Parzemp

Le dictionnaire en ligne Usito donne trois définitions de l’«adverbe complexe» par exemple.

La première est banale en français de référence : «Formule qui sert à introduire un élément démonstratif ou explicatif de ce dont il est question, une illustration, une citation, etc. […] Des auteurs québécois, par exemple Michel Tremblay ou Marie-Claire Blais…»

La deuxième, pareil : «Pour marquer la surprise, l’incrédulité, dans un contexte exclamatif. / Ça par exemple !»

La troisième, c’est un peu plus compliqué : «Fam. [Familier] Cependant, par contre. / “J’ai honte, mais j’ai raison d’avoir honte, par exemple !” (Y. Deschamps, 1998).»

Le Petit Robert (édition numérique de 2014) dit à peu la même chose au sujet de cette «locution adverbiale» familière : «Par exemple, marquant l’opposition. => mais (cf. En revanche, par contre). Il ne pouvait pas supporter le chou; par exemple, il aimait bien la choucroute

Ce troisième sens existe en français de référence, c’est incontestable.

«Je ne pourrais pas dire pourquoi, par exemple» (l’Équipée malaise, p. 50).

«J’ignore pourquoi, par exemple !» (Pas de bavards à la Muette, p. 160).

Au Québec, ce troisième sens est toutefois utilisé de façon quotidienne, ce qui ne paraît pas être le cas en France. On l’entend continuellement. Faudrait-il parler de québécisme de fréquence ?

N.B. L’expression par exemple est d’usage courant au Québec. La prononciation parzemp l’est aussi (mais pas autant). Le Dictionnaire de la langue québécoise de Léandre Bergeron a une entrée à «parzempe» (p. 357), mais ni à «exemple» (bien qu’il y ait «exempe», p. 216) ni à «par exemple».

 

[Complément du 25 août 2019]

Exemple théâtral, chez la Catherine Chabot de Lignes de fuite (2019) : «On va le faire carafer un peu, parzempe» (p. 42).

 

[Complément du 14 avril 2024]

Plus rare : «parixemp’» (le Devoir, le D magazine, 13-14 avril 2024, p. 27).

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Chabot, Catherine, Lignes de fuite, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 20, 2019, 130 p. Ill. Suivi d’Aurélie Lanctôt, «Une génération dans le miroir».

Echenoz, Jean, l’Équipée malaise. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1986, 251 p.

Malet, Léo, Pas de bavards à la Muette, dans les Enquêtes de Nestor Burma et les Nouveaux Mystères de Paris, Paris, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 1985, p. 107-235. Édition établie par Francis Lacassin. Édition originale : 1956.

Le mot «parzemp» dans un tweet de Patrick Lagacé, 24 février 2016

Une affaire d’oreille(s)

Jacques Stoll, Haut mot faux nids, 2015, couverture

«Jacques Stoll est une espèce de Déparleur des bords du Rhin. À son actif : poésies, bandes dessinées, satires, autofictions, épopées, critiques d’art» (p. 4). Et l’ouvrage Haut mot faux nids, paru par souscription en 2015 aux Éditions Éditions.

Le titre le dit et la couverture le redit : il sera ici question d’homophonie («Identité des sons représentés par des signes différents», selon le Petit Robert, édition numérique de 2014).

Haut mot faux nids est découpé en trois parties.

«Clarté de la langue française. Homophonie des syllabes ultimes» (p. 9-39) contient des listes de mots qui s’écrivent de deux façons, mais pour un son unique. L’homophonie y est confondue avec la rime.

Le «1er appendice. Onomatopées monosyllabiques» (p. 41-57) est fait de blocs d’homonymies répétées.

Dans «2e appendice. Homophonies aléatoires» (p. 59-68), l’auteur multiplie les jeux de mots : «Aimer / ses airs» (Aimé Césaire, p. 61); «Les thés meurent triés» (l’Été meurtrier, p. 62); etc. Certains échappent à l’oreille de l’Oreille tendue : «L’ère-comme / l’os-ment» (p. 66).

L’homophonie est affaire sonore, et donc affaire de prononciation. Or la québécoise n’est pas l’hexagonale, ce qui fixe certaines associations à un lieu.

Pour Jacques Stoll, comme pour le Petit Robert, taon est un homonyme de tant (p. 14, p. 28, p. 38, p. 66); pour l’Oreille, ton serait plus usuel.

