Réponses du mercredi matin

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Vous vous demandez pourquoi, dans l’édition française de 1997 de la Conjugaison pour tous (le Bescherelle), il y a des verbes dits «québécois» qui vous étonnent (affarmir, xaminer) ? Vous ne comprenez pas comment le français québécois de Sous les vents de Neptune (2004) de Fred Vargas peut être aussi bizarre ? L’accent de Marion Cotillard dans Rock’n’roll, le film de Guillaume Canet (2017), ne vous convainc pas ?

Allez lire, de Nadine Vincent, «Qu’est-ce que la lexicographie parasite ? Typologie d’une pratique qui influence la représentation du français québécois» (Circula. Revue d’idéologies linguistiques, 11, printemps 2020, p. 106-124). Vous y verrez que tout est affaire de sources. Quand on ne choisit pas les bonnes, ça peut causer toutes sortes d’incohérences.

En une formule : «pour reproduire le français du Québec, les Français pointés du doigt se sont parfois basés sur des sources québécoises inadéquates» (p. 108).

En quelque synonymes : «clichés» (p. 115), «inexactitudes» (p. 115), «stéréotypes» (p. 122), «idées préconçues» (p. 122).

À lire.

P.-S.—Cela ne peut probablement pas expliquer tout ce qui se trouve ici dans la rubrique «Ma cabane au Canada».

Épique Richard

Williiam S. Messier, Épique, 2010, couverture

«Bof, on déboulonne pas un mythe en quelques jours.
Ça prend du temps.»

Découvrant que Jacques Prud’homme, le personnage plus grand que nature du roman Épique (2010), de William S. Messier, avait «du vrai feu dans les yeux» (p. 56), l’Oreille tendue s’est dit qu’il y avait du Maurice «Rocket» Richard là-dessous.

Comme de fait, dans ce roman sur une légende de Brome-Missisquois, le mythe par excellence du hockey québécois fait trois apparitions, dont une indirecte.

La première se trouve dans un beau passage olfactif.

Le truck de Jacques sentait la vieille paire de gants de travail : c’est une odeur qui ne pourra jamais me déplaire. Elle parle de job, de muscle et de terre. Elle émane des vêtements de Jacques, comme de ceux de mon père, du père de Valvoline et d’une bonne quantité de bonshommes qui venaient me voir quand je travaillais au Rona et de collègues qui travaillaient chez McStetson Canada Inc. Je suis convaincu que des hommes outrevirils et jobbeurs comme Babe Ruth, Maurice Richard, Woodry Guthrie, Marlon Brando, Bruce Springsteen, Roy Dupuis, Tom Selleck et Jos Montferrand sentent ou sentaient régulièrement comme l’intérieur du truck de Jacques (p. 64).

À côté de ceux de sportifs (Ruth), de chanteurs (Guthrie, Springsteen), de comédiens (Brando, Dupuis, Selleck) et d’un homme fort, lui-même légendaire (Montferrand), le nom de Richard n’étonne pas. (Ledit Roy Dupuis a d’ailleurs joué trois fois le rôle du Rocket.)

Quand il lit «Prud’homme récolte la première, la deuxième et la troisième étoiles» (p. 189), tout lecteur féru d’anecdotes sportives pense à la soirée du 23 mars 1944. Ayant marqué les cinq buts de son équipe dans une victoire de 5 à 1, Maurice Richard a reçu, ce soir-là, les trois étoiles du match.

Dans la dernière occurrence, Jacques Prud’homme parle du moteur de son camion : «Avant que ça pète, il va te pousser une corne dans le front, des ailes dans le dos, une queue dans le cul et tu vas vouloir qu’on t’appelle Maurice Richard» (p. 62).

Cette allusion est pas mal plus inattendue que les deux autres.

 

Référence

Messier, William S., Épique. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2010, 273 p.

Yé-yé ? Yé !

