Crampe et beauté

Étudiante, l’Oreille tendue — c’était il y a plus de six lustres — a séjourné quelques mois en Wallonie. Elle avait réussi, non sans fierté, à convertir ses amis sérésiens à l’expression «Crampe en masse, t’es beau».

Cela lui est revenu à l’esprit à la lecture de la livraison de Noël des Notules dominicales de culture domestique. (Vous ne connaissez pas les Notules ? Voyez ici.) Sous la rubrique «Obituaire», le Notulographe rend hommage à Jean-Guy Morin, dit «Muff». On peut y lire ceci : «Quand il ne chantait pas, Muff parlait une langue pas toujours facile à saisir pour le non-initié. Allez savoir dans quel sens tourner le volant quand il commandait une manœuvre automobile à grands coups de “Crampe en masse, t’es beau !”»

Cramper en masse relève en effet du vocabulaire de la conduite, plus précisément — pas uniquement, mais souvent — de celui du stationnement. Qui crampe en masse doit tourner le volant au maximum, histoire de se garer ou de s’extirper de sa position. T’es beau indique que la manœuvre devrait réussir : le chemin est libre.

Le Notulographe a cependant raison de noter que la commande, si elle n’est pas accompagnée de précisions de direction (à gauche / à droite, vers l’est / vers l’ouest, dans le sens des aiguilles d’une montre / dans le sens inverse, vers le haut / vers le bas), peut porter à confusion.

P.-S. — Comme l’Oreille le cosignalait en 2004 dans le Dictionnaire québécois instantané (p. 55), l’expression existe au figuré : «M’as cramper en masse / M’as m’tailler une place» («Le bon gars», chanson de Richard Desjardins).

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Le niveau baisse ! (2016)

«La dictée est de moins en moins courante dans les écoles. Si elle est encore pratiquée dans l’enseignement primaire, elle l’est très peu dans le secondaire. Certains enseignants interprètent même le programme en disant qu’elle est interdite. Le niveau des élèves ayant incontestablement baissé, ne faudrait-il pas encourager à nouveau la dictée ? […] Ces dernières années ont vu une nette dégradation de la maîtrise du français écrit, notamment en raison des nouveaux modes de communication. Il faut rappeler aux enseignants que les savoirs de base sont essentiels et qu’ils doivent être renforcés.»

Source : Question de Mme Mathilde Vandorpe à Mme Marie-Martine Schyns, ministre de l’Éducation, intitulée «Dictée du Balfroid et maîtrise de l’orthographe», Commission de l’éducation du parlement de la communauté française de Belgique, 3 mai 2016.

Pour en savoir plus sur cette question :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

Néologicocratie du matin

Le suffixe -cratie (du grac kratos, «force», «puissance», selon le Petit Robert) est commun dans la création de nouveaux mots.

S’il existe des pédagocrates (la Presse+, 13 novembre 2016), c’est que la pédagocratie existe.

Au Québec, mais pas seulement, la festivocratie sévit depuis de nombreuses années (le Devoir, 16 février 2009); il y a nombre de festivocrates autour de nous (le Devoir, 5 avril 2013, p. A8). Philippe Muray est passé par là.

Antoine Robitaille, l’éditorialiste du quotidien le Devoir, emploie festivocratie et festivocrate, mais aussi médicalocratie. Le mot désigne la forte présence, au Québec, de médecins dans les hautes sphères du pouvoir (le Devoir, 12 juillet 2014).

On ne la confondra pas avec la sociocratie : ce «mode de gouvernance inventé par l’ingénieur Gerard Endenburg aux Pays-Bas […] existe depuis les années 70. Tout comme l’holacratie, la sociocratie fonctionne selon des cercles de concertation et rejette la pyramide hiérarchique pour les prises de décision» (la Presse, 20 juin 2015, cahier Affaires, p. 9).

Joan Fontcuberta parle d’iconocratie pour notre époque, où l’image «prévaut par-dessus [le sujet photographié]» (le Devoir, 5-6 septembre 2015, p. E1).

Comment dire un «système où les discours et les décisions sont dictés par l’émotion» ? Jean-Jacques Jespers, professeur de journalisme à l’Université libre de Bruxelles, a forgé émocratie (Alteréchos, 15 avril 2016).

