Vidéo du jour

Conférence «Qui fait changer la langue française ?», page d'accueil

Sous le titre «Qui fait changer la langue française ?», France Culture vient de mettre en ligne la vidéo de deux conférences présentées en septembre 2019 dans la série «Les conférences à la Cité des sciences et de l’industrie» (Universcience), cycle «Est-ce ainsi que les langues vivent ?»

Dans la première partie, la plus brève, Pierrette Crouzet-Daurat décrit le circuit de la néologie officielle en France.

Dans la seconde, Maria Candea essaie de répondre à la question «Qui fait changer la langue française ?»

En définissant des concepts  : langue, dialecte, évolution, variants / invariants, insécurité linguistique.

En s’attachant à plusieurs objets : graphie, prononciation, accord, orthographe, néologie, accord (de proximité) — et, donc, dictionnaire.

En s’appuyant sur un large corpus : les Serments de Strasbourg, Chrétien de Troyes, Molière, Boileau, Fréhel et Trenet, Chirac et Macron.

En offrant des masses d’exemples : monnoie, dompter, boloss / bolos, serpillière, pharmacienne.

En utilisant des ressources diverses : la bibliothèque numérique Gallica, des dictionnaires (le Petit Larousse, le Petit Robert, le Multi), des travaux scientifiques (dont les cartes de Mathieu Avanzi), l’ouvrage Sidonie ou le français sans peine de Salomon Reinach (1913) et même Le niveau baisse !

En disant du mal de l’Académie française, comme ici.

À voir.

Parlons français avec les chefs

Hier après-midi, pour le réseau anglophone de la Société Radio-Canada, l’Oreille tendue y est allée de quelques pronostics à propos de la maîtrise du français des candidats au poste de premier ministre du Canada. C’était en effet jour de débat télévisé entre ces candidats, des francophones (Maxime Bernier, Yves-François Blanchet), des anglophones (Elizabeth May, Andrew Scheer, Jagmeet Singh) et Justin Trudeau. (On peut revoir le débat ici.)

La boule de cristal de l’Oreille n’était pas tout à fait au point. S’il est vrai qu’un candidat a joué la carte du français populaire québécois, tel que l’avait justement prévu l’Oreille, ce candidat n’a toutefois pas été Andrew Scheer, du Parti conservateur, mais Jagmeet Singh, du Nouveau parti démocratique.

Comment a-t-il fait ? Il a d’abord accusé le premier ministre en poste, Justin Trudeau (Parti libéral), d’avoir promis plus qu’il n’a tenu : voilà un «grand parleur, p’tit faiseur», selon un adage québécois bien connu. Il lui a plus tard reproché d’annoncer une politique (progressiste) pour en pratiquer une autre (conservatrice) : il aurait «flashé à gauche» pour «tourner à la droite.» Empruntée au lexique automobile, cette expression aurait davantage fait mouche si Singh avait respecté la symétrie : «flasher à gauche, tourner à droite» (sans «la»). Cela sentait la petite phrase préparée, mais pas tout à fait maîtrisée. Enfin, dans un échange avec Yves-François Blanchet, du Bloc québécois, Singh a mêlé un québécisme à un giscardisme (ou à un couillardisme ou à un legaultisme) : au lieu de dire «ça me dérange», il a répété «ça m’achale», en lançant à son adversaire qu’il n’avait «pas le monopole du Québec», là où Valéry Giscard, le 10 mai 1974, parlait de «monopole du cœur», Philippe Couillard, le 13 septembre 2018, de «monopole de la compassion» et François Legault, les 19 et 22 août 2012, de «monopole de l’amour du Québec».

Comme au débat en anglais, il avait quelques formules toutes faites dans sa besace. Le 7 octobre, s’agissant des changements climatiques, il appelait Justin Trudeau «Mister Delay» et Andrew Scheer «Mister Deny». Hier, Singh a martelé qu’il était là «pour les gens» et il a affublé trois de ses adversaire du sobriquet «Monsieur pipeline» (Bernier, Scheer, Trudeau).

Les autres ?

Andrew Scheer a remercié ses parents de l’avoir mis dans une école d’immersion, là où il a appris le français. Si l’Oreille tendue dirigeait une école de ce type, elle n’engagerait pas Scheer comme porte-parole. Elle se réjouit de voir qu’elle n’a pas eu tout faux : à un moment, quand Scheer a parlé d’un cadre financier écrit sur une «napkin au coin d’une table», il était clairement dans le registre populaire. Son emploi récurrent d’«ingérer» au lieu de «s’ingérer», lui, avait une troublante connotation digestive.

L’Oreille a déjà eu l’occasion de dire qu’Elizabeth May (Parti vert) peut, quand elle en a le temps, parler un français raboteux mais compréhensible. La formule des débats télévisés, où il faut penser et dire rapidement, la dessert plus que tout autre. Elle donne une forte impression de sincérité, mais elle n’est pas toujours facile à comprendre.

