoyer aux textes les plus consultés du blogue, les liens retenus par Popular Posts pointait vers des sites extérieurs, pas tous fréquentables.

Coïncidence ou pas, c’est le même jour que l’article consacré au swag par l’Oreille disparut de Google. Oui : il a disparu; malgré des formulations de recherche multiples, plus moyen de l’y retrouver.

On est bien peu de chose : en quelques heures, l’Oreille a perdu tout son swag. Elle ne sait pas si elle pourra s’en remettre.

 

[Complément du 4 novembre 2012]

On s’en réjouira (ou pas) : sur Google, pour l’Oreille et le swag, les choses sont revenues à la normale, façon de parler, durant les premiers jours de novembre.