Il y a même des gens pour annoncer les néologismes du futur : «Un fait divers isolé = une généralité = une polémique = une loi. On l’appellera dans les manuels l’anecdocratie…» (@Chouyo, 29 avril 2015).

Fil de presse 022

Logo, Charles Malo Melançon, mars 2021

De nouveaux livres sur la langue ? À votre service (éditorial).

Chez Basic Books

Bergen, Benjamin K., What the F. What Swearing Reveals About Our Language, Our Brains, and Ourselves, New York, Basic Books, 2016, 271 p.

Chez Del Busso éditeur

Melançon, Benoît, l’Oreille tendue, Montréal, Del Busso éditeur, 2016, 411 p.

Chez Fayard

Association ALLE, le Bon Air latin, Paris, Fayard, 2016, 360 p.

Chez Flammarion

Rousseau, Martine, Olivier Houdart et Richard Herlin, Retour sur l’accord du participe passé et autres bizarreries de la langue française, Paris, Flammarion, 2016, 317 p.

Siouffi, Gilles et Alain Rey, De la nécessité du grec et du latin. Logique et génie, Paris, Flammarion, 2016, 190 p.

Chez Edinburgh University Press

Offord, Derek, Lara Ryazanova-Clarke, Vladislav Rjéoutski et Gesine Argent (édit.), French and Russian in Imperial Russia, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2015, 2 vol.

Chez L’Harmattan

Quand le français gouvernait la Russie. L’éducation de la noblesse russe 1750-1880, Paris, L’Harmattan, coll. «Éducations et sociétés», 2016, 402 p. Textes réunis et présentés par Vladislav Rjéoutski.

Chez Oxford University Press

Adams, Michael, In Praise of Profanity, Oxford et New York, Oxford University Press, 2016, 253 p.

Chez Peter Lang

Remysen, Wim et Nadine Vincent (édit.), la Langue française au Québec et ailleurs. Patrimoine linguistique, socioculture et modèles de référence, Francfort, Berne, Bruxelles, New York, Oxford, Varsovie et Vienne, Peter Lang, coll. «Sprache – Identität – Kultur», 2016, 380 p.

Chez Philippe Rey

Académie française, Dire, ne pas dire. Du bon usage de la langue française. Volume 3, Paris, Philippe Rey, 2016, 190 p.

Chez La Presse

Dupuis, Jean-Pierre, Où sont les joueurs francophones du Tricolore ?, Montréal, La Presse, 2016, 168 p.

Chez Racine

Francard, Michel, Tours et détours. Les plus belles expressions du français de Belgique, Bruxelles, Racine, 2016, 176 p. Ill. Préface de Patrick Adam. Postface de Zapf Dingbats [Jean-Paul Vasset]. Illustrations de CÄät.

Chez Le Robert

Rey, Alain (édit.), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires le Robert, 2016, 2 vol. Nouvelle édition augmentée. Édition originale : 1992.

Journal de vacances (et de villégiature)

Vendredi, 8 juillet 2016

La première fois, c’était une italienne. Ce soir, une chinoise. Vive les pendaisons de grues de Structures universelles.

Grue chinoise, Saint-Roch-de-l’Achigan, juillet 2016
Grue chinoise, Saint-Roch-de-l’Achigan, juillet 2016

Mardi, 12 juillet 2016

Sur le bord du lac, le son d’une tchén’ssâ. Ce n’est que justice.

Découvrir que tu es une icône canadienne…

Canadian Who’s Who, publicité par courriel, juillet 2016
Canadian Who’s Who, publicité par courriel, juillet 2016

…mais que vous êtes des milliers.

Jeudi, 14 juillet 2016

En juillet 1976 s’ouvraient les jeux Olympiques de Montréal. Pour des raisons médicales — une histoire de tracteur mal réceptionné —, l’Oreille n’a pu faire autre chose que regarder les compétitions et leurs reprises pendant deux semaines de son lit d’hôpital. (1976, c’était avant Internet et ses choix.) Elle en a eu assez pour toute son existence. Cet été, elle ne suivra pas ce qui se passe à Rio.