Maxime Bernier représente le Parti populaire et le populisme, notamment langagier. Cela passe par certains traits de prononciation («eul courage» pour «le courage») et par une utilisation fautive du pronom relatif («que» mis pour «dont»). Il s’inscrit alors dans une longue tradition québécoise.

Justin Trudeau nous a déjà exposés à bien pire que ce qu’il a dit hier soir : ne pas trop faire de fautes de syntaxe spectaculaires est toujours pour lui une victoire. Notons quand même, par fidélité à lui-même, quelque chose comme «Donner de l’investissement aux gens pour faire de la résilience».

Yves-François Blanchet était probablement le plus à l’aise linguistiquement, ce qui va de soi (et devrait aller de soi pour le premier ministre).

Bref, le débat n’a donné lieu, sur le plan de la langue, à aucune révélation. Chez les anglophones, Jagmeet Singh est celui qui a semblé le plus à l’aise, malgré un nombre considérable d’approximations. Quand on dirige un parti qui a eu Jack Layton comme chef, c’est la moindre des choses. Il lui a d’ailleurs emprunté son «flasher à gaucher, tourner à droite», ainsi que l’a signalé Paul Journet sur Twitter.

P.-S.—Patrice Roy a contrôlé les échanges avec fermeté et les spectateurs ne peuvent que l’en remercier. Contrairement à ce qui est arrivé dans un débat en 2015, il n’a pas utilisé de «mauvais mot» («dégoûtés»), mais une de ces questions improvisées aurait pu être un brin plus claire : «Je vais poser la même question à tous : souhaitez-vous, souhaitez-vous, un accord de réparation pour SNC-Lavalin pour que l’entreprise, je le rappelle pour le bénéfice des gens à la maison, pour que l’entreprise ne soit pas obligée d’être condamnée à ne plus recevoir, s’il y a une condamnation, des contrats publics pendant dix ans ?» Ce sont les joies du direct.

 

[Complément du jour]

Aujourd’hui, vers 18 h 30, l’Oreille tendue était à l’émission Là-haut sur la colline d’Antoine Robitaille, sur Qub radio, pour parler de la langue du débat. C’est ici.

Autopromotion 461

Cahiers Voltaire, 18, 2019, couverture

Depuis plusieurs années, l’Oreille tendue collabore aux Cahiers Voltaire, la revue annuelle de la Société Voltaire. Le numéro 18 vient de paraître (ISSN : 1637-4096; ISBN : 978-2-84559-147-9). Ci-dessous, sa table des matières.

Ferrier, Béatrice et Stéphanie Géhanne Gavoty, «Dossier. Voltaire et le “sang impur”», p. 7-8.

Hersant, Marc, «De Meslier à Voltaire : le cri du sang innocent des bêtes suppliciées», p. 9-21.

Tang, Guo, «Rigueur ou arbitraire ? Peines cruelles dans la loi chinoise vues par Voltaire et Montesquieu», p. 23-33.

Moulin, Fabrice, «“Entre le temple et l’autel” : réflexions sur la dramaturgie du sacrifice de l’innocent dans Les Lois de Minos (1773)», p. 35-48.

Sermain, Jean-Paul, «Paradoxes politiques et poétiques dans quelques tragédies de Voltaire», p. 49-65.

Ramond, Catherine, «Rire avec Voltaire ? La question du comique dans les comédies voltairiennes (1718-1749)», p. 67-82.

Jacob, François, «1778-2018 : Voltaire revient», p. 83-87.

Paillard, Christophe†, avec la collaboration de Natalia Speranskaya, «Un cocher “robuste” et adroit. Jean-François Morand, auteur de la maquette du château de Voltaire (1777)», p. 89-102.

Karp, Sergueï, «Le destin de la “Voltairiade” de Jean Huber», p. 103-127.

Ledot, Gwenaëlle, «“Était-ce le même jour, était-ce le lendemain… ?” Présence de Voltaire dans trois fictions biographiques du XXIe siècle», p. 129-148.

«Débat. Voltaire et la musique (II)», p. 151-215. Coordonné par Rémy-Michel Trotier, en collaboration avec Julien Dubruque, «Voltaire et l’opéra» (p. 151). Contributions de Marie Demeilliez, «Théâtre, musiques et danse chez les jésuites de Paris au temps du jeune Voltaire (1704-1711)» (p. 152-162), Julien Dubruque, «La philosophie à l’opéra» (p. 163-176), Béatrice Ferrier, «Échos spectaculaires dans Tanis et Zélide, Samson et Pandore : “frapper l’âme et les yeux à la fois”» (p. 177-184), Rémy-Michel Trotier, «Voltaire et les décors de l’Opéra» (p. 185-199), Marie-Cécile Norbelly-Schang, «Le Baron d’Otrante, opéra-comique en trois actes : un “monstre bizarre” ?» (p. 200-207), Cristina Barbato, «De Voltaire à Rossini. Que reste-t-il du Tancrède sur les scènes lyriques contemporaines ?» (p. 208-215).

«Enquêtes. Sur la réception de Candide (XVII)», p. 219-243. Coordonnée par Stéphanie Géhanne Gavoty. Contributions de Stéphanie Géhanne Gavoty, Édouard Langille, André Magnan et Abderhaman Messaoudi.