Pet et épais (p. 14) ? Pet et suspect (p. 25) ? Au Québec, on prononce habituellement le t final, ainsi que dans rot (p. 24).

La distinction quête / raquette est encore audible au Québec, pas dans Haut mot faux nids (p. 29).

Voilà des divergences transatlantiques.

P.-S. — Vous voulez entendre le livre ? C’est par ici.

 

Référence

Stoll, Jacques, Haut mot faux nids, Paris, Éditions Éditions, 2015, 68 p.

Les sons de la famille Boulay

Le compositeur Pierre Boulez vient de mourir. Annonçant la nouvelle, le quotidien la Presse+ du jour commet toute une boulette.

«Boulay» pour «Boulez», la Presse+, 7 janvier 2015

La boulette est évidemment orthographique : Boulay pour Boulez.

Elle est cependant intéressante, en quelque déprimante sorte, sur le plan phonétique. Selon la Presse+, on ne dirait pas Boulaize, mais Boulai, voire Boulé.

Comme pour Les sœurs Boulay, auteures-compositrices-interprètes québécoises de leur état.

P.-S. — L’Oreille tendue s’en veut de ne pas avoir pensé à boulette quand elle a annoncé icelle sur Twitter. Sa collègue @LucieBourassa a eu l’oreille plus fine. Il est vrai qu’elle est mélomane, elle.

 

[Complément du 8 janvier 2015]

«Précision» parue dans la Presse+ du 8 janvier 2015

Cette «Précision», publiée dans la Presse+ du jour, devrait être, évidemment, un «Rectificatif».

Es-tu game ?

Fanny Britt, les Maisons, 2015, couverture

Soit les deux phrases suivantes, tirées du roman les Maisons de Fanny Britt (2015) :

Ce rituel remontait à loin, à l’époque où Sophie s’évadait sur des coups de tête, en autobus ou sur le pouce, pour des fins de semaine d’aventure, tantôt avec un garçon d’intérêt, tantôt avec une amie plus game que moi, me demandant de couvrir ses arrières auprès de ses parents (p. 177).

«Mehdi et Paul ont dit que j’étais pas game de sauter du troisième tremplin, et c’était peut-être vrai mais comment on fait quand on n’est pas game de faire quelque chose, je pensais que j’avais pas le choix, je me suis cogné le genou sur le tremplin, je sais même pas quand j’ai touché l’eau, je m’excuse, je m’excuse vraiment» (p. 215).

Donc, l’expression être game (à prononcer guém’). Son sens ? Est game celui qui est prêt à faire une chose (souvent) présentée comme un défi (c’est particulièrement clair dans la deuxième citation).

«Prêt. Disposé», écrit le Dictionnaire de la langue québécoise de Léandre Bergeron (p. 242). «Se sentir de taille (à faire qqch)», propose le Trésor des expressions québécoises (p. 163).

Venue de l’anglais, cette expression n’est par particulièrement récente. On la trouve à la fin du XIXe siècle dans les Mystères de Montréal d’Hector Berthelot : «Merci, monsieur, dit le Petit Pite. Vous êtes la pratique la plus “game” que j’aie rencontrée aujourd’hui» (p. 123).

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Berthelot, Hector, les Mystères de Montréal par M. Ladébauche. Roman de mœurs, Québec, Nota bene, coll. «Poche», 34, 2013, 292 p. Ill. Texte établi et annoté par Micheline Cambron. Préface de Gilles Marcotte.

Britt, Fanny, les Maisons. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2015, 221 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

L’avoir à terre

En 2009, un député français, Pierre Lasbordes, accueille le premier ministre québécois de l’époque, Jean Charest, en lui disant que celui-ci doit avoir «la plotte à terre». Il pensait alors utiliser une expression équivalente «en québécois» à «être très fatigué». Il se trompait. (Récit ici.) Recevoir un homme politique en français, langue pourtant parlée quotidiennement par lui et par son interlocuteur, lui paraissait donc si compliqué ?

Quand on entend la pub que vient de mettre en ligne la société française Orange et son portrait ridicule de l’accent québécois, sous-titres à l’appui, on se prend pourtant à se dire à soi-même qu’on a, en effet, parfois, la plotte à terre devant ce que certains Français imaginent être la langue parlée au Québec.