Dimanche, 17 juillet 2016

En après-midi, sous un soleil qui tapait, il y avait à Joliette, dans le cadre du Festival de Lanaudière, un hommage à Ella Fitzgerald par Jessica Vigneault, «la fille de Gilles Vigneault», précisait le programme, et l’Orchestre national de jazz de Montréal («national de Montréal» ? Passons). Fan d’Ella, l’Oreille tendue y était. Il serait injuste de comparer Jessica Vigneault, «la fille de Gilles Vigneault», à Ella Fitzgerald. N’essayons même pas.

Mardi, 19 juillet 2016

Qui dit villégiature dit lectures de villégiature, voire lectures de locations de villégiature : des livres découverts dans des maisons inconnues. L’année dernière, à Barcelone, l’Oreille avait ainsi lu un Gérard de Villiers (son premier, et personne n’y feulait). Cet été, ce fut un San-Antonio, Salut, mon pope !, de 1966. L’Oreille n’avait pas lu du Frédéric Dard depuis plus de trente-cinq ans. Elle se souvenait de l’importance de l’incise chez l’auteur, de sa passion pour le calembour, de son enflure verbale assumée, de l’inintérêt des intrigues. Elle a retrouvé le plaisir du zeugme, de la liste, de l’énumération. Elle avait cependant oublié la misogynie et l’homophobie (grec, donc pédé) de l’ensemble. Les vacances servent aussi à cela. (Heureusement, il y avait aussi des Simenon : le Coup de Vague, de 1938, les Fantômes du chapelier, de 1949, et Maigret à l’école, de 1954. C’était nettement mieux que San-A., bien que le deuxième roman soit assez clairement raciste à l’occasion.)

Que seraient des vacances sans un 36 trous (de minigolf) ?

Le 15e trou du parcours Le Défi du Super Putt de Saint-Charles-Borromée, Québec, juillet 2016
Le 15e trou du parcours Le Défi du Super Putt de Saint-Charles-Borromée, Québec, juillet 2016

Jeudi, 21 juillet 2016

Centre-ville de Joliette. À l’entrée du restaurant, le drapeau noir-jaune-rouge. Dans les assiettes, des chicons. C’est bien la Fête nationale de la Belgique.

Chicon ? Endive — comme dans tremper son chicon.

Vendredi, 22 juillet 2016

Que seraient les vacances sans quelques parties de quilles (les petites, bien sûr) ?

Dimanche, 24 juillet 2016

Que seraient les vacances sans la baladodiffusion ? Recommandation du jour : Revisionist History de Malcolm Gladwell (ce génie).

Malcolm Gladwell
Malcolm Gladwell

Que seraient les vacances sans un animal (daim, écureuil, vacancier de la construction) surpris sur le chemin du chalet ?

Lundi, 25 juillet 2016

Pour la deuxième fois, commentaire du fils cadet de l’Oreille : «Djoke de prof.» Sa progéniture et elle n’ont pas tout à fait le même sens de l’humour.

Que seraient les vacances sans la conduite automobile des mous du bulbe sur les routes régionales du Québec ? (L’excellent @machinaecrire a une explication de ce phénomène; elle est ici.)

Mardi, 26 juillet 2016

Que seraient les vacances sans les souris (et le mulot) du chalet de location ?

Que seraient les vacances sans la fréquentation des classiques ?

Histoire de pêche, Chertsey upon Cairo, Québec, juillet 2016
Histoire de pêche, Chertsey upon Cairo, Québec, juillet 2016

Que seraient les vacances sans art religieux (et automobile) ?

Croix du chemin faite en enjoliveurs, Chertsey, Québec, été 2016

Mercredi, 27 juillet 2016

Que seraient les vacances sans ces plaisanciers sans veste de flottaison et sans ces automobilistes sans clignotant ?

Que seraient les vacances sans des saucisses (au fudge) ?

Gastronomie québécoise, juillet 2016
Gastronomie québécoise, juillet 2016

Que seraient les vacances sans un peu de culture latine ?

Mise en garde, juillet 2016
Mise en garde, juillet 2016

Jeudi, 28 juillet 2016

Que seraient les vacances sans l’explosion du coût des données mobiles ?

Vendredi, 29 juillet 2016

Que seraient les vacances sans sa rue éventrée au retour ?

Samedi, 30 juillet 2016

Que seraient les vacances sans une longue et tortueuse séance de slalom entre les cônes montréalais ?

Lundi, 1er août 2016

Que seraient les vacances sans leur fin ?