«Enquêtes. Voltaire au Panthéon (II) : enquête autour d’un tombeau», p. 245-286. Coordonnée par Linda Gil et André Magnan. Contributions de Gautier Ambrus, Sergueï Karp, André Magnan, Nicolas Morel et Gail Noyer (avec la collaboration d’André Magnan et Linda Gil).

Pascal, Jean-Noël, «Relectures. Un poète plein d’esprit et un pasteur assez sévère», p. 289-297.

Melançon, Benoît, «Pot-pourri. Voltaire, Paris 2019», p. 298-300. Sur Charlie hebdo, «Le retour des anti-Lumières», janvier 2019.

Borda d’Água, Flávio, Andrew Brown et Ulla Kölving, «Manuscrits en vente en 2018», p. 301-323.

Kölving, Ulla, «Bibliographie voltairienne 2018», p. 324-334.

«Thèses», p. 335-340. Rubrique coordonnée par Nicolas Morel; contributions de Dimitri Garncarzyk, Olivier Guichard et Henri-Pierre Mottironi.

«Habilitation», p. 340-342. Nicolas Morel, Compte rendu des Lumières après coup : divergence ou diffraction ? Habilitation à diriger des recherches de François Jacob.

«Comptes rendus», p. 343-350. Rubrique coordonnée par Alain Sandrier; contributions d’André Magnan, Myrtille Méricam-Bourdet, Alain Sager et Alain Sandrier.

 

[Complément du 30 décembre 2022]

L’Oreille a repris «Pot-pourri. Voltaire, Paris 2019», sous le titre «Voltaire et Charlie hebdo (II)», dans le livre qu’elle a fait paraître au début de 2020, Nos Lumières. Il existe aussi une version de ce texte en ligne.

 

Référence

Melançon, Benoît, «Pot-pourri. Voltaire, Paris 2019», Cahiers Voltaire, 18, 2019, p. 298-300; repris, sous le titre «Voltaire et Charlie hebdo (II)», dans Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, p. 125-130.

Accouplements 142

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

 

La septième livraison des Cahiers Victor-Lévy Beaulieu est lancée ce soir; c’est une invitation.

L’Oreille tendue y publie un texte, «Accidents de lecture». Son sujet ? Les textes auxquels elle ne souhaite pas retourner. Son incipit ? «J’espère ne jamais avoir à relire la Condition humaine

Ce qui nous amène, tout naturellement, à Patrick Boucheron.

Un grand livre est un livre qu’on a envie de relire tout le temps ou qu’on a envie de ne jamais relire. J’avais 19 ans quand j’ai ouvert Belle du Seigneur, d’Albert Cohen, pour la première fois et je ne suis pas sorti de chez moi pour pouvoir poursuivre ma lecture. La vie s’était alors absentée autour de moi, le plus important était de parvenir aux dernières pages. J’ai un rapport ébloui et inquiet à Belle du Seigneur car j’ai décidé de ne jamais le relire. Avec ce livre, j’ai envie d’avoir 19 ans à tout jamais. En revanche, je relis tout le temps par fragments Madame Bovary, de Flaubert, car j’ai envie de vieillir avec lui, ou avec elle. Il existe aussi des chefs-d’œuvre qu’on ne peut pas ne pas avoir lus, car même si on ne les a jamais lus, ils ont fait advenir un monde dans lequel on vit : c’est le cas de Don Quichotte, de Cervantès. Le chef-d’œuvre est pour moi soit un livre qu’on ne relira pas, soit un livre qu’on ne cessera jamais de relire, mais dans les deux cas, on les lira toujours pour la première fois.

Puis à Michel Gay.

Et puis pourquoi, alors qu’on remet le nez dans des bouquins dont on a gardé le meilleur souvenir depuis qu’on les a lus il y a 20, 30 ou 40 ans, livres qui figurent au firmament en quelque sorte de nos lectures, de nos découvertes dans l’univers de la littérature, œuvres d’au mieux quelques douzaines d’auteurs dont les seuls noms nous rappellent, parfois vaguement, parfois vivement, comment nous nous sommes forgé quelque chose qui ressemble à notre propre machine à penser, à notre propre pensée, oui, pourquoi les relisant arrive-t-il régulièrement — il y a des exceptions bien évidemment — qu’on ne sache plus réellement ce qu’on y avait trouvé de si convaincant, de si à proprement parler extraordinaire… (p. 142)

La question, donc, est simple : relire ou pas ?

 

[Complément du 4 mars 2021]

«Accidents de lecture» est désormais disponible numériquement ici.

 

Références

Delorme, Marie-Laure, «Patrick Boucheron : “Il est imprudent de ne pas lire”», le Journal du dimanche, 9 août 2018.

Gay, Michel, Ce sera tout. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2018, 161 p. Ill.

Melançon, Benoît, «Accidents de lecture», les Cahiers Victor-Lévy Beaulieu, 7, 2019, p. 179-181. https://doi.org/1866/28565