Jukebox, documentaire, 2020, affiche

L’Oreille tendue, même si elle arrive de moins en moins à le croire, a déjà été jeune. Grandissant au cours des années 60 — des années 1960 —, elle a été exposée à la culture yé-yé du Québec. Elle a retrouvé cette culture avec ravissement dans le documentaire Jukebox (2020) de Guylaine Maroist et Éric Ruel, avec la collaboration de Sylvain Cormier au scénario. Ses sources conjugales avaient raison de le lui recommander.

Le film met en lumière le rôle central du producteur Denis Pantis dans cette culture, en recueillant ses souvenirs et en faisant défiler autour de lui quelques-uns de ses collaborateurs et des artistes qu’il a propulsés au sommet des palmarès (en leur laissant bien peu de marge de manœuvre et bien peu de temps pour réfléchir : tout devait aller vite pour lui). Jusqu’à aujourd’hui, Pantis n’était guère connu que des spécialistes de la musique des années 1960 et 1970; ce film va changer les choses.

Outre Pantis, on entend chanter Les Classels («Ton amour a changé ma vie»), Les Baronets («Est-ce que tu m’aimes ?»), Les Miladys («Sugar Town»), Les Bel Cantos («Découragé»), Robert Demontigny («Un baiser de toi»), d’autres encore. L’Oreille avoue avoir découvert l’existence de Goliath et les Philistins et d’Ali Baba et les 4 voleurs, mais elle n’avait pas oublié César et les Romains («Splish Splash»).

Les témoignages sont nombreux : Michel Constantineau, Ginette Laterreur, Pierre Trudel, Renée Martel («Liverpool»), Bruce Huard (celui des Sultans), Michèle Richard (qui fait un assez étonnant numéro, y compris quand elle refuse d’aborder certaines questions), etc. On voit combien la culture yé-yé québécoise était marquée par son rapport aux États-Unis : Pantis y trouvait la plupart des chansons qu’il adaptait aux goûts supposés de son public pour les transformer en succès éphémères; c’est là-dessus que son industrie — et c’en était une — était fondée.

Le montage marie admirablement des images d’actualité et d’autres venues des productions de l’Office national du film du Canada. Jukebox est un bonheur pour les yeux comme pour les oreilles.

Disons-le tout net : l’Oreille a chanté.

P.-S.—S’il fallait adresser un reproche au documentaire, c’est sa fin abrupte : on aurait aimé en savoir plus sur Pantis après l’arrivée du cédérom (1985) et la disparition du 45-tours. On ne boudera pas son plaisir pour autant.

P.-P.-S.—Allez voir le site du film : il y a à boire et à manger.

La clinique des phrases (xx)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit la phrase suivante :

Retour sur le film en compagnie d’un Cronenberg qui, pour le compte, ne voulait à l’origine rien savoir d’adapter le roman de J.G. Ballard, un brûlot littéraire de plein droit.

Que peut bien vouloir dire «pour le compte» ? Si nous enlevons ce bout de phrase, rien n’est changé au sens général :

Retour sur le film en compagnie d’un Cronenberg qui ne voulait à l’origine rien savoir d’adapter le roman de J.G. Ballard, un brûlot littéraire de plein droit.

Qu’est-ce qu’un «brûlot littéraire de plein droit» ? À défaut de comprendre, coupons :

Retour sur le film en compagnie d’un Cronenberg qui ne voulait à l’origine rien savoir d’adapter le roman de J.G. Ballard, un brûlot littéraire.

À votre service.

Autopromotion 516

L’ami Laurent Turcot a sa chaîne sur YouTube, L’histoire nous le dira.

En 2018, l’Oreille tendue y a causé de Voltaire et du Canada, puis de Maurice Richard — c’est du hockey. En 2019, il y a été question du Siècle des lumières, en l’occurrence de l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert, de son livre Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), de Jackie Robinson et d’Ella Fitzgerald. Cette année, il y a eu Marivaux, un célèbre tableau d’Anicet Charles Gabriel Lemonnier, puis le plus récent livre de l’Oreille, Nos Lumières (2020).

Aujourd’hui, hommage à André Belleau (1930-1986) :

P.-S.—L’Oreille a aussi sa chaîne vidéo. Elle est bien plus modeste.

 

Références

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Melançon, Benoît, Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 